IRLANDE. (suite)
Comme dans la plupart des pays européens, on y a découvert le Cinématographe Lumière dès 1896. Pays pauvre et terre d'émigration, l'Irlande s'est vite équipée en salles de cinéma et a accueilli des équipes de tournage américaines dès 1910. L'indépendance de l'Eire (1921) n'a en rien stimulé une production cinématographique, et il faut attendre 1926 pour que naisse le premier film irlandais de fiction : Irish Destiny, de George Dewhurst, inspiré du soulèvement de 1916 – un film qui sut toucher le public mais resta sans postérité. En 1935, Denis Johnston présente Guests of the Nation, un film muet tourné avec de pauvres moyens, traitant lui aussi des luttes pour l'indépendance, ce qui est également le cas du premier film sonore irlandais, The Dawn, de Tom Cooper (1936). Celui-ci, qui tente d'édifier une véritable société de production, sera ruiné après sa seconde tentative, Uncle Nick (1938).
Pendant des années, l'Irlande ne sera plus qu'un décor et une source d'inspiration pour le cinéma américain, et pour des Anglais qui seront les principaux utilisateurs des Studios d'Ardmore, soutenus par l'État irlandais sans qu'une cinématographie nationale puisse s'édifier — ces studios fermeront en 1983 au terme d'une expérience de quelques années avec John Boorman. Quelques jeunes cinéastes irlandais parviennent à réaliser des courts métrages et des documentaires, comme Mise Eire (1959) et Saoirse ? (1961) tournés en gaélique par George Morrisson, et Rocky Road to Dublin, présenté par Peter Lennon à Cannes en 1968.
La création d'un fonds d'aide publique et la politique d'une nouvelle chaîne de télévision britannique, Channel Four, donnent la possibilité à quelques cinéastes irlandais d'émerger s'affirmer. Neil Jordan (*), Jim Sheridan (*), Pat O'Connor (*), notamment, s'affirment dans des films qui se réfèrent à la lutte pour l'indépendance et aux événements de l'Ulster. Ce sont des œuvres de facture classique qui s'adaptent aux règles de la production dominante, et qui se prolongent parfois en s'éloignant des réalités irlandaises, auxquelles ils semblent néanmoins toujours soucieux de revenir. Joe Comerford est plus distant vis-à-vis des règles du spectacle cinématographique ; il n'aborde les thèmes de la guerre civile qu'indirectement, et comme avec détachement : Reefer and the Model (1987), High Boot Benny (1994). Thaddeus O'Sullivan, révélé en Europe par un excellent court métrage avec Bob Hoskins, The Woman Who Married Clark Gable, 1985), a choisi d'aller à contre-courant du conformisme ambiant avec December Bride (1990), puis il a obtenu un certain succès commercial avec un film de genre, Ordinary Decent Criminal (2000). Pat Murphy, après Maeve (1981, coréalisateur John Davies), est la réalisatrice d'un film très sensible sur le soulèvement irlandais de 1803, Anne Devlin (1984). De même que Cathal Black (Our boys, 1981), Bob Quinn attaque volontiers les traditions conservatrices, avec Poitin (1978) tourné en gaélique et dont le titre vient du nom de l'alcool de contrebande, et avec Bishop Story (1994). Gerard Sternbridge, Peter Ormrod, Margo Harkin, Paddy Breathnach, Richard Spence, Joe O'Byrne, Conor Mac Pherson, Kirsten Sheridan, le documentariste John T. Davis font des films qui, bien que peu nombreux, scrutent la réalité irlandaise en évitant le recours au pittoresque, contrairement à certains auteurs anglais comme Stephen Frears (The Snapper, The Van), ou Alan Parker (The Commitments).
En dehors des cinéastes irlandais travaillant principalement au Royaume-Uni ou établis aux États-Unis, quelques-uns tentent leur chance sur le continent, tel Eoin Moore, révélé en Allemagne par Plus-minus Null (1998), et auteur de Connemara (2000), tourné en Irlande en coproduction germano-irlandaise.