ALLÉGRET (Yves)
cinéaste français (Asnières-sur-Seine 1905 - Jouarre Pontchartrain 1987).
Le frère de Marc Allégret est un marginal du groupe surréaliste, lié aux trotskistes. Membre du groupe Octobre, avec lequel il effectue la tournée de 1933 à Leningrad et à Moscou, longtemps assistant (d'Alberto Cavalcanti, de Jean Renoir, de son frère Marc), il dirige des courts métrages et des films publicitaires pendant les années 30. Son premier long métrage (Tobie est un ange, 1941) est détruit dans un incendie. Sa véritable carrière d'auteur commence à la Libération.
Entre 1945 et 1949, il réalise plusieurs longs métrages (interprétés par Simone Signoret, qui est alors son épouse et dont il a une fille, elle-même actrice sous le nom de Catherine Allégret) qui sont le meilleur de son œuvre. Il y retrouve le réalisme noir de l'avant-guerre, la désespérance des ports et des cafés enfumés, l'implacable pouvoir de l'argent, l'hypocrisie d'une société qui piétine la jeunesse et la beauté. Solidement charpentés par le scénariste Jacques Sigurd, ses films sont alors rigoureux, précis dans les détails du décor ou la mise en place des personnages secondaires.
Ce sont ces qualités mêmes, figées en poncifs, qui oblitèrent la suite de sa production, inégale et généralement décevante. On a dit de lui avec quelque légèreté qu'il était « le plus sartrien des réalisateurs français » , parce qu'il a adapté dans les Orgueilleux (1953, avec Gérard Philipe et Michèle Morgan) un scénario du philosophe existentialiste, et parce qu'on a cru retrouver dans ses meilleurs films un écho de ce pessimisme désabusé auquel une imagerie simplificatrice réduisait la pensée de Sartre dans les années 50. En fait, sa vision du monde est plus celle de Pierre Mac Orlan ou de Julien Duvivier que celle illustrée par la Nausée ou les Chemins de la liberté.
Après 1953, la carrière d'Yves Allégret oscille entre une générosité militante qui lui sied mal (la Meilleure Part, 1956 ; Germinal, 1963) et l'écho de ses anciens succès (Oasis, 1954, première production française en CinémaScope ; la Fille de Hambourg, 1958).
Films
Tobie est un ange (1941) ; les Deux Timides ([RÉ 1941], 1943) ; la Boîte aux rêves ([RÉ 1943], 1945) ; les Démons de l'aube (1946) ; Dédée d'Anvers (1948) ; Une si jolie petite plage (1949) ; Manèges (1950) ; Les miracles n'ont lieu qu'une fois (1951) ; Nez de cuir (1952) ; les Sept Péchés capitaux [la Luxure] (id.) ; la Jeune Folle (id.) ; les Orgueilleux (1953) ; Mam'zelle Nitouche (1954) ; Oasis (1955) ; la Meilleure Part (1956) ; Méfiez-vous fillettes (1957) ; Quand la femme s'en mêle (id.) ; la Fille de Hambourg (1958) ; l'Ambitieuse (1959) ; Chien de pique (1961) ; Terreur sur la savane [Konga Yo] (DOC, 1962) ; Germinal (1963) ; Johnny Banco (FR-IT-ALL, 1967) ; l'Invasion (1970) ; Orzowei (1975) ; Mords pas on t'aime (1976).
ALLEMAGNE.
La première manifestation du cinéma allemand se situe en 1895 au Jardin d'hiver de Berlin, avec le Bioscope des frères Skladanowsky, quelques mois avant la projection publique des frères Lumière à Paris. Jusqu'en 1910, pourtant, l'Allemagne n'aura pas d'industrie cinématographique. Cinémas ambulants et théâtres affichent des films italiens, français et américains auxquels on peut ajouter les premières tentatives nationales de Franz Porten, Kurt Stark ou Oskar Messter*. Parallèlement, des metteurs en scène de théâtre avant-gardiste, tel que Max Reinhardt*, manifestent intérêt et curiosité pour le nouvel art balbutiant. À la tête de la firme Projektion-AG Union, Paul Davidson fait appel à l'actrice danoise Asta Nielsen*, qui deviendra la première star des productions germaniques. Notamment dans Engelein (1913), qu'elle tourne sous la direction de son mari, danois lui aussi, Urban Gad*.
Les prémices du cinéma expressionniste.
Venu du théâtre, l'acteur Paul Wegener* réalise en 1913 l'Étudiant de Prague, en collaboration avec le metteur en scène danois Stellan Rye*. « L'Étudiant de Prague introduisit à l'écran un thème qui allait devenir une obsession du cinéma allemand, écrit Siegfried Kracauer* dans son De Caligari à Hitler : un intérêt profond et effrayant pour les fondements mêmes de l'être. » Et Lotte H. Eisner souligne, dans l'Écran démoniaque, que « l'histoire, empreinte de mysticisme, est celle du redoutable double qui hantait déjà le romantisme allemand ».
De son côté, Max Reinhardt tourne à Corfou avec sa troupe l'Île des bienheureux (Die Insel der Seeligen, 1913), fête galante et pantomime érotique où gambadent nymphes et dieux, plus en quête de luxure que de spiritualité. L'Autre (Der Andere, 1913), de Max Mack, sur le thème du double, le Golem (1914), de Paul Wegener et Henrik Galeen*, et Homunculus (id., 1916), de Otto Rippert*, marquent pour longtemps l'ancrage de la production dans la manière expressionniste.
« C'est avec ce film que j'ai pénétré plus profondément dans le domaine du cinéma pur, déclare Paul Wegener à propos du Golem. Tout y dépend de l'image, d'un certain flou où le monde fantastique du passé rejoint le monde du présent. Je me rendis compte que la technique de la photographie allait déterminer la destinée du cinéma. La lumière, l'obscurité jouent au cinéma le rôle que jouent le rythme et la cadence en musique. »
Jusqu'à la fin de la guerre, la production allemande reste dominée par la compagnie danoise Nordisk. C'est pour lutter contre la concurrence étrangère que le gouvernement encourage le regroupement de l'industrie cinématographique nationale. Cette volonté donnera naissance à la création, fin 1917, de l'Universum Film Aktiengesellschaft, autrement dit : l'UFA*, qui jouera un rôle capital dans l'histoire de cinéma allemand sous la direction du producteur Erich Pommer*.
Longtemps membre de la troupe de Max Reinhardt, le Berlinois Ernst Lubitsch* est pourtant moins sensible que les autres cinéastes allemands à son influence, humour juif oblige. Madame du Barry (1919), avec Pola Negri*, comme Anne Boleyn (1920) feront de lui le spécialiste de l'Histoire chatoyante et romancée en costumes d'époque. Le premier connaîtra un triomphe à New York, forçant le blocus établi par les pays vainqueurs à l'encontre de la production allemande. À la suite de Lubitsch, d'autres réalisateurs se lancent à leur tour dans le grand spectacle. C'est le cas tout spécialement de Dimitri Buchowetzki*, dont le Danton (1921), inspiré du drame de Georg Büchner, manifeste une dramaturgie en crescendo jusqu'aux plans ultimes de la montée à l'échafaud. Le cas aussi de Richard Oswald* dans Lucrèce Borgia (1922), d'Arthur von Gerlach* (Vanina, id.), ou d'Arzen von Cserépy* (Fridericus Rex, id.).