Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ANIMATION. (suite)

Grande-Bretagne.

Dès le début des années 60, le pays réunit une école brouillonne et irrévérencieuse (Bob Godfrey, Alison de Vere, Jimmy Murakami — célèbre pour son long métrage anti-nucléaire, Wend The Wind Blows, 1987 —, Richard Williams). Les années 70-80 sont celles de sa maturation puis de sa révélation internationale. Outre le cartoon féministe et acide de Joanna Quinn (Girls Night Out, 1987) ou moderne (Mark Baker, The Hill Farms, 1988), le nouveau style anglais, vif, ironique, direct, inquiet, rénove l'esthétique. Les frères Quay, admirateurs de Jan Švankmajer, cultivent un néo-surréalisme empreint d'une culture Mitteleuropa, parfois proche du volume de l'art brut. Colin Batty et Paul Berry se font connaître pour l'Homme au sable, d'après Hoffmann (1991), dont les marionnettes de bois renouent avec les expressions anguleuses et les perspectives démesurées de l'expressionnisme allemand. Barry Purves, baroque et précieux, s'illustre dans des chefs-d'œuvre incisifs de marionnettes animées, provocateurs, tels Next (1989), hommage à l'œuvre de Shakespeare, Screen Play (1992) inspiré du théâtre Nô, ou Achilles (1995), délibérément homosexuel. Peter Lord et Nick Park s'engagent dès les années 70 dans la voie d'une plastiline criarde, cocasse et revendicatrice (Babylon, 1985). Au début des années 90, Nick Park devient célèbre avec ses personnages de Wallace et Gromit. Paul Berry puis Barry Purves entament successivement une collaboration avec Tim Burton aux États-Unis.

États-Unis.

Les années 70-80 sont celles à la fois du triomphe économique des majors et d'une panne d'inspiration du cinéma produit par celles-ci. Alors que s'estompe la figure contestataire de Ralph Bakshi (Fritz The Cat, 1972 ; le Seigneur des anneaux, 1978), les expériences notables se situent surtout du côté des « indépendants » : Bob Mitchell, Dale Case (Further Adventures of Uncle Sam, 1971), Frank Mouris (Frank Film, 1973), Jane Aaron (Remains to be seen, 1983) ou encore Michael Sporn (Docteur De Soto, 1984). Mais la figure la plus reconnue de cette mouvance, à mi-chemin entre majors et indépendants, est Will Vinton, maître de la plastiline colorée, récompensé par un Oscar pour Closed Monday (1974) et réalisateur du premier long métrage de plastiline, les Aventures de Mark Twain (1984), d'après le célèbre écrivain américain. Cependant, dans les années 90, un double mouvement se produit : des indépendants farouches et caustiques, tel le féroce caricaturiste Bill Plympton, se révèlent (l'Impitoyable lune de miel, 1998). Et, surtout, Henri Seylick, sous la direction de Tim Burton, réalise l'Étrange Noël de Monsieur Jack (1993), avec la collaboration de l'Anglais Paul Berry — rupture thématique et esthétique dans l'histoire américaine, à l'opposé des trois dogmes disneyens : anthropomorphisme, rondeur, bidimensionnalité, et pourtant produit sous les auspices du groupe Disney. « Renouant avec l'esprit artisanal de la vieille Europe », Tim Burton s'y réessaiera en invitant Barry Purves pour les effets spéciaux de Mars Attacks (1996). Les majors tentent d'intégrer à leurs productions les esthétiques nouvelles créées par les indépendants.

Canada.

Après la disparition de Norman McLaren à la fin des années 80, le cinéma d'animation, relativement à l'écart du bouleversement international, apparaît partagé entre un courant iconoclaste et un courant iconique. Le premier, représenté par les œuvres novatrices de la native américaine Caroline Leaf (le Mariage du hibou, 1974, sable animé ; Entre deux sœurs, 1991, peinture animée), de Co Hoedeman (l'Ours renifleur, 1992, éléments découpés et 3D), de Paul Driessen, cité pour son œuvre hollandaise, ou de Pierre Hébert, qui se réclame notamment de Len Lye (la Plante humaine, 1996), interroge le statut de l'image. Le second, représenté par les œuvres du natif indien Ishu Patel (Paradise, 1985) ou par celles du cartoonist Richard Condie (The Big Snit, 1985) ou de Marv Newland (Hooray ! For Sanbdbox Land, 1984) tend à sacraliser l'image ou à renouer avec une vieille imagerie. Dans ce contexte partidaire, l'œuvre de Frédéric Back, plus consensuelle quoique écologiste, parvient à se détacher de son héritage européen et de celui d'UPA, tout en conservant une source impressionniste et naturaliste et à innover par un remarquable traitement des crayons de couleurs sur acétate (l'Homme qui plantait des arbres, 1987).

Il est probable que la Chine, dont le cinéma de prise de vues réelles s'est fortement manifesté fin XXe début XXIe siècle, fera preuve du même dynamisme dans le cinéma d'animation. Certains signes avant-coureurs ont pu le laisser supposer dans les années 80, où une utilisation délicate de la technique traditionnelle du lavis ou de l'encre de Chine a été renouvelée dans les films de Hu Jinqing (l'Huître et la Bécasse, 1985 ; l'Épouvantail, 1987), de Te Wei (Feeling from Mountain and Water, 1988) ou de Ah Da (les Trois Bonzes, 1980 ; Trente-six caractères chinois, 1986). %Il est certain qu'en ce début de XXIe siècle, le Japon fait figure de talentueux et original challenger. Le remarquable et sardonique Yoji Kuri, aux gags féroces et post-surréalistes, souvent proches de l'esprit concis des haïkaï (le Zoo humain, 1960 ; Au fou, 1966), a fait beaucoup pour initier un cinéma indépendant. Celui-ci, dans les années 80, s'est peu à peu imposé mondialement, dans son credo dramatique avec le bouleversant Tombeau des lucioles (1988) ou épique et fantastique avec les lyriques Mon voisin Totoro (1989) ou Porco Rosso (1994) du créateur du studio indépendant Ghibli, Hayao Miyazaki.

Dans ce contexte mouvant et proliférant, où l'animation est devenue une expression artistique à part entière et fait parfois office de laboratoire du septième art, est apparue l'image de synthèse. Elle vient remettre en cause ou brouiller les frontières d'un territoire déjà complexe, proposant aux systèmes de représentation analogiques que sont peinture, photographie et cinéma la substitution d'un autre, reposant sur une simulation désormais numérique de lois physiques, mathématiques et biologiques. Les majors américains tentent d'absorber les fruits de cette expérience déjà vieille de plus de vingt ans, en misant, par exemple, sur le travail de l'Américain John Lasseter. Le succès de ses premiers courts métrages (Luxo Jr, 1987, nominé aux Oscars), empreints de l'héritage comique du cartoon, l'ont encouragé à réaliser sous l'égide de LucasFilm, dans cette même technique, les longs métrages Toy Story (1995), 1001 Pattes (1998) et Toy Story 2 (1999). Europe et Japon s'investissent aussi. Peintres vidéographes travaillent désormais sur des palettes graphiques, tel le Français Michaël Gaumnitz (Éluard 101 poèmes, 1995 ; Claude Monet, peintre, 1997), articulant au rythme des algorithmes, métamorphose des formes, des couleurs et des sons. Tel encore le Français Benoît Razzi, auteur d'effets d'animation 3 D, collaborateur de Raoul Servais sur Papillons de nuit (1998, Grand prix du Festival d'Annecy) ou tel le Japonais Yoichiro Kawaguchi, se réclamant du computer art, avec son extraordinaire œuvre morphogénétique, Océan (1987). À cette donne nouvelle, distincte du cinéma et du cinéma d'animation dans ses principes de conception, vient répondre la prolifération de tous les nouveaux supports qui, débordant la limite des écrans traditionnels de cinéma et de télévision — des écrans géants à ceux des ordinateurs jusqu'aux applications miniaturisées des jeux vidéo —, sont désormais les nouveaux espaces des technologies du numérique.