Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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LEWIN (Albert)

cinéaste et producteur américain (Newark, N. J., 1894 - New York, N. Y., 1968).

Il est l'une des figures les plus énigmatiques de la constellation hollywoodienne, mêlant à un sens très sûr des affaires un dilettantisme de grand seigneur et une passion pour la peinture surréaliste. On imagine mal que l'homme qui a produit la Malle de Singapour (T. Garnett, 1935) et les Révoltés du « Bounty » (F. Lloyd, id.) se lance dans la réalisation d'une œuvre d'avant-garde telle que Pandora (Pandora and the Flying Dutchman, 1951). S'entourant de moyens considérables et d'une distribution choisie, il parvint à injecter une dose massive d'esthétisme à la grande production commerciale. Ce fut d'abord The Moon and Sixpence (1942), une vie romancée de Gauguin, d'après Somerset Maugham ; puis le célèbre Portrait de Dorian Gray (The Picture of Dorian Gray, 1945), adaptation raffinée du roman d'Oscar Wilde ; The Private Affairs of Bel-Ami (1947), recréation intelligente de l'œuvre de Maupassant, avec une reconstitution d'époque scrupuleuse ; enfin son chef-d'œuvre, Pandora, transposition de la légende du Hollandais volant dans l'Espagne du flamenco et de Salvador Dalí, illuminé par la présence d'Ava Gardner : un film qui jouit d'un prestige durable auprès des cinéphiles français. Ses deux derniers films, Saadia (id., 1953), à l'exotisme trop fabriqué, et The Living Idol (1957), confuse histoire de réincarnation d'une princesse mexicaine, ont été à peine distribués. « Il est difficile, écrit Max Tessier, de déceler dans cette œuvre autre chose que la propre satisfaction d'un aboutissement de l'art pour l'art, ou d'un talent distingué partagé par cet autre aristocrate de la pellicule qu'est George Sanders » – l'acteur favori de Lewin. ▲

LEWIS (Joseph Levitch, dit Jerry)

acteur et cinéaste américain (Newark, N. J., 1926).

Issu d'une famille de comédiens de culture juive, ce qui marquera son œuvre, il est renvoyé à quinze ans du collège. Dès 1941, ses dons de comique se manifestent et, en 1942, il met au point un numéro de mimes et d'imitations sur un accompagnement enregistré, puis paraît dans les attractions des cinémas de la chaîne Paramount. En 1946, alors que Lewis travaille depuis peu au Club 500 à Atlantic City, un autre débutant de cabaret, Dean Martin, son aîné de neuf ans, se produit comme chanteur de charme. À la suite d'un quiproquo, les deux comédiens se retrouvent ensemble sur scène : le tandem Lewis-Martin est né. À la fin des années 40, ils forment le couple comique le plus populaire des États-Unis, tant à la scène qu'à la télévision. Le cinéma ne tarde pas à s'intéresser à eux et, en 1949, remarqués par le producteur Hal Wallis de la firme Paramount, ils débutent à l'écran comme faire-valoir de l'actrice Marie Wilson dans Mon amie Irma (My Friend Irma, G. Marshall, 1949). Ce n'est qu'avec le Soldat récalcitrant (At War With the Army, Hal Walker, 1951), leur troisième rôle, que les deux compères tourneront leur premier film en tant que vedettes. Ensemble ils interpréteront plusieurs autres films. Ainsi, Norman Taurog confiera à Lewis un rôle d'artiste de variétés dans Parachutiste malgré lui (Jumping Jacks, 1952) et celui d'un faux bambin très turbulent réfugié dans une école de jeunes filles dans Un pitre au pensionnat (You're Never Too Young, 1955). Après sa collaboration avec Frank Tashlin et le succès des interprétations qui suivirent, Lewis commence à entrevoir la possibilité de faire cavalier seul. Déjà dans Artistes et Modèles (Tashlin, 1955), où il incarne un fanatique de comics hanté par la lecture des bandes dessinées, il éclipse largement Martin. Pour la dernière fois, ils joueront ensemble dans Un vrai cinglé de cinéma (id., 1956), où Lewis joue le rôle d'un cinéphile ravagé par le mythe hollywoodien. En juillet 1956, le tandem se sépare définitivement. Totalement polyvalent dans le show-business, Lewis, après la radio, la télévision, le music-hall et le cinéma, se lance dans la chanson et dans le disque. Dès lors qu'il est seul, il prend le métier de comique avec plus de professionnalisme. Rapidement, il deviendra producteur et scénariste d'un bon nombre de ses films, avant de devenir son propre metteur en scène. Pour son premier rôle en solo, Lewis donne à son personnage une dimension nouvelle : avec le Délinquant involontaire (The Delicate Delinquent, Don McGuire, 1957), il cherche à interpréter le phénomène de la délinquance où le rire ne dissimule pas complètement l'émotion sous-jacente. Son travail de créateur est d'abord découvert en Europe et notamment en France, où, sous l'impulsion de quelques critiques de Positif (Robert Benayoun, naturellement) et des Cahiers du cinéma, il est élevé au rang d'auteur. Avant de réaliser lui-même son premier film, il tournera encore, essentiellement sous la direction de Tashlin, Trois Bébés sur les bras (1958), ou la difficulté d'être une « mère » parfaite, le Kid en kimono (id.), fable particulièrement destinée aux enfants, et surtout Cendrillon aux grands pieds (1960), où Lewis incarne le timide laideron qui pour une nuit deviendra un sublime séducteur. Désormais grande vedette de la Paramount, Lewis prend à partir de cette époque des positions à caractère humaniste, tenant un rôle de démocrate engagé. 1960 marque surtout pour Lewis la date de sa première réalisation officielle, à partir de laquelle il dévoile effectivement des dons de cinéaste dans le Dingue du palace. Il y incarne un groom maladroit et muet, qui, face à chaque situation, déclenche une série de catastrophes. Sa deuxième réalisation, le Tombeur de ces dames (1961), plus virulente, conte les déboires d'un célibataire timide enfermé dans une pension pour dames. Filmé dans un décor gigantesque, le Tombeur... reste une des œuvres majeures de Lewis. La même année, il tourne le Zinzin d'Hollywood, enchaînement de gags racontant l'histoire d'un innocent garçon de courses de studio qui, par sa maladresse destructive, provoque d'innombrables désastres dans les coulisses du cinéma. Dans Docteur Jerry et Mister Love (1963), parodie du roman de Stevenson si souvent exploité, une potion magique transforme un professeur timide et complexé en un odieux play-boy. Le thème du dédoublement de personnalité sert habilement cette satire corrosive des mœurs américaines. Il se retrouve simple acteur dans Un chef de rayon explosif (Tashlin, 1963). Avec Jerry souffre-douleur (1964), il signe une œuvre très inattendue, entièrement fondée sur des effets comiques totalement ratés. Après ce film miroir, où Jerry avec force parodies regarde Lewis et Hollywood, Tashlin à nouveau dirige le comédien dans Jerry chez les cinoques ; celui-ci, infirmier dans une luxueuse clinique psychiatrique, déclenche une série de gags souvent outrés, dont la démesure s'enfle avec la gravité de l'état des malades. Dans les Tontons farceurs (1965), il incarne successivement sept personnages différents dans des séquences indépendantes : aidée par un chauffeur au grand cœur, maladroit et complexe, une petite fille milliardaire doit se choisir un tuteur parmi six oncles tous plus étranges les uns que les autres. Après ce film d'une tendresse au fond cruelle, Lewis quitte officiellement la Paramount pour la Columbia. Trois sur un sofa (1966) tente alors de rompre avec son personnage habituel, mais s'inspire des plus banales comédies boulevardières bâties sur le système du quiproquo, et il faut le brio de Lewis, interprétant sans fard quatre personnages différents, pour sauver cette comédie incertaine. Il dirige ensuite Jerry la grande gueule (1967), parodie policière tournée en extérieurs, où un pêcheur timide est entraîné dans une aventure rocambolesque. Dirigé quelque temps sans grande efficacité par d'autres, Lewis réalise en 1970, en Grande-Bretagne, One More Time, remplaçant au pied levé le metteur en scène prévu par la production. Ya, ya mon général (1970) veut être un hommage à Chaplin, un défi à tous les racismes du monde, fable politique qui vaut à Lewis, lors de son voyage en France, et notamment après son passage à l'Olympia à Paris en 1971, un accueil enthousiaste. Puis, pendant près de dix ans, il va, surtout pour des raisons de santé, disparaître de l'écran. En 1979, il réalise Au boulot Jerry, pur film à gags, moins ambitieux que certaines œuvres précédentes, mais dont l'histoire, amère et drôle à la fois (il s'agit d'un clown au chômage), prouve que Lewis a renoué avec son talent. Mais il faudra attendre 1983 pour retrouver le Lewis des années 60, prolifique, inventif, singulier. Simple acteur dans la Valse des pantins (M. Scorsese, 1982), où, dans un rôle de star agressée, il joue dans le registre dramatique, il enchaîne avec Slapstick (Steven Paul, 1983), où il apparaît sous un maquillage étonnant. Avec la verve de ses débuts, il signe, en 1983, T'es fou Jerry, satire de la société américaine en proie à la psychanalyse. Enfin, outre les films déjà cités, et les nombreuses émissions de télévision auxquelles il a participé, Lewis est également apparu comme acteur dans une dizaine d'autres films parmi lesquels Cookie (S. Seidelman, 1989) ; Mr. Saturday Night (Billy Crystal, 1992) ; Arizona Dream (E. Kusturica, 1992) ; Funny Bones (Peter Chelsom, 1995). On lui pardonnera de s'être fourvoyé dans deux films français : Retenez-moi ou je fais un malheur (Michel Gérard, 1984) et Par où t'es rentré on t'a pas vu sortir (Ph. Clair, id.). Son comique grimacier (pour certains systématiquement « débile »), et souvent outrancier, se veut en fait héritier de la tradition burlesque américaine, et non sans références à des personnages typiques de la comédie juive. Son image de maladroit et d'inadapté représente à la fois le type du « Schlemiel » et celui du « Schlimazel » de la tradition yiddish, victime de la vie et poursuivi par une malchance qui lui colle à la peau.