CONSERVATION DES FILMS. (suite)
Les négatifs ont une valeur économique supérieure, puisque c'est de leur conservation que dépend la possibilité d'exploiter ultérieurement le film. Dans la conception de ces films, les fabricants portent donc un intérêt particulier à la stabilité des colorants. Comme les négatifs sont par ailleurs stockés (au moins en principe) dans de meilleures conditions que les copies d'exploitation, leur durée de vie est sensiblement plus élevée : sur les négatifs actuels, la stabilité des colorants semble assurée pendant au moins 25 ans pour un stockage à 24 °C et pendant au moins 50 ans pour un stockage à environ 12 °C. Sur les négatifs plus anciens, particulièrement ceux des années 50, les couleurs ont été plus ou moins altérées. Mais les altérations constatées semblent être, en règle générale, assez minimes pour permettre le tirage de copies satisfaisantes, quitte à rectifier l'étalonnage de façon à compenser les défauts chromatiques apparus.
Le procédé Technicolor (aujourd'hui abandonné) constituait un cas particulier. Les copies y étaient en effet imprimées grâce à des « matrices » extraites de trois négatifs noir et blanc. ( PROCÉDÉS DE CINÉMA EN COULEURS). Cette technique ouvrait largement la palette des colorants utilisables et l'on pouvait de ce fait choisir des colorants stables : c'est seulement de nos jours que l'on commence à atteindre, avec les films à couches superposées, une stabilité des couleurs sur les copies d'exploitation comparable à celle des copies Technicolor.
Le Kodachrome mérite également d'être mentionné. Bien qu'il soit à couches superposées, les colorants y sont apportés par les bains de développement, distincts pour les trois couches. La méthode complique le développement, mais elle est aussi moins contraignante pour le choix des réactions chimiques utilisables : à température ambiante, la durée de conservation du Kodachrome est supérieure à 50 ans. Ce procédé ne pourrait toutefois être employé en cinéma professionnel qu'au prix d'adaptations importantes, notamment en ce qui concerne le contraste et la possibilité d'inscrire une piste sonore optique.
La généralisation du support de sécurité dans les années 50 devait résoudre une bonne partie des problèmes de conservation des œuvres par vieillissement des supports. L'arrivée des supports polyester au milieu des années 80 et leur généralisation pour le tirage des copies d'exploitation renforçait cette hypothèse. Malheureusement, une nouvelle cause de destruction des pellicules photosensibles est apparue au cours des années 80/90 avec le syndrome du vinaigre entraînant une destruction de la couche d'émulsion par des champignons développés du fait de la présence d'acide acétique, pour un stockage à température ambiante et hygrométrie normale. Une solution par conservation sous vide (avec déshydratation quasi totale du support) et conservation à faible température est proposée pour la conservation des films et bandes magnétiques. Cette procédure est contraignante pour la remise en exploitation des éléments et son efficacité est contestée par certains spécialistes.
La conservation des œuvres.
De ce qui précède, il ressort qu'il y a beaucoup de cas d'espèce : selon la nature du support, selon que le film est en noir et blanc ou en couleurs, selon sa date, selon les conditions de traitement et de stockage, etc. On peut néanmoins distinguer deux grands cas.
Pour les films tournés de nos jours, la grande stabilité du support et la stabilité accrue des colorants permettent (sous réserve d'un stockage dans de bonnes conditions) de garantir la conservation du négatif, et donc de l'œuvre, pendant plusieurs décennies. Un contretypage effectué dès qu'apparaîtrait la moindre altération prolongerait l'œuvre d'autant, et même sans doute plus, compte tenu des progrès accomplis entre-temps.
On peut même garantir dès aujourd'hui une conservation de plusieurs siècles par le tirage de sélections noir et blanc, où les trois images colorées portées par le film sont reproduites sous forme de trois images noir et blanc par copie derrière des filtres rouge, vert, bleu (la reconstitution de l'image en couleurs s'effectuant par le processus inverse). Intéressante en raison de la grande stabilité des films noir et blanc, la méthode présente toutefois deux inconvénients, outre son coût. D'abord, il y a triplement du volume de film à stocker. Surtout, le phénomène de retrait peut rendre difficile la superposition des trois images lors de la reconstitution de l'image colorée. On peut réduire ce risque en stockant les trois films de sélection exactement dans les mêmes conditions. Une meilleure méthode, mais elle complique les opérations, consiste à inscrire les trois images noir et blanc l'une à la suite de l'autre sur un film unique.
Il n'y a donc aucun obstacle technique à garantir, pour les générations futures, la possibilité de tirer des copies d'une qualité quasi identique à celle des copies contemporaines. Le problème n'est pas technique mais économique. Par exemple, les conditions de stockage préconisées par la Fédération internationale des archives du film (FIAF) pour les films en couleurs (– 7 °C, faible degré hygrométrique) assureraient sans doute une conservation des films en couleurs actuels pendant au moins un siècle. Mais, indépendamment du coût élevé de cette solution, il se pose un problème d'accès aux films stockés : plusieurs jours sont nécessaires pour une mise en équilibre à la température ambiante. En pratique, on stocke les films dans les conditions préconisées pour le noir et blanc (12 °C, 50 p. 100 d'humidité relative) : cela nécessite déjà un important investissement pour la construction des bâtiments, sans compter le budget de fonctionnement pour le conditionnement de l'air. Pour les œuvres de grande valeur commerciale, le coût se justifie (la firme Disney stocke en deux endroits différents deux sélections noir et blanc de tous ses films). Dans la plupart des cas, l'espoir de recettes futures n'est pas suffisant pour rentabiliser ces dépenses. La conservation des films relève alors de la conservation du patrimoine collectif. Pour les films anciens à support nitrate, un contretypage sur support de sécurité permet de se ramener au cas précédent et donc de garantir la pérennité de l'œuvre, au moins telle qu'elle nous est parvenue. Le problème est ici une question de moyens matériels. Le support nitrate se dégradant irréversiblement, il faut procéder au contretypage avant qu'il ne soit trop tard. Or ce travail ne peut être effectué à cadence industrielle. Il faut d'abord examiner le film, éventuellement le débarrasser des moisissures, ou des taches d'huile, apposer des perforations neuves en remplacement des perforations déchirées ; il faut mesurer le retrait (on a trouvé des films qui ne faisaient plus que 32, 8 mm de large au lieu de 35) et monter sur la tireuse des tambours dentés de diamètre adapté au retrait, etc.