SUÈDE. (suite)
Cependant, si incontestablement Ingmar Bergman domine l'ensemble de la production suédoise à partir de 1950, il n'en suscite pas moins l'émulation de ses compatriotes.
Une nouvelle génération de cinéastes.
Au début des années 60, la production de films suédois tombe sous la menace d'une taxe sur les spectacles. Les trois sociétés principales de production — Svensk Filmindustri, Sandrews (en activité depuis 1938 et dirigée par Anders Sandrew, un ancien commis d'épicerie), Europa (fondée en 1930 par Gustav Scheutz) — dominent toujours l'écran. La télévision réduit cependant le taux de fréquentation et le nombre de films produits annuellement tombe de 40 — pendant la Seconde Guerre mondiale — à 17 en 1962. Pendant cette crise, l'ancien critique de cinéma et ingénieur chimiste Harry Schein décide le gouvernement à abandonner la taxe de 10 % sur chaque place vendue. La somme ainsi prélevée permet de fonder l'Institut suédois du film, qui encourage la production, l'enseignement du cinéma et le développement des archives. Un nouveau système de récompenses stimule la production et donne naissance à certaines coproductions comme Masculin-Féminin de Jean-Luc Godard et les Créatures d'Agnès Varda. Lors des quatre premières années d'existence de l'Institut, plus de vingt jeunes metteurs en scène débutent dans la profession. Cette période n'est pas sans rappeler les années 1958-1960 en France.
Parmi les leaders de cette nouvelle génération, il y a Bo Widerberg*, dont les articles militants et acides dans le journal Expressen avaient critiqué les idées étroites du cinéma nordique sans même épargner Bergman. Widerberg condamne le « cinéma vertical » du maître suédois dans lequel l'homme est humilié ou exalté. Les films que Widerberg et ses collègues commencent à tourner sont tirés de la vie suédoise contemporaine ; les thèmes sont différents, la technique plus impressionniste laisse une place plus importante qu'auparavant à l'improvisation. Le Quartier du corbeau (Widerberg, 1963) se déroule dans le Malmö des années 30, les personnages prisonniers de leur condition sociale n'ont pas le temps de se poser des problèmes métaphysiques. Dans Amour 65 (1965), le réalisateur Keve, alter ego de Widerberg, fait référence à Godard et Antonioni, notamment en ce qui concerne la mise en scène. Ces films permettent d'aborder les questions idéologiques et esthétiques que les prédécesseurs de ces jeunes réalisateurs ont plus ou moins ignorées en privilégiant le spectacle. Le premier film de Jörn Donner*, Un dimanche de septembre (1963), traite des difficultés à vivre dans une société bourgeoise et du trouble psychologique dû à un avortement. Le monde de Donner est froid et pessimiste ; la menace du cancer et l'inévitable échec du mariage reviennent comme un leitmotiv.
Vilgot Sjöman* cherche, lui, à tirer profit de la nouvelle liberté accordée à l'industrie cinématographique. Si son premier film, la Maîtresse (1962), reste assez anodin aussi bien dans sa forme que dans son contenu, Ma sœur mon amour (1965) surprend en abordant avec audace le thème de l'inceste (au XVIIIe siècle). Deux ans plus tard, le cinéaste choque la Suède (et même les États-Unis) avec les deux volets de Je suis curieuse (1967-1968), une étude rigoureuse et controversée sur les conditions sociales suédoises.
La plupart des Suédois semblent s'être installés dans une certaine autosatisfaction après trente ans de régime démocratique ; Sjöman dit courageusement qu'il existe des failles dans le système. À cette époque, les films traitent très ouvertement du sexe, provoquant de nombreuses réactions indignées dans le monde entier. Sjöman présente les rapports humains avec crudité et tourne résolument le dos au romantisme. Sjöman, qui ne retrouvera plus, avec ses films ultérieurs, le même impact sur le public et sur la critique, n'arrêtera pas néanmoins de jeter un regard critique sur l'histoire suédoise, ses institutions et les comportements de ses concitoyens.
Elvira Madigan (Widerberg, 1967) marque le sommet de la popularité du nouveau cinéma suédois et est acclamé dans les festivals internationaux. Sous une apparente délicatesse narrative, le cinéaste juge sans tendresse excessive le comportement de ses personnages : il condamne le jeune couple qui se suicide plutôt que d'accepter les contraintes de la société, et qui est en fait victime de sa volonté d'isolement, de son manque de foi envers les autres — son choix est en effet un choix individualiste et non collectif. Adalen 31 (1969) et Joe Hill (1971) confirmeront l'approche socialiste de l'injustice par Widerberg.
Jan Troell*, un ancien enseignant de Malmö, est moins virulent que son contemporain Widerberg. Ses films subtils sont issus de la tradition suédoise et évoquent parfois ceux de Victor Sjöström. Dans les Feux de la vie (1966), Troell révèle non seulement son intelligence de réalisateur, mais encore son sens des rythmes internes de la vie et son goût pour les personnages originaux. Son diptyque sur le sort des émigrants suédois en Amérique du Nord, les Émigrants (1971) et le Nouveau Monde (1972), reçoit un accueil chaleureux en Suède mais aussi à l'étranger. Troell connaît une certaine baisse de rythme dans les années suivantes, qui s'explique probablement parce que certains des films qu'il tourne aux États-Unis ne lui permettent plus cette liberté et cette aisance dans l'inspiration dont il semble avoir un besoin impérieux (encore une analogie avec ses grands aînés Sjöström et Stiller). Mais, en 1982, il retrouve son talent intact dans l'évocation de la tragique expédition arctique de l'ingénieur Andrée (le Vol de l'aigle).
D'autres réalisateurs répondent à l'attente et à la mode du moment : Jan Halldoff, par exemple, dont les portraits de jeunes décadents à la dérive dans une société opulente sont nombreux mais vite dépassés (à l'exception sans doute de la Dernière Aventure, 1974) ; Johan Bergenstråhle, dont Une tragédie baltique (Baltutlämningen, 1970) évoque un horrible et triste passage de l'histoire suédoise moderne ; l'actrice Mai Zetterling*, enfin, avec plusieurs films à la sensualité agressive : les Amoureux (1964), Jeux de nuit (1966) et les Filles (1968). Dans un tout autre domaine, les films pour enfants constituent une originalité dans la production suédoise et certains d'entre eux sont des réussites artistiques incontestables. Ainsi, Hugo et Joséphine de Kjell Grede* et les Frères Cœur-de-Lion (Bröderna Lejonhjärta, 1977) de Olle Hellbom. Les films qui s'inspirent des livres d'Astrid Lindgren et de Maria Gripe permettent en effet, entre autres avantages, de soutenir les sociétés en difficulté comme la Svensk Filmindustri.