Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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ROGOCHKINE (Aleksandr) [Aleksandr Rogoškin]

cinéaste russe (Leningrad 1949).

Après avoir étudié l'art et l'histoire à l'Université de Leningrad et à l'Institut Pédagogique Herzen, il est élève de Guerassimov au V.G.I.K. de Moscou de 1977 à 1981 d'où il sort diplômé avec le court-métrage Ryžaja, Ryžaja. Son troisième film de fiction le Garde (Karaul, 1989) lui apporte la renommée et il s'impose dès lors comme un représentant talentueux de la « vague » russe qui se forme et prend son essor pendant la perestroika. Il tourne successivement le Tchekiste (Čekist, 1990), la Vie avec un idiot (Žizn' idiotom, 1993) d'après l'œuvre éponyme de Viktor Erofeyev, Particularités d'une chasse nationale (Osobennosti nacional'noj ohoty, 1994), Opération Joyeux Nouvel An (Operacija s novym godom, TV, 1996), Particularités d'une pêche nationale (Osobennosti nacional'noj rybalki, 1998), Chekpoint (id.) qui montre à la manière d'un documentaire la folie et l'absurdité d'une guerre située à notre époque quelque part dans le Caucase.

ROGOSIN (Lionel)

cinéaste et producteur américain (New York, N. Y., 1924 - Santa Monica, Ca. 2000).

Fils d'un industriel, il étudie la chimie à l'université de Yale et sert dans la marine durant la Seconde Guerre mondiale. Influencé par Robert Flaherty et le néoréalisme italien, profondément humaniste dans la tradition de toute une littérature américaine (de Jack London à Dos Passos), Lionel Rogosin marque, avec son premier film, On the Bowery (1956), une étape au sein du cinéma documentaire de son pays. Dans cette peinture complice mais crue de la vie de quelques clochards new-yorkais, Rogosin — comme cela devient le cas dans ses films ultérieurs — témoigne, à travers un mélange de cinéma direct et de fiction, pour une autre Amérique : celle des oubliés auxquels « l'industrie du rêve » n'accorde ni image ni parole sur ses écrans. En 1959, le cinéaste élabore, clandestinement, en Afrique du Sud, Come Back Africa, qui stigmatise avec une rare lucidité les déboires affectifs, humains et professionnels que rencontre un Noir au pays de l'apartheid. L'expérience de ces deux films, qui sont des témoignages sociologiques, conduit Rogosin à prendre conscience que sa pratique vise à attaquer le pouvoir, tous les pouvoirs (économiques, politiques...). Il met à nouveau, dans Good Times, Wonderful Times (1966), tourné à Londres, en parallèle fiction et images d'archives : lors d'une soirée entre bourgeois, les convives évoquent divers problèmes dont celui de la guerre. Par un montage judicieux, l'auteur dénonce l'inconscience de ces nantis.

Lionel Rogosin aborde, déjà, dans Come Back Africa, le sort des Noirs dans une société ségrégationniste. Ce sujet le préoccupe car les hommes de couleur représentent partout les rejetés de l'histoire. Le cinéaste leur consacre une trilogie, Black Roots (1970) — cinq Noirs des deux sexes évoquent leurs difficultés au sein de la société américaine —, Black Fantasy (1972), qui tourne autour des confessions du musicien Jim Collier, et Woodcutters of the Deep South (1973). Ce dernier opus est le moins inventif au niveau de la forme, c'est presque un document brut sur la tentative de création d'une coopérative par des bûcherons noirs et blancs en Alabama, afin de défendre leurs intérêts face aux grandes compagnies.

Rêvant d'une solution de paix au Moyen-Orient, Rogosin filme, en 1973, la confrontation entre deux de ses amis écrivains, l'Israélien Amos Kenan et le Palestinien Rachid Hussein, dans Dialogue arabo-israélien. Lionel Rogosin est le producteur de tous ses films (Good Times, Wonderful Times a été cofinancé par James Vaughan). Il fonde, en 1960, une salle de répertoire, le « Bleecker Street Cinema », qu'il dirige jusqu'en 1974, et, en 1966, une compagnie de distribution de bandes militantes, « Impacts Films  », qui arrête ses activités en 1978.

ROHMER (Jean-Marie Maurice Schérer, dit Éric)

critique et cinéaste français (Tulle 1920).

Critique pour diverses revues spécialisées (les Temps modernes, la Gazette du cinéma, la Revue du cinéma, Arts, etc.), puis rédacteur en chef des Cahiers du cinéma de 1957 à 1963, Éric Rohmer est d'abord, durant les années 50, l'auteur d'articles subtils sur Rossellini, Hawks, Renoir ou Mizoguchi et le signataire, avec Claude Chabrol, d'un essai sur Hitchcock (1957). Paradoxalement, puisqu'il est à la fois l'aîné du groupe issu des Cahiers et le premier à se lancer (dès 1950) dans la réalisation, il est aussi celui qui devra attendre le plus longtemps pour se voir reconnaître hors des cercles de cinéphiles avec Ma nuit chez Maud (1969). Universitaire (il a publié une thèse de doctorat sur l'Organisation de l'espace dans le « Faust » de Murnau), il partage toujours son activité entre l'enseignement du cinéma à l'université et la réalisation de ses propres films, après avoir signé de nombreuses émissions pour la télévision scolaire (1964-1969).

Une première phase de sa carrière, exploratoire et peu déterminée encore, comprend aussi bien de courts essais qu'une fable morale très personnelle : le Signe du Lion (1962 [1959]), dont la vision du Paris désert de l'été annonce déjà l'intérêt extrême que portera Rohmer aux lieux et aux temps où il situe ses intrigues. Outre une série de films réalisés pour la télévision et quelques courts métrages, son œuvre s'organise ensuite pour l'essentiel en deux cycles clairement identifiés en emprunt à la littérature : Six Contes moraux (1962-1972) et Comédies et Proverbes (depuis 1980), qui explorent avec autant d'humour que de rigueur les champs de la foi, de l'éthique et des valeurs sociales. Ainsi les Six Contes moraux se présentent-ils comme une série de variations où, de chroniques hivernales en comédies estivales, les protagonistes confrontent l'apparente liberté de leurs actes aux exigences de leur morale et se cherchent quelque part entre la foi chrétienne, le pari pascalien, la certitude mathématique et la tentation libertine. Tranquillement à contre-courant des modes, Rohmer en fait un ensemble brillant et secret, uniformément commenté à la première personne.

Poursuivant cette quête morale en la doublant d'un débat sur les notions de transparence (au sens où l'entendait Bazin) et de représentation, Rohmer entreprend ensuite la transposition à l'écran d'une nouvelle de Kleist (dont il dirigera trois ans plus tard pour le théâtre et la télévision Catherine de Heilbronn), la Marquise d'O... (1976). Il s'inspire de la peinture romantique, de ses formes et de sa lumière, pour « rendre l'œuvre à son temps » et en resituer le pathos dans les artifices de la représentation. De même, Perceval le Gallois (1979) conserve l'octosyllabe rimé et la représentation non perspective du Moyen Âge pour retrouver l'esprit de l'œuvre de Chrétien de Troyes (déjà traitée par Rohmer quinze ans plus tôt à la TV) dans une fidélité audacieusement littérale qui tourne le dos aux conventions du « réalisme » cinématographique. Inversement, le cycle des Comédies et Proverbes accepte une modernité sans références éthiques ni religieuses. Non sans égarements, les personnages de la Femme de l'aviateur (1981), le Beau Mariage (1982), Pauline à la plage (1983), les Nuits de la pleine lune (1984), le Rayon vert (1986) et l'Ami de mon amie (1987) tentent d'accorder leur désir amoureux non plus à des exigences spirituelles, mais aux normes d'une société bourgeoise. Nouvelle éducation sentimentale où la liberté, le libertinage et le mariage constituent des modèles imaginaires et idéologiques. Contrepoint nécessaire des Contes moraux dans leur exploration des règles d'un jeu nouveau qui n'exclut aucun possible, les Comédies et Proverbes s'interrogent sans pesanteur aucune sur la substitution à une morale d'un système de normes sociales. À la voix off des Contes, commentaire distancié des comportements et des choix, se substituent des dialogues omniprésents. Reste, dans les Comédies comme dans les Contes, un effacement de la représentation qui passe par l'acceptation paisible des conventions de la fiction pour mieux traquer une vérité fugitive dans la justesse d'une lumière, d'un lieu, d'un moment, le grain d'une peau ou la grâce inattendue d'un mouvement. En 1990, Éric Rohmer propose un nouveau cycle : les Contes des quatre saisons. Le premier volet, Conte de printemps, cerne avec transparence et équilibre les élans du cœur et les conversations d'une certaine jeunesse contemporaine. Il s'agit là, peut-être, d'un nouvel exemple de comédie sentimentale à la française, à peine voilée d'amertume, une manière de filmer à la fois discrète et efficace qui permet au dialogue — même le plus banal — et au jeu limpide des acteurs de s'inscrire dans l'ordre paisible des choses.