BERRY (Jules Paufichet, dit Jules) (suite)
Tout cela rend inoubliable, dans le Crime de M. Lange (J. Renoir, 1936), le personnage de Batala, patron imprimeur escroc qui mène en bateau un naïf écrivain (René Lefèvre), usant d'une psychologie à la fois révoltante, désarmante et... séduisante ! Après cette première grande prestation, le comédien revient à ses rôles habituels de bourreau des cœurs ou de filou sympathique dans de nombreux films commerciaux dont on ne peut guère sauver que Rigolboche (Christian-Jaque, 1936), le Mort en fuite (A. Berthomieu, id.), l'Habit vert (R. Richebé, 1937), le Voleur de femmes (A. Gance, 1938).
Et puis viennent deux grands titres de Carné qui suffiraient à assurer sa place dans l'histoire du cinéma : Le jour se lève (1939) et les Visiteurs du soir (1942). Dans ces personnages (le sadique dresseur de chiens et le Diable venu sur la Terre), il révèle l'ampleur et la maîtrise de son talent : la crapulerie la plus cynique dans le premier film (ainsi dans la scène où il essaie d'attendrir Gabin en s'inventant une paternité mensongère à l'égard de la jeune fille que son interlocuteur courtise) mais également le côté grand seigneur dans le second film (sa soudaine apparition, dans un somptueux costume médiéval, au milieu de l'orage). Dans ces deux œuvres, le saltimbanque cède la place à un comédien grandiose, le baratineur intarissable devient l'interprète inspiré des remarquables textes de Prévert.
Malheureusement, après ces sommets, il va retomber dans la production la plus banale, à quelques exceptions près : la Symphonie fantastique (Christian-Jaque, 1942), Marie-Martine (Albert Valentin, 1943), le Voyageur de la Toussaint (L. Daquin, id.). Quasiment jusqu’à son dernier souffle, il dilapidera ainsi son talent avec l'évident plaisir de se donner en représentation, poussant le cabotinage jusqu'au grand art, tant à la scène qu'à l'écran. Il était vraiment une bête de théâtre et la comédie légère lui doit beaucoup, mais il a su prouver aussi qu'il était capable, quand des rôles prestigieux lui étaient offerts, de transcender en lui-même le boulevardier impénitent pour créer des figures exceptionnelles par leur séduction ambiguë et leur insolence hautaine.