COMÉDIE MUSICALE. (suite)
En Angleterre, le film musical s'appuie sur une tradition théâtrale, mais se heurte à la concurrence hollywoodienne. La personnalité de vedettes de la scène comme Jack Hulbert (Jack's the Boy, W. Forde, 1932) ou Jack Buchanan (Goodnight Vienna, H. Wilcox, id.) ne suffira pas à leur assurer une grande carrière, pas plus qu'à George Formby, Beatrice Lillie ou Gertrude Lawrence. Si les expériences de Dupont (Moulin-Rouge, 1928) et de Wilcox (The Blue Danube, 1932) ne manquent pas d'invention, si la vitalité de Gracie Fields reste mémorable, les comédies musicales les plus pures du Royaume-Uni sont pourtant celles que tourna l'allègre Jessie Matthews sous la direction de Victor Saville : Sunshine Susie (1931), puis le luxueux et romanesque Evergreen (1934), etc. Dans les années 40, les romances d'Anna Neagle tenteront de prolonger cette inspiration.
Faute de zèle, le répertoire français est aussi pauvre. Avant 1945, les tentatives, pourtant, ne se comptent pas. Elles bénéficient d'abord de la technique allemande (Chacun sa chance, H. Steinhoff et R. Pujol, 1930), et l'entraînant Chemin du Paradis n'est que la version française de Die Drei von der Tankstelle (W. Thiele, id.), comme l'Opéra de quat'sous celle de Die Dreigroschenoper (G. W. Pabst, 1931). La preste fantaisie de La crise est finie (R. Siodmak, 1934) contraste avec l'ironie du brillant Avec le sourire (M. Tourneur, 1937), et la mise en scène de Gréville joue avec le dynamisme des danses de Princesse Tam-Tam (1935). Derniers reflets de la liesse du Front populaire, les films de Trenet (Je chante, Chistian Stengel, 1939) témoignent de son invention charmante, et ceux de Ray Ventura (Feux de joie, Jacques Houssin, 1938) possèdent une verve facile. On s'amusera encore de la diligence d'Irène de Trébert dans Mademoiselle Swing (R. Pottier, 1942) avant de s'abandonner à l'attrait de Suzy Delair (Défense d'aimer, Pottier, id. ; Lady Paname, Jeanson, 1950). Mais, après l'adaptation négligée de cent opérettes fades, les mises en scène gourmées d'un Tino Rossi (Naples au baiser de feu, A. Genina, 1937 ; Fièvres J. Delannoy, 1942) ou d'un Luis Mariano (Violettes impériales, Pottier, 1952) immobilisent tout élan de vivacité, raidissant dans une dévotion confite un genre qui doit tout son mérite à l'alacrité imaginative. Aussi ne se prolongera-t-il guère après la Libération, malgré les nouveaux efforts de Ray Ventura (Mademoiselle s'amuse, J. Boyer, 1948) ou ceux de Decoin (Folies-Bergère, 1957). French Cancan (J. Renoir, 1955) et les Demoiselles de Rochefort (J. Demy, 1967) restent donc des réussites isolées.
Tant que le cinéma commercial y a duré, l'Allemagne a gardé en revanche une solide tradition. Ses premiers films musicaux, souvent reproduits en deux ou trois langues, ont lancé l'élégante Lilian Harvey : Le congrès s'amuse (E. Charell, 1931), Willy Fritsch et Gitta Alpar. Les romances passionnées de Zarah Leander rivalisent ensuite avec les danses brillantes de Marika Rökk ; et, si le nazisme a fait fuir Lilian Harvey, Martha Eggerth et l'inventif Wilhelm Thiele, les studios de Berlin et de Vienne conservent de soigneux artisans : Hans Zerlett (Es leuchten die Sterne, 1938) ou Rolf Hansen (Un grand amour, 1942) n'hésitent pas à diriger de grands numéros ; metteur en scène de Marika Rökk, Georg Jacoby manie adroitement la couleur (la Femme de mes rêves [Die Frau meiner Traüme], 1944) ; Carl Böse, Willi Forst et Geza von Bolvary continuent aussi, sous Hitler, à fabriquer d'élégantes rêveries viennoises. Après la guerre, les films musicaux tenteront de se pimenter de sensualité ou de retrouver le goût ancien de l'opérette, mais le manque de rythme et de soin indique qu'il s'agit de produits de second ordre, destinés à occuper le marché intérieur et bien incapables de résister à la concurrence américaine.
Hollywood, paradis de la comédie musicale.
Car c'est à Hollywood que la comédie musicale connaît le développement le plus harmonieux et le plus riche. Dans les premières années du film sonore, les mélodrames familiaux émaillés de chansons vont envahir les écrans, au point de lasser la clientèle. C'est Busby Berkeley qui réconcilie la comédie musicale avec son public grâce aux numéros spectaculaires de 42e Rue et des Chercheuses d'or de 1933 (id.), qui couronnent d'assez vives comédies dirigées par Lloyd Bacon ou Mervyn Leroy. La puissante Warner Bros produira toute une série de films sur ce modèle. La continuité du genre doit aussi beaucoup à ce qu'il a su très tôt se donner ses propres légendes, opposant l'âpre univers de Broadway, prétexte de la plupart des comédies musicales qui utilisent les intrigues de coulisses, à de bienheureuses régions exotiques fournissant leur cadre aux opérettes filmées. Si le premier type inspire les ouvrages de la Warner, il justifie aussi les grandes revues dans lesquelles les plus riches des firmes hollywoodiennes aiment à étaler la multiplicité de leur talentueux personnel : au Broadway Melody (H. Beaumont, 1929) de la MGM répondront ainsi les Fox Movietone Follies of 1929 (D. Butler, id), les Paramount on Parade ou les Big Broadcast (F. Tuttle, 1930 et 1932) de la Paramount : souvent, une kyrielle de films portent alors le même titre, dont le seul millésime varie. Mélangeant satire et épopée, les comédies musicales de la Warner content les péripéties, parfois dramatiques, qui entourent la réalisation d'un spectacle, avant de déployer ce dernier, déjà valorisé par l'attente, dans une mise en œuvre cinématographique d'une splendeur sans retenue, multipliant les mouvements d'appareil et les plans généraux ; les revues se contentent en revanche de distribuer une série de numéros pleins de virtuosité qu'une esquisse d'intrigue relie parfois. Quant à l'opérette filmée, les films où chante Jeannette MacDonald en fournissent le meilleur type. Si ceux de Lubitsch (Monte Carlo, 1930, la Veuve joyeuse, 1934) évitent toute monotonie en se colorant d'une discrète ironie, si celui de Mamoulian, grâce à une invention constante, donne le sentiment le plus délicat du romanesque (Aimez-moi ce soir, 1932), ceux de Van Dyke et de la MGM ne tardent pas à se figer dans une convention désuète, parfois charmante (la Fugue de Mariette, 1935) mais un peu étroite. Du moins, ces ouvrages ont-ils l'avantage d'instaurer un équilibre et une communication entre leur contenu narratif et leurs segments musicaux. C'est ce que réussit également un quatrième type de comédies musicales, celles que la RKO produit avec pour vedette Fred Astaire et Ginger Rogers ; même si elles conservent des intrigues de coulisses, elles donnent du vécu une vision si élégamment stylisée que les danses les plus parfaites ne rompent jamais le ton du récit ; de plus, Astaire définit dès lors une manière chorégraphique, à la fois régulière et expressive, qui permet d'établir des liens, parfois implicites et souvent subtils, entre la narration et les numéros musicaux ; aux foules de la Warner, ces ouvrages finement calculés opposent leurs solos et leurs amoureux pas de deux ; ils possèdent aussi un humour aristocratique et absurde qui leur est propre.