Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
B

BOLIVIE.

La première projection publique aurait eu lieu à La Paz, le 21 juin 1897. Les premières prises de vues locales connues se situent vers 1904. L'exploitation cinématographique se stabilise vers 1913. Dès cette époque, le pionnier Luis Castillo se consacre aux documentaires de commande. Les débuts d'un cinéma de fiction, resté très sporadique jusqu'à nos jours, portent les traces de la forte présence indienne dans le pays, tout comme la littérature indigéniste de l'époque. Le premier long métrage, La profecía del lago (José Maria Velasco Maidana, 1923), fut interdit, car il mettait en scène une dame de la haute société amoureuse d'un Indien. Corazón aymara (Pedro Sambarino, 1925) a comme protagoniste une jeune Indienne persécutée par ses proches. La gloria de la raza (1926), né de la rencontre entre Castillo et l'archéologue Arturo Posnansky, évoque l'ancienne civilisation aymara. Wara-Wara (J. M. Velasco Maidana, 1929), à la réalisation duquel participent plusieurs intellectuels, raconte une légende sur la fin de l'Empire inca. Seul le documentaire présente une certaine continuité en Bolivie, surtout après l'avènement du parlant, qui complique les données techniques. Le tournage relativement intense d'actualités est plus ou moins patronné par le pouvoir. Le principal événement de la première moitié du siècle, ainsi enregistré, est à l'origine du premier film sonore bolivien, La guerra del Chaco (Luis Bazoberry, 1936), long métrage redistribué encore 22 ans plus tard sous le titre El Infierno verde. C'est aussi le documentaire qui permet à Jorge Ruiz et à Augusto Roca de devenir des professionnels et de fonder Bolivia Films (1947) ; en trente ans, ils produisent une centaine de titres (longs, moyens et courts métrages confondus), dont Vuelve Sebastiana (Ruiz et Roca, 1953), tourné dans une communauté indienne menacée de disparition, et La Vertiente (Ruiz, 1958), le scénario de Oscar Soria* mêlant document et fiction. Le gouvernement nationaliste de Paz Estenssoro crée l'Institut bolivien du cinéma (1953), responsable d'un essor régulier de courts métrages contribuant à la découverte par l'image d'une réalité nationale méconnue. Parmi les 150 titres réalisés en trois ans, Bolivia se libera reprend le matériel enregistré pendant la révolution populaire triomphante de 1952. L'IBC forme quelques techniciens et s'associe aux producteurs indépendants, mais comprend mal les besoins d'une cinématographie pauvre lorsqu'il acquiert un matériel lourd.

C'est dans son cadre que débute Jorge Sanjinés. Les militaires, de retour au pouvoir en 1965, lui confient la responsabilité de l'IBC, puis décident de le fermer définitivement après la répercussion de son premier long métrage : Ukamau (1966). Le cinéaste poursuit sa pratique d'un cinéma politique (l'un des plus réussis d'Amérique latine) ; il doit néanmoins s'exiler après le tournage du Courage du peuple (1971). Son chef opérateur Antonio Eguino et son scénariste Soria défendent un cinéma engagé socialement, mais dans les limites imposées désormais à la liberté d'expression. Chuquiago (A. Eguino, 1977) reçoit un accueil populaire qui semble justifier leur choix, Mi socio (Paolo Agazzi, 1982) est un assez attachant roadmovie sentimental à travers le haut plateau. Cependant, le nouveau seuil atteint par la répression après le coup d'État de 1980 remet en question ces expériences prometteuses. Au cours des années 80-90, ce sont néanmoins deux réalisateurs qui maintiennent le flambeau de la production bolivienne (Amargo mar, A. Eguino, 1984, La nacion clandestina, 1989 et Para recebir el canto de los pájaros, 1994, tous deux de Sanjinés). Le Fondo de Formento Cinematográfico, créé par une loi du cinéma (1991), favorise l'apparition de jeunes metteurs en scène : Jonás y la ballena rosada (Juan Carlos Valdivia, 1994), Cuestión de fe (Marcos Loayza, 1995), Sayari (Mela Márquez, id.), El triángulo del lago (Jorge Mauricio Calderón, 1999). La Cinémathèque bolivienne fait à La Paz un travail remarquable dans un contexte particulièrement ingrat puisqu'une majorité de la population n'a jamais eu accès au grand écran.

BOLOGNINI (Mauro)

cinéaste italien (Pistoia 1922 - Rome 2001).

Après des études d'architecture et un passage au Centro sperimentale (Rome), il devient assistant de Luigi Zampa, puis travaille en France avec Jean Delannoy (la Minute de vérité, 1952) et Yves Allégret (Nez de cuir, id.). Après un dernier assistanat sur un film de Zampa (Processo alla città, 1952), il réalise Ci troviamo in galleria en 1953, où il découvre la jeune Sophia Loren. Son deuxième film (il dément avoir réalisé D'Artagnan, chevalier de la Reine [I Cavalieri della regina], 1955) annonce les thèmes et la tonalité d'une grande part de son œuvre : les Amoureux sont une préface aux films des années 60 des Garçons à la Corruption — avant que Bolognini s'égare dans des films à sketches sans grand intérêt. Il y a pourtant dans cet ensemble, à quoi collaborèrent Moravia, Pasolini, Pratolini, des chefs opérateurs excellents (Leonida Barboni, Armando Nannuzzi, par ex.), une vision très personnelle, particulière à Bolognini, à partir d'œuvres littéraires très différentes signées de Pasolini, Moravia, Svevo, Brancati. Dissolution, folie, corruption et solitude — Mastroianni dans le rôle du bel et impuissant Antonio — sont le lot de personnages plus ambigus, moins frustes (même dans ça s'est passé à Rome) que leurs frères aînés du néoréalisme. Antonioni, Fellini, Bolognini sont revenus au travail en studio, avec des films qui imposent un univers nocturne, une autre réalité. La fin de Senilità sur le port, le soir, est une aussi belle traduction des pages d'Italo Svevo que les jeux, les regards, les silhouettes sous le soleil le sont des ténèbres qui montent dans le cœur d'Agostino, le jeune héros de Moravia, lorsqu'il découvre avec la sexualité l'aventure de sa mère. Si les thèmes sont d'autant plus proches de ceux de Pasolini que ce dernier fut scénariste de Marisa la civetta (1957), dans les Garçons (adaptation de son roman Ragazzi di vita), le Bel Antonio et ça c'est passé à Rome, la tonalité, la manière de Bolognini sont indéniablement originales ; un charme, aussi, éclatant dans le film délicieux qu'est Mademoiselle de Maupin, d'après Théophile Gautier. À partir de 1969, il confie presque toujours la photo à Ennio Guarnieri. Aux blancs et noirs raffinés succède le colorisme, et Bolognini lui accorde une valeur quasi picturale, au point (qu'on lui reproche naturellement) de composer ses plans jusqu'à faire songer aux vedutti, à Renoir, aux peintres macchiaioli (Metello), à Degas et Manet (Bubu). Il demeure fidèle aux adaptations littéraires, mais leur confère toujours un ton bien à lui, mariant un esthétisme (moins viscontien qu'on ne l'a dit) à une vision pessimiste et âpre. L'héritage, où il dirige Burt Lancaster et Dominique Sanda, plus encore que Bubu (d'après Charles-Louis Philippe) ou Metello, et avec plus de force, insère les personnages dans une trame historique sociale et morale. C'est le cinéma, bien sûr inégal, d'un peintre des choses, splendides ou misérables, et de la solitude, égotiste ou malheureuse. Bolognini a parallèlement signé des mises en scène de théâtre et surtout d'opéra.