ÉTATS-UNIS. (suite)
Essor du cinéma commercial depuis les années 80.
Cette tendance ludique ne cesse de s'affirmer depuis 1980. Si Lucas a abandonné la réalisation pour la production et, surtout, pour les effets spéciaux dont il est devenu l'un des maîtres et principaux prestataires de service, Spielberg ne dévie guère de sa lancée. Cependant, il remet volontiers en question des succès prévisibles où son savoir-faire ne commet pas d'erreurs par des sujets courageusement inhabituels, voire polémiques. De Palma, quant à lui, abandonne de plus en plus souvent les suspenses horrifiques et sanglants avec lesquels il s'était fait connaître pour des œuvres plus ambitieuses. Ces personnalités brillantes et virtuoses semblent devenir quelque peu les maîtres à filmer de toute une génération qui n'imite souvent que ce qui peut l'être, c'est-à-dire l'apparence ; mais, en même temps, leur volonté répétée de sortir des sentiers battus laisse apparaître les carences d'un système plus las d'une certaine normalisation narrative et thématique qu'il ne le laisse paraître. Spielberg, dont l'activité de producteur est intense, met lui-même ses dauphins en selle. Le plus sûr semble être Robert Zemeckis*, qui, de Retour vers le futur (1985) à Forrest Gump (1994), version moderne du Candide voltairien, en passant par Qui veut la peau de Roger Rabitt ? (1987), signe quelques-uns des plus retentissants succès des deux dernières décennies. Quant à De Palma, son succès engendre un véritable sous-genre policier qui regroupe des films d'une qualité fluctuante, comme Basic Instinct de Paul Verhoeven* (1992). Parallèlement à cette veine psychologique, le film criminel met également en scène des actions de plus en plus spectaculaires, comme la série des Armes fatales, gros succès public dans la lignée de French Connection. Au sein de ce cinéma grand public, Oliver Stone* ne dédaigne pas briguer le succès tout en bouleversant les consciences. Il perpétue la tradition d'un cinéma libéral, né dans les années 30, et qui, périodiquement, refait surface. Les phénomènes de société que furent le succès de Platoon (1986) puis celui de Né un 4 juillet (1990) en attestent : les Américains avaient sans doute besoin de ces films qui leur tenaient un langage clair pour définitivement digérer l'amertume de la guerre du Viêt-nam. Le lyrisme d'un Michael Cimino ou le baroque d'un Coppola n'étaient finalement pas arrivés au même résultat. Quant au succès de J.F.K. (1992), il montre que l'Amérique n'a pas encore totalement évacué le traumatisme de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Le phénomène dominant de cette dernière décennie du cinéma américain, tant du point de vue commercial que du point de vue culturel, est certainement l'affirmation d'un cinéma « noir » qui n'est plus uniquement destiné au public noir. Des cinéastes s'affirment, surtout après l'avènement tonitruant de Spike Lee* : Mario Van Pebbles*, Boaz Davidson, etc. Les acteurs noirs deviennent les égaux des blancs, du moins dans leur impact commercial et public. Ainsi, deux des vedettes les plus populaires sont noires : Whoopi Goldberg* synthétise avec un sens du loufoque remarquable une joie de vivre dont le cinéma américain n'est par ailleurs pas très riche ; quant à Denzel Washington*, à travers des films comme Philadelphia (1993), de Jonathan Demme*, il semble s'imposer comme l'incarnation d'un certain esprit lincolnien toujours présent.
Diversité de la production américaine aujourd'hui.
Le cinéma commercial, de plus en plus tourné vers le public adolescent qui semble être celui qui fréquente les salles le plus assidument, n'empêche heureusement pas l'éclosion de talents originaux qui utilisent les acteurs et les structures de genre du système mais en récusent la structure économique. C'est dans ce vivier qu'éclosent quelques-uns des cinéastes les plus intéressants de ces dernières années : Steven Soderbergh*, Paul-Thomas Anderson* ou James Gray*. Leurs films brassent des influences tant américaines qu'européennes et tiennent un discours neuf, dans le contenu comme dans la forme. La personnalité la plus médiatique à s'être affirmée dans ce registre est certainement Quentin Tarantino*, avec le très brillant Reservoir Dogs (1992). Un autre phénomène intéressant voit le jour : l'émergence de cinéastes américains qui semblent travailler uniquement pour un certain public européen. C'est le cas, notamment, d'un Jim Jarmusch* ou d'un Hal Hartley*, au centre d'un engouement peut-être excessif chez nous, alors qu'ils sont presque complètement inconnus chez eux, ce qui est également excessif. Ils sont cependant la partie apparente de l'iceberg important du cinéma indépendant, où certains œuvrent souvent obscurément dans le militantisme (films féministes, films « gay », films politiques...). Si Hollywood n'existe plus que comme centre de la production télévisuelle, l'Amérique semble toujours attirer les cinéastes européens. Ou peut-être est-ce le cinéma américain, trop en proie à une certaine uniformisation, qui a besoin de la vitalité que le cinéma européen peut lui apporter. De nombreux Britanniques (Neil Jordan*, Stephen Frears*, Kenneth Branagh*), Australiens (Peter Weir*) ou Néo-Zélandais (Roger Donaldson) ont acquis une place enviable en Amérique tout en préservant pour certains l'originalité de leur talent. Le cinéma américain a également accueilli des Russes (Andrei Kontchalovski*), des Scandinaves (Lasse Halström*, Bille August*), des Allemands (Wolfgang Petersen*, Roland Emmerich), des Latino-Américains (Luis Puenzo, Luis Mandocki, Hector Babenco), qui, avec des fortunes diverses, perpétuent néanmoins la tradition cosmopolite qui avait déjà été celle d'Hollywood.
Évolution des genres.
Les genres n'ont pas disparu, mais ils surgissent et s'évanouissent en des cycles très brefs dont on ne sait s'ils sont dictés par la mode ou provoquent celle-ci : au film de privé, qui avait été l'objet d'un renouveau pendant les années 60 (Détective privé de J. Smight*, 1966), succèdent les « films de copains » dans la lignée de Butch Cassidy et le Kid (G. R. Hill, 1969), les films-catastrophes (série Airport, la Tour infernale de J. Guillermin*, 1974), les films « disco » (la Fièvre du samedi soir de J. Badham*, 1977), les adaptations de comics (cycles Superman et Conan), les voyages dans le temps (tryptique Retour vers le futur de Robert Zemeckis, Peggy Sue s'est mariée de F. F. Coppola, 1986), et ainsi de suite. Si la comédie musicale dansée et chantée a d'assez longue date pratiquement disparu, les formes musicales restent, en revanche, extrêmement importantes, qu'elles structurent le récit comme dans Nashville, Showbus ou Phantom of the Paradise (De Palma, 1974) ou qu'elles se substituent librement à celui-ci (The Last Waltz, Scorsese, 1978). Par ailleurs, le film d'action domine le cinéma américain. Les jeunes cinéastes y font leurs premiers pas et les producteurs s'y réfèrent quand ils ont besoin de succès faciles. Un montage de plus en plus rapide et éclaté, et des effets spéciaux à la précision de plus en plus confondante lui insufflent un certain dynamisme qui pallie autant que possible le manque d'inspiration de certains. Les vedettes masculines musclées, Sylvester Stallone* et Arnold Schwarzenegger* y font merveille. Sylvester Stallone revient périodiquement à ses personnages fétiches de Rocky ou de Rambo, quant à Schwarzenegger, il édulcore le Terminator (1985) qui avait fait son succès pour une version grand public, donc commercialement plus rentable (Terminator 2, 1991). Il faut noter à ce sujet que ce dernier semble faire confiance à des cinéastes relativement ambitieux comme James Cameron* ou John McTiernan*, alors que Stallone préfère s'entourer de personnalités plus anonymes comme George Pan Cosmatos quand il ne réalise pas lui-même. Tous deux essaient périodiquement, avec un succès mitigé, de casser leur image. Si les incursions de Stallone dans le domaine de la comédie ne sont pas des succès, celles de Schwarzenegger, également infructueuses du point de vue financier, présentent un certain intérêt cinématographique. On note, depuis les années 70, l'importance capitale de la bande-son ; si précédemment les progrès techniques principaux avaient concerné la couleur et le grand écran (aujourd'hui à ce point banalisés que les films en noir et blanc procèdent désormais d'une intention délibérée), plus récemment il s'est agi de perfectionner les techniques d'enregistrement et de reproduction du son (système Dolby, etc.). Si auparavant la musique semblait surtout avoir pour but de prolonger les implications de l'image, elle a été utilisée plus récemment en contrepoint de celle-ci (par exemple, Erik Satie dans la Balade sauvage de Terence Malick*, 1974 ou Delibes dans l'Impasse, de DePalma, 1992). Ce réalisme visuel et sonore accru a élargi les possibilités du cinéma fantastique, et par là même son audience et sa respectabilité. Mais « l'effet de réel », induit par ces améliorations techniques, a aussi permis de masquer le simplisme et l'irréalité croissante d'une large fraction du cinéma américain, censée refléter les goûts du public juvénile.