Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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SEMBÈNE (Ousmane)

écrivain et cinéaste sénégalais (Ziguinchor, AOF [auj. Sénégal], 1923).

Élevé surtout près d'un oncle « érudit en arabe et en français », Sembène quittera sa Casamance natale pour faire 36 métiers : pêcheur, mécanicien, docker dix ans à Marseille : son premier livre, Docker noir, est de 1957 ; les Bouts de bois de Dieu de 1960 ; le Mandat de 1966 ; Xala de 1973. Il adaptera ces deux derniers à l'écran. Grâce à une bourse d'études, il peut en effet suivre l'enseignement de Donskoï au studio Gorki de Moscou. S'il ne cesse pas d'écrire, il prend conscience que le film peut atteindre un plus large public, et plus directement. Se refusant à copier les modèles occidentaux ou soviétiques, Sembène tente de retrouver par le récit visuel l'art des griots. Le film peut devenir l'héritier de la culture orale, se faire l'inventeur d'une nouvelle mémoire. Parti du fait divers (ou du mélo néoréaliste : Borom sarrett, 1962), il tourne la Noire de..., premier long métrage — 65 min — d'un cinéaste africain noir : prix Jean-Vigo, couronné aux ICC de Tunis, à Dakar. L'œuvre va se développer avec une régularité qui est plus le fruit de l'obstination que de la facilité : le Mandat (Mandabi, 1968), comédie charmante, vive, piquante, sur les illusions et la passivité des bonnes gens ; Emitaï (1971), reconstitution accusatrice d'une sanglante répression coloniale en 1942 ; Xala (1974), satire un peu pesante de la nouvelle bourgeoisie d'affaires et des mœurs politiques ; Ceddo (1977), où se conjuguent le verbe et une poétique de l'espace ; Camp de Thiaroye (CO Thierno Faty Sow, 1988), brûlot anticolonialiste qui évoque la fin de l'année 1944 et le retour plein d'amertume dans leur patrie des « tirailleurs sénégalais ». Sembène a retrouvé le sens, la vigueur, l'intemporalité de la fable (fable accusatrice ou fable symbolique comme nous apparaîtra Guelwaar, tourné en 1992). La saveur et la vérité de son œuvre viennent sans doute aussi de ce qu'il est lui-même « ceddo », selon la définition qu'il en donne (in CinémAction 3, 1978) : « homme de refus », « jaloux de sa liberté absolue » — il ajoute que c'est aussi être un « guerrier » et « avoir l'esprit caustique ». Le cinéma ne lui est pas un outil de propagande, chargé de faire voir des « pancartes ». C'est un mode d'expression qui a ses lois. Ses films ont les leurs, sous une apparente nonchalance africaine ; ils sont aussi un hommage à la femme sénégalaise ; la tolérance s'y fortifie d'ironie, et plus encore d'humour (langues : ouolof et français).

Autres films :

Niaye (CM, 1963) ; Taw (1970) ; Basket africain aux Jeux Olympiques de Munich (CM, 1972) ; l'Afrique aux Olympiades (id., id.). ▲

SEMON (Larry)

cinéaste et acteur américain (West Point, Miss., 1889 - Victorville, Ca., 1928).

Bien que méconnu, il est un des plus grands poètes du burlesque muet. D'abord caricaturiste pour les journaux, il est engagé en 1916 par la Vitagraph pour tourner des courts métrages, qui lui valent un succès inespéré. Devenu son propre producteur, presque aussi célèbre que Chaplin, Keaton ou Lloyd, Semon décline cependant aussi vite qu'il est monté — le passage du court au long métrage lui étant défavorable — pour finalement déposer son bilan en 1928. Il meurt cette même année avant d'atteindre la quarantaine.

Ses courts métrages, aussi frénétiques que les premiers Lloyd, aussi exhibitionnistes que les meilleurs Chaplin, sont dans la lignée « sennettienne » du burlesque ; systématiquement et superbement excessifs, dans le gag comme dans le rythme. Ils rapprochent plus que jamais le burlesque du surréalisme, par la préférence absolue qu'ils donnent, au détriment de l'anecdote ou de la cohérence, à la magie de l'image. Accumulant des chutes, des bagarres et des poursuites hallucinantes en accéléré, Semon a simultanément recours, plus fréquemment qu'un autre, à un certain nombre d'éléments répétitifs (accessoires, situations, personnages) qui évoquent l'œuvre obsessionnelle d'un Dali. Un climat légèrement scabreux, dû autant à l'érotisme de certains gags qu'à l'allure inquiétante de l'acteur, complète le tableau. Son visage blafard d'imbécile au sourire perpétuel, ses pantalons trop vastes lui valurent en France le surnom de Zigoto. Un de ses rôles mémorables reste celui de l'épouvantail dans sa version de 1925 du Magicien d'Oz (The Wizard of Oz). Comme acteur, il joue une dernière fois dans les Nuits de Chicago (J. von Sternberg, 1927). Ses habitudes de tournage dispendieuses et son manque de considération pour une certaine retenue, dans le mauvais goût ou l'audace, expliquent en partie son échec dans les affaires.

Principaux films

(à la fois acteur et réalisateur) : Rough Toughs and Roof Tops (1917) ; Plagues and Puppy Loves (1918) ; Bears and Bad Men (1919) ; Passing the Buck (id.) ; Between the Acts (1921) ; The Sportsman (CO N. Taurog, id.) ; The Sawmill (1922, id.) ; The Fly Cop (CO Mort Peebles, 1923) ; The Gown Shop (1924) ; The Barnyard (id.) ; Trouble Between (CO James Davis, 1925) ; Kid Speed (CO Noël Mason Smith, id.) ; The Girl in the Limousine (id.) ; Spuds (1927).

SEN (Mrinal)

cinéaste indien (Faridpur, Bengale oriental [auj. Bangladesh], 1923).

Il tâte d'abord de la critique, écrit en bengali un livre sur Chaplin puis, à partir de 1955, devient cinéaste. Il acquiert une bonne formation politique, ayant milité dès ses années d'étudiant dans la gauche marxiste. Sa carrière de cinéaste, contrairement à celle de Satyajit Ray, est d'abord « incertaine, changeante, désespérée ». Ses premiers films, qui tentent de s'intégrer dans le cadre du cinéma commercial bengali, sont des échecs sur tous les plans. ‘ Les Nuages dans le ciel ’ (1965), son premier film vraiment important, raconte l'histoire d'un rêveur désespéré qui tente de rompre les barrières de classe par le moyen du mariage. Avec ‘ Mr. Shome ’ (1969), produit grâce à un prêt de la Film Finance Corporation, il frappe le coup d'envoi de la « nouvelle vague » indienne. Ce film sur l'irrespect (un cadre de la compagnie des chemins de fer découvre la nature, l'humour, la vie) se veut « une gifle appliquée à la face du système ». À la fois gauchiste et avant-gardiste (son goût pour les recherches formelles), il s'impose comme le provocateur le plus radical du cinéma indien. Sa fougue vise à déranger le spectateur. Il consacre à la métropole du Bengale sa « trilogie de Calcutta » : ‘ Interview ’ (1971), Calcutta 71 (1972), ‘ le Fantassin ’ (1973), œuvre politique influencée par Brecht et Godard, et consacrée aux problèmes du chômage, de la misère et du gauchisme. ‘ Histoire inachevée ’ (1971) évoque la répression des grèves dans les usines sucrières du Bihar à la fin des années 20. Ses films suivants, qui se concentrent sur la question de la misère, qui manifestent l'approfondissement progressif de sa réflexion sur le cinéma, lui permettent d'acquérir une position internationale. ‘ Le Chœur ’ (1974) dénonce, par le biais de l'apologue, l'exploitation du prolétariat urbain. ‘ La Chasse royale ’ (1976), son premier film en couleurs, est une fable amère sur les sévices de la colonisation britannique. Les Marginaux (1977), en langue telugu, peint le sort inhumain des paysans écrasés par un système encore féodal. ‘ L'Homme à la hache ’ (1978) raconte l'histoire d'un de ces paysans démunis qui quittent leur village et rencontrent à Calcutta une misère encore plus atroce. Un jour comme un autre (1979) dénonce l'hypocrisie de la petite bourgeoisie citadine. À la recherche de la famine (1980) évoque les problèmes soulevés par le tournage d'un film sur la grande famine de 1943. ‘ Kaléidoscope ’ (1981), sur l'ambition d'un journaliste désireux de faire un reportage sensationnel, est aussi une mise en question de l'éthique de l'image. Affaire classée (1982) revient, à propos de la mort suspecte d'un enfant domestique, sur la lâcheté et l'hypocrisie des classes moyennes. Il signe, en 1984, les Ruines, en 1985, ‘ Franchement dit ’, en 1988, ‘ Soudain, un jour ’, et, en 1994, Antareen, accentuant sa critique des comportements humains, n'hésitant pas à remettre en cause une philosophie fataliste et irresponsable, qu'elle émane de la société ou de l'individu lui-même. Ces derniers films, moins directement politiques, sont des œuvres de réflexion et d'autocritique. Langue : bengali.