Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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DIETRICH (Maria Magdalena Dietrich, dite Marlene) (suite)

Si elle n'est pas une énigme, Marlene Dietrich est, néanmoins, un miracle de jeunesse et de glamour. Depuis 1930, sans défaillance, elle symbolise le mot même de « glamour » : élégance suprême de l'artifice et de la composition. Son physique et la partie visible de sa personnalité, elle-même et Sternberg les ont fabriqués. On sent que tout a été minutieusement calculé. Mais quelle merveilleuse réussite ! Elle est un objet, disent ses détracteurs, mais un objet d'art, serait-on tenté de répondre, dont elle serait aussi l'auteur. Ses joues si joliment émaciées qui révèlent une mâchoire aussi volontaire que séduisante, cette bouche dessinée au rouge, ces faux cils démesurés, ces sourcils suspendus en surprise, cette silhouette fine, ces jambes dont elle joue comme un musicien virtuose et ces costumes de rêve, issus des plus folles audaces d'un Travis Banton ou d'un Jean-Louis, faits d'air, de plumes et de mousseline, qu'elle seule peut porter sans ridicule, tout cela est l'œuvre d'un créateur : Marlene Dietrich, que Sternberg n'a fait que révéler à elle-même.

L'actrice ne souffre-t-elle pas de cette artificialité ? Absolument pas, pour peu que l'on ait une vision assez large et souple de ce qu'est une actrice de cinéma. Marlene Dietrich ne provoque pas le rire et les larmes en s'identifiant à un personnage. Elle est tout autre chose. Si elle provoque une émotion, elle en est le seul objet : rien n'existe entre elle et le public, pas même le personnage. Le public vient voir Marlene Dietrich et Marlene Dietrich lui donne exactement ce qu'il veut : du rêve, du glamour, de la sensualité, de la poésie en fait. Marlene Dietrich n'est pas vraiment une actrice ni une chanteuse. Mais elle est un poète. Création de poète, cette gitane malicieuse que la crasse embellit et exalte et que ses haillons transfigurent (les Anneaux d'or, M. Leisen, 1947). Création de poète, cette Bijou Blanche croulant sous l'artifice, cachée sous les boas, les dentelles, les ombrelles et les moustiquaires, parodie de la Marlene sternbergienne, dansla Maison des sept péchés. Touche poétique, cette voix basse à force d'acharnement, que Marlene Dietrich manie comme un murmure et qui donne à la phrase la plus anodine des sous-entendus merveilleux. Touche poétique encore, cette manière unique d'allumer une cigarette et de jouer avec sa fumée. Touche poétique enfin, ce trait de génie qui juxtapose l'artifice de la femme à sa réalité : Marlene Dietrich, peinte et coiffée pour le cinéma, en tablier blanc de ménagère, jouant à la dînette dans l'Entraîneuse fatale.

De plus, Marlene Dietrich est une actrice de métier ; limitée, peu expressive, mais cela ne la gêne guère. Que l'on considère un instant comment elle distribue ses sourires, un haussement de sourcil, ou un arrondi des lèvres, et l'on réalisera qu'elle est une actrice consommée. Des cinéastes de génie ne s'y sont pas trompés. Sternberg d'abord, qui nous en offrit de multiples visages : théâtreuse cruelle (l'Ange bleu) ; aventurière amoureuse (Cœurs brûlés) ; espionne protéenne (X. 27) ; femme perdue (Shanghai Express) ; mère et prostituée (Blonde Vénus) ; impératrice de Russie (l'Impératrice rouge) ; séductrice un rien sadique (la Femme et le Pantin). Voilà autant de créations improbables et changeantes qui ne sont que différents portraits de Marlene Dietrich. Billy Wilder lui offrit un rôle dramatique dont elle se tira avec adresse (Témoin à charge), après lui avoir proposé peut-être son plus beau rôle d'actrice, celui de la chanteuse désabusée dans le Berlin du marché noir, dans la Scandaleuse de Berlin (1948), une création d'un humour, d'une délicatesse et d'une élégance infinis. Alfred Hitchcock la choisit à merveille pour incarner le mensonge et l'illusion du spectacle dans le Grand Alibi (1950), où elle chantait la Vie en rose. Enfin, Fritz Lang en fit la femme-légende, mystérieuse et meurtrie, de l'Ange des maudits (1952).

Marlene Dietrich a eu toutes les chances. Ce qui est incroyable, c'est qu'elle a réussi à n'en gâcher aucune, et qu'elle l'a fait en conservant son humour, son sourire ravageur, sa beauté, défiant tout le monde et le temps, les mains victorieuses posées sur ses hanches.

Films :

le Petit Napoléon / Les hommes sont ainsi / le Petit Frère de Napoléon (Der kleine Napoleon / So sind die Männer / Napoleon kleiner Bruder, G. Jacoby, 1923) ; la Tragédie de l'amour (J. May, id.) ; la Carrière (Der Mensch am Weze, W. Dieterle, id.) ; le Saut dans la vie (Der Sprung ins Leben, Johannes Guter, 1924) ; Manon Lescaut (A. Robison, 1926) ; Une Du Barry moderne (Eine Du Barry von Heute, A. Korda, id.) ; Madame ne veut pas d'enfants (Madame wünscht keine Kinder, id., id.) ; Tête haute Charlie ! (Kopf hoch Charly !, Dr Willi Wolff, id.) ; le Baron imaginaire (Der Juxbaron, id., id.) ; Son plus grand bluff (H. Piel, 1927) ; Filles d'amour / Quand une femme dévie (Cafe Elektric / Wenn ein Weib den Weg verliert, G. Ucicky, id.) ; Princesse Olala (Prinzessin Olala, Robert Land, 1928) ; Ce n'est que votre main, madame (Ich küsse Ihre Hand, Madame, id., 1929) ; la Femme que l'on désire (K. Bernhardt, id.) ; le Navire des hommes perdus (M. Tourneur, id.) ; Dangereuses Fiançailles (Gefahren der Brautzeit, Fred Sauer, id.) ; l'Ange bleu (J. von Sternberg, 1930) ; Cœurs brûlés (id., id.) ; X. 27 (id., 1931) ; Shanghai Express (id., 1932) ; Blonde Vénus (Blonde Venus, id.) ; Cantique d'amour (R. Mamoulian, 1933) ; l'Impératrice rouge (von Sternberg, 1934) ; la Femme et le Pantin (id., 1935) ; Désir (F. Borzage, 1936) ; I Loved a Soldier (H. Hathaway, id. ; inachevé) ; le Jardin d'Allah (R. Boleslawski, id.) ; le Chevalier sans armure (J. Feyder, 1937) ; Ange (E. Lubitsch, id.) ; Femme ou Démon (Destry Rides Again, G. Marshall, 1939) ; la Maison des sept péchés (T. Garnett, 1940) ; la Belle Ensorceleuse (R. Clair, 1941) ; l'Entraîneuse fatale (R. Walsh, id.) ; Madame veut un bébé (The Lady is Willing, M. Leisen, 1942) ; les Écumeurs (The Spoilers, R. Enright, id.) ; Pittsburgh (L. Seiler, id.) ; Hollywood parade (Follow the Boys, E. Sutherland, 1944) ; Kismet (id., W. Dieterle, id.) ; Martin Roumagnac (G. Lacombe, 1946) ; les Anneaux d'or (Golden Earrings, Leisen, 1947) ; la Scandaleuse de Berlin (B. Wilder, 1948) ; l'Ange de la haine (Jigsaw, caméo, Fletcher Merkle, 1949) ; le Grand Alibi (A. Hitchcock, 1950) ; le Voyage fantastique (No Highway /No Highway in the Sky, H. Koster, 1951) ; l'Ange des maudits (F. Lang, 1952) ; le Tour du monde en 80 jours (Michael Anderson, 1956) ; Une histoire de Monte-Carlo (The Monte Carlo Story, Samuel A. Taylor, 1957) ; Témoin à charge (Wilder, 1958) ; la Soif du mal (O. Welles, id.) ; Jugement à Nuremberg (S. Kramer, 1961) ; Black Fox (DOC [rôle de la narratrice], Louis Clyde Stoumen, 1962) ; Deux Têtes folles (caméo, R. Quine, 1964) ; Gigolo (Schöner Gigolo / Just a Gigolo, David Hemmings, 1978).