COHL (Émile Courtet, dit Émile)
cinéaste et caricaturiste français (Paris 1857 - Villejuif 1938).
Émile Cohl n'est certes pas le premier à s'être intéressé aux possibilités artistiques de l'animation de dessins ou d'objets : Émile Reynaud l'a précédé dans la voie graphique (1892) et Stuart Blackton dans la seconde (1906). Il n'en demeure pas moins incontestablement pour l'Histoire le véritable créateur du « 7e art bis », le pionnier du cinéma d'animation.
Caricaturiste dans divers journaux satiriques, avec André Gill (mort en 1885), Émile Cohl n'y atteint jamais une très grande notoriété. C'est donc un homme dont le style est déjà désuet qui se présente, en 1907, au siège des Établissements Gaumont pour se plaindre d'avoir été plagié par une affiche de la firme. Louis Feuillade, alors directeur, le calme et propose de lui acheter des petits scénarios de son cru. Mais l'idée d'animer ses dessins le tourmente depuis longtemps. L'année suivante, engagé par Gaumont, il peut enfin réaliser ce rêve. Le 17 août 1908, au Théâtre du Gymnase, transformé en cinéma pendant la clôture annuelle, a lieu la première projection publique de Fantasmagorie, dessin animé de 35 mètres. Cohl y abandonne les contours réalistes à la Reynaud pour une démarche très stylisée s'inspirant des croquis d'enfants. Dans tous ses premiers films, les traits apparaissent en blanc sur fond noir, chaque copie étant un contre-type du négatif. Toutefois, le dessin animé n'étant pas encore un genre en soi, Cohl continue à écrire des scénarios pour Gaumont ; il doit aussi mélanger séquences animées et scènes jouées par des acteurs : les Joyeux Microbes (1909), les Locataires d'à côté (id.), le Songe d'un garçon de café (1910). Ces obligations de production lui permettent, en un temps record, d'explorer toutes les possibilités de ce nouvel art. Il anime des volumes, des poupées : les Allumettes animées (1908), les Frères Boutdebois (id.), le Tout Petit Faust (1910), le Petit Chantecler (id.). Dans les Lunettes féeriques (1909), il est amené à se servir de silhouettes découpées dans du papier bristol qu'on fait se mouvoir ensuite.
En 1910, Cohl quitte Gaumont pour Pathé. Il se sépare de ce dernier l'année suivante et entre chez Éclair qui l'envoie, en 1912, dans sa succursale du New Jersey (É. -U.). Là-bas, il réalise treize films de la série Snookums (d'après une BD populaire de George McManus : l'histoire d'un bébé terrible, qui empoisonne la vie de ses parents, baptisé Zozor en France). Il revient à Paris en 1914, mais la concurrence, avec l'évolution du cinéma, y est très dure. Il travaille en 1916 avec le dessinateur Benjamin Rabier avant d'animer quatre épisodes des Aventures des Pieds Nickelés d'après Forton (1918).
Pendant ces dix années d'activité intense, l'apport d'Émile Cohl s'avère décisif pour plusieurs raisons. D'abord, c'est un bon conteur, chose plutôt rare dans le cinéma primitif. Il nous conditionne, par un postulat de base, généralement interprété par des acteurs (ce système sera repris, plus tard, par les frères Fleischer avec le succès que l'on sait), à pénétrer dans son univers magique de lignes et de formes. Un canevas « médical » nous prépare, dans les Joyeux Microbes, à nous immiscer dans le monde visuel des bactéries animées. Le penchant voyeuriste d'un vieux couple, décidé à assister aux ébats amoureux de deux jeunes gens, crée une agréable féerie (les Locataires d'à côté). La mise au point d'un instrument sophistiqué, le Binetoscope, sert, dans le film homonyme (1910), de prétexte à toute une série de variations polymorphes sur le visage humain, dont la fluidité graphique annonce, avec plus d'un demi-siècle d'avance, les travaux de Peter Foldès.
Cohl fait une place de choix, dans son œuvre, à l'introspection et aux fantasmes : rêves débridés d'un barman traduits, dans le Songe d'un garçon de café, d'une manière originale par l'animation de cartes postales ; désir chez un baron de trouver une âme-sœur le poussant à se faire lire les lignes du... pied (l'Avenir dévoilé par les lignes du pied, 1914) ; « psychanalyse » d'un malade par les restitutions plastique et symbolique de ses visions (le Retapeur de cervelles, 1911). Notons que dans le Peintre néo-impressionniste (1910) l'auteur développe une étrange iconographie présurréaliste.
Par les recherches graphiques et architecturales qu'il met au service de l'illustration de légendes ou de récits, Cohl fait considérablement avancer le langage cinématographique alors balbutiant. Les Douze Travaux d'Hercule, le Petit Chantecler, le Tout Petit Faust, les Aventures du baron de Crac (1909) mettent en place des fictions filmiques très modernes pour l'époque. Notons, pour terminer, qu'Émile Cohl recourt, pour créer son univers, à toutes les techniques de l'animation : marionnettes en bois, papiers découpés, double écran (les Locataires d'à côté) ; cartes animées (Affaires de cœur, 1909) ; gravures (les Douze Travaux d'Hercule), etc.
Les années 20 voient la fin des activités d'Émile Cohl, qui réalise quelques œuvres publicitaires pour Lortac (les Biscuits Myam Myam). Il meurt, dans l'indigence, le 20 janvier 1938 à l'hospice de Villejuif, après avoir signé quelque trois cents titres.
COHN (Harry)
producteur américain (New York, N. Y., 1891 - Los Angeles, Ca., 1958).
Fils d'un immigrant, il s'introduit dans le monde du spectacle comme chorus-boy, employé d'une maison d'éditions musicales et auteur de chansons. En 1918, il devient secrétaire du fondateur de l'Universal, Carl Laemmle. En 1920, il fonde avec son frère Jack et Joe Brandt sa propre maison de production, dont naîtra en 1924 la Columbia. Patron tout-puissant de cette dernière (1932), il se fait remarquer par sa vulgarité agressive et s'attire des haines nombreuses. Mais, doué d'un flair commercial très sûr et dénué de toute prétention intellectuelle, ce bourreau de travail laisse souvent une plus grande liberté à ses réalisateurs que certains de ses confrères. C'est ainsi que, dans les années 30, il fait entière confiance à Frank Capra, qui, en retour, permet à la Columbia de devenir une grande compagnie. On doit aussi à Harry Cohn l'ascension de Rita Hayworth. Il meurt après avoir pris l'une de ses rares décisions néfastes, le remplacement de Robert Aldrich par Vincent Sherman sur Racket dans la couture (1957). À quelqu'un qui s'étonnait de l'affluence à ses obsèques, Ben Hecht répliqua : « Ils ont tous voulu s'assurer qu'il était bien mort. »