SOKOUROV (Aleksandr) [Aleksandr Nikolaevič Sokurov]
cinéaste russe (Podorvikha, près d'Irkoutsk, 1951).
Fils d'un officier de l'armée, il suit tout d'abord son père dans les garnisons où ce dernier est nommé : en Pologne d'abord, puis à Krasnovodsk au Turkmenistan, avant d'échouer à Gorki où, de 1969 à 1975, il travaille comme assistant à la direction de la télévision locale. Il s'inscrit à la Faculté d'Histoire de cette même ville en 1974, puis part à Moscou suivre les cours du VGIK (où il a Aleksandr Zgouridi comme professeur). Il sort diplômé en 1979 et devient peu à peu l'un des fleurons de l'école documentariste de Leningrad. Dès 1978, il conçoit son premier long métrage qui sera achevé l'année suivante mais devra attendre 1987 pour être distribué : la Voix solitaire d'un homme (Odinokij golos čeloveka) d'après l'œuvre de Platonov. Ses documentaires insolites et peu conformistes rencontrent les mêmes difficultés de diffusion. Il tourne ensuite successivement Insensibilité chagrine / Indifférence affligeante (Skorbnoe besčuvstvie, 1983-1987) d'après G. B. Shaw, les Jours de l'éclipse (Dni zatmenija, 1988) l'un des plus remarquables films soviétiques des années 80, Sauve et protège / Madame Bovary (Spasi i sohrani, 1989) et le Deuxième Cercle (Krug Vtoroj, 1990), film impressionnant par sa lucidité sombre. Ses films suivants, la Pierre (Kamen', 1992), Pages cachées (Tihie stranicy, 1993), Mère et Fils (Mat' i Syn, 1997), Moloch (1999) et Taurus (2001), confirment l'importance de Sokourov dans l'histoire du cinéma russe. Héritier spirituel de Tarkovski, il aborde avec une exigence et un dépouillement extrêmes des sujets qui confinent parfois à l'indicible.
Autres films :
Maria (Marija, 1975-1988, CM, DOC) ; Sonate pour Hitler (Sonata dlja Gitlera, 1979, DOC) ; le Dégradé (Razžalovannyj, 1980, CM) ; Sonate pour alto-Dimitri Chostakovitch (Al'tovaja sonata-Dmitrij Šostakovič, 1981-1987, DOC) ; Et rien de plus / les Alliés (I ničego bol'še / Sajusniki, 1982-1987, DOC) ; Offrande du soir (Žertva večernjaja, 1984-1987, CM, DOC) ; Patience, Travail (Terpenie, Trud, 1985-1987, DOC) ; Élégie (Elegija, id., CM, DOC) ; Élégie moscovite (Moskovskaja elegija, 1986-1987, DOC) ; le Style Empire (Ampir, 1987, CM, DOC) ; Élégie soviétique (Sovetskaja elegija, 1989, CM, DOC) ; Élégie pétersbourgeoise (Peterburgskaja elegija, id., CM, DOC) ; Élégie simple (Prostaja elegija, 1990, DOC) ; la Rétrospective de Leningrad, (Leningradskaja retrospektiv, 1990-1993, DOC) ; Un exemple d'intonation (Primer intonacii, 1991, DOC) ; Élégie russe (Elegija iz Rossii, 1992, DOC) ; Élégie orientale (Vostočnaja elegija, 1996) ; Sonate pour Hitler (Sonata dlja Gitlera, 1997, DOC).
SOLANAS (Fernando Ezequiel)
cinéaste argentin (Olivos 1936).
Il étudie le droit, le théâtre, la composition musicale et tourne deux courts métrages : Seguir andando (1962) et Reflexión ciudadana (1963). C'est dans la seconde moitié des années 60 que l'action et la personnalité de Fernando Solanas deviennent influentes, en Argentine et au-delà. Il fonde en effet, en 1966, avec Octavio Getino, le groupe indépendant de production et de diffusion de films Cine Liberación, initiateur d'une série d'organismes similaires qui se mettent alors en place dans divers milieux artistiques argentins. Au sein de ce groupe, il entreprend, avec la collaboration d'Octavio Getino, la réalisation de l'Heure des brasiers (La hora de los hornos, 1966-1968), un essai de 4 heures 15 minutes qui nécessite plus de deux ans de préparatifs. Il s'agit d'un film-manifeste, le premier du genre en Argentine et même sur le continent, appelant à une prise de conscience nationale, dénonçant le néocolonialisme économique et prônant la libération populaire sous toutes ses formes. Mêlant des éléments de diverses sources (actualités, intertitres, reproduction d'œuvres graphiques, interviews et citations diverses), cette œuvre s'avère novatrice au niveau formel par l'emploi dialectique et rythmique qui est fait du montage. Pour compléter leur action, Fernando Solanas et Octavio Getino donnent une assise théorique à leur démarche sous la forme d'un texte d'une quarantaine de pages : Vers un troisième cinéma (Hacia un tercer cine, 1969), traduit, depuis, en plus de dix langues. C'est le premier manifeste tiers-mondiste à exercer une influence internationale. Les auteurs distinguent, en gros, trois genres de cinéma : le cinéma commercial de type hollywoodien, le film d'auteur, et ce fameux troisième cinéma qui se veut anti-impérialiste et vise à provoquer l'éveil des consciences. Fernando Solanas conçoit ensuite, avec les membres de Cine Liberación, deux longs métrages documentaires : La Revolución justicialista (1971) et Actualización política y doctrinaria (id.), sur la base d'entretiens donnés par Juan Perón à Madrid.
En 1972, il prépare les Fils de Fierro (Los Hijos de Fierro), inspiré du poème épique de José Hernández, Martín Fierro (1872). Cette œuvre constitue une pièce maîtresse du patrimoine national : elle en reflète l'identité et les sentiments spécifiques, dans une période de répressions et de spoliations multiples (1955-1973). Le style est toujours aussi lyrique et touffu qui mélange langage en vers, interviews et fictions. Le coup d'État militaire de mars 1976 empêche alors Fernando Solanas de terminer son film, qu'il n'achève qu'en 1978, en France, où il s'établit. Il tourne, en 1980, le Regard des autres, qui brosse en leur donnant la parole le portrait d'handicapés de diverses sortes. La démocratisation intervenue en 1983 dans son pays permet au cinéaste de réaliser Tangos, l'exil de Gardel (1985), une coproduction franco-argentine, où l'auteur mêle avec habileté le baroque, le tragique, la comédie, la satire, la couleur de lumières et celle de la musique en brodant des variations sur le thème général de l'« absence » puis le Sud (Sur, 1988), une sorte de rêverie mythico-politique sur la fragilité de l'espoir, le fantastique quotidien, l'amertume du souvenir. Le Voyage (El viaje, 1992) pousse plus loin le goût du collage et étend la quête d'identité ou de paternité à la grande patrie latino-américaine, mais son propos se trouve en porte-à-faux par rapport au désenchantement de l'époque.
Solanas persiste et signe un plaidoyer pour l'engagement, La nube (1998), tout en revendiquant ses attaches théâtrales.