Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ABRAHAM (Fahrid Murray, dit F. Murray)

acteur américain (Pittsburgh, Pa., 1939).

Quand F.M. Abraham obtint l'oscar pour sa création magistrale du tragique Salieri, rongé de jalousie et de remords, dans Amadeus (M. Forman, 1984), beaucoup se sont demandé d'où il sortait. Il avait cependant une carrière cinématographique et théâtrale conséquente : il avait débuté en 1971 et avait déjà joué les seconds couteaux dans Scarface (B. De Palma, 1983). Depuis, dans le Nom de la rose (J.-J. Annaud, 1986) ou dans le Bûcher des vanités (B. De Palma, 1990), il a continué d'afficher la même discrétion et le même talent. Au milieu de prestations toujours inventives, même si le rôle relève du cliché (sombre traître, très souvent, comme dans Last Action Hero, John McTiernan, 1993), retenons le mystérieux professeur d'escrime de Par l'épée (By the sword, J. P. Kagan, 1993), figure d'abord sombre puis émouvante, et toujours discrète, comme F. Murray Abraham lui-même.  

ABRIL (Victoria Merida Rojas, dite Victoria)

actrice espagnole (Madrid 1959).

Depuis son apparition mémorable en baigneuse nue dans la Fille à la culotte d'or (V. Aranda, 1979), elle n'a cessé d'incarner à l'écran les brunes brûlantes et désirables (la Hora Bruja, J. de Armiñan, 1985 ; Attache-moi, P. Almodovar, 1990). Mais, outre sa sensualité naturelle, qu'elle sait bien mettre en valeur, elle possède l'étoffe d'une comédienne sensible, particulièrement douée pour les rôles dramatiques (Mater amatisima, Josep A. Salgot, 1980). Grande vedette en Espagne (Padre nuestro, Francisco Regueiro, 1985 ; La noche más hermosa, M. Gutiérrez Aragón, id. ; Amantes, V. Aranda, 1991 ; Talons aiguilles, P. Almodovar, id. ; Kika, id., 1993 ; Nadie hablará de nosotras cuando hayamos muerto, Agustín Díaz Yanes, 1995 ; Libertarias, V. Aranda, 1996 ; Entre les jambes/Entre las piernas, Manuel Gómez Pereira, 1999), elle tourne aussi régulièrement en France (la Lune dans le caniveau, J.-J. Beineix, 1983 ; Une époque formidable, G. Jugnot, 1991 ; Casque bleu, id., 1994 ; Gazon maudit, J. Balasko, 1995 ; la Femme du cosmonaute, Jacques Monnet, 1998 ; Mon père, ma mère, mes frères et mes sœurs, Charlotte de Turckheim, 1999).

ABSTRAIT (cinéma).

Toute forme de cinéma qui délaisse peu ou prou l'aptitude de l'image à représenter (voire simplement à évoquer) des êtres ou des objets reconnaissables. Paradoxalement — car c'est ce pouvoir mimétique, accru par le mouvement, qui avait paru à ses premiers spectateurs la principale vertu du cinématographe —, le cinéma abstrait (ou non figuratif, non représentatif, non objectif) va passer dès les années 20 pour la quintessence du cinéma, pour le cinéma le plus pur.

C'est qu'il fait, dans son dépouillement, ressortir deux caractères plus spécifiques encore du cinéma : l'un d'être un art du rythme visuel, l'autre d'être un art de la lumière. Autre paradoxe : cette problématique du cinéma pur, qui prétend libérer le cinéma de ce qui n'est pas essentiellement lui et donc de la tutelle des autres arts (et qui consiste en fait à l'écarter du roman ou de la peinture figurative pour le rapprocher de la musique), est d'abord une problématique de peintres et ne peut se dissocier du grand mouvement qui, entre 1908 et 1914, fait sortir de l'ère de la représentation la peinture d'un Kandinsky, d'un Mondrian, d'un Delaunay... ou d'un Arnaldo Ginna. Car le coréalisateur en 1910, avec Bruno Corra son frère, du premier film abstrait a peint dès 1908 deux toiles non figuratives. Cherchant à créer des thèmes chromatiques qui soient au tableau abstrait ce qu'un thème musical est à un simple accord, les frères Corradini fabriquent d'abord un piano chromatique (dont les 28 touches correspondent à 28 ampoules colorées). L'insuccès de cette tentative les conduit au cinématographe, et ils réalisent entre 1910 et 1912 des sortes de ballets de formes colorées directement peints sur la pellicule (ce que fait, semble-t-il, de son côté, en 1911, l'Allemand Hans Stoltenberg). Un autre peintre, Léopold Survage, avec un point de départ musicaliste du même genre, peint entre 1912 et 1914 une centaine de cartons destinés à donner, filmés un par un, des Rythmes colorés. La guerre fait échouer son projet. En 1915, parallèlement à la conception de Vita futurista (réalisé par Ginna), qui comprend, entre autres, un passage semi-abstrait de jeux de lumière et, croit-on, un passage peint sur la pellicule, les futuristes publient le manifeste la Cinématographie futuriste, dont plusieurs propositions — « symphonies de couleurs, de lignes », « drames d'objets », « reconstructions irréelles du corps humain », « équivalences linéaires, plastiques, chromatiques (...) de sentiments, de poids, d'odeurs », « drames de lettres humanisées » , « drames géométriques » — annoncent bon nombre des créations futures du cinéma abstrait. D'autres sont également sur cette piste : le Russe El Lissitzky, le Hongrois Vilmos Huszar, l'Anglais Duncan Grant et l'Allemand Werner Graeff, ces deux derniers travaillant sur des rouleaux. Mais aucun n'aboutit alors et, comme les films futuristes ont disparu, les seuls fragments de cinéma abstrait antérieurs aux années 20 qui subsistent aujourd'hui sont quelques plans filmés dans des miroirs déformants par Abel Gance en 1915 (la Folie du Dr Tube). En fait, les plus anciens films entièrement abstraits que nous ayons sont les premières œuvres du Suédois Viking Eggeling et des Allemands Hans Richter, Walter Ruttmann et Oskar Fischinger. Dans ses Opus, Ruttmann — qui fut sans doute le premier des quatre à montrer une œuvre terminée, en 1921 — utilise peinture sur verre, dessins et découpages, tandis que Eggeling filme des formes d'abord dessinées sur rouleaux (Diagonale Symphonie, sans doute finie en 1924). Les deux autres vont élargir techniques et perspectives : tandis que Richter (Rythmus 21, 23 et 25, après 1924) fait, dans Filmstudie (1926), de l'abstraction avec des objets concrets — comme parfois Gance dans la Roue  (1921-1923) —, Fischinger, retrouvant le souci des Castel, Scriabine, Baranoff-Rossiné et autres créateurs de pianos optiques, s'intéresse aux rapports des formes abstraites avec la musique (Studien, 1929-1934). Après la montée du nazisme, tous deux émigrent aux États-Unis, y fécondant un cinéma expérimental où les films abstraits existent déjà (H₂0, de Ralph Steiner, 1929 ; Rhythm in Light, de Mary Ellen Bute, 1936 ; Fantasmagoria I, de Douglas Crockwell, 1938). À ce moment-là, les œuvres abstraites ou semi-abstraites sont surtout faites, on l'a vu, en Allemagne (où, en outre, Moholy Nagy filme en 1930 son modulateur luminocinétique dans Jeu de lumière noir, blanc, gris), en France (Man Ray, Léger, Duchamp, Chomette), en Angleterre (Len Lye, Blakeston et Bruguière, McLaren), en Italie (Corrado d'Errico, Veronesi) et en Pologne (Szczuka, Franciszka et Stefan Thermerson). La situation change après 1940 : excepté Hains, La Villeglé, Hy Hirsch, Mitry, Breer et les lettristes en France ou Kubelka en Autriche, la plupart des cinéastes utilisant l'abstraction travaillent au Canada (McLaren) ou aux États-Unis (Grant, Harry Smith, Belson, les frères Whitney, Tony Conrad, Paul Sharits), du moins avant le renouveau expérimental européen des années 70-80. Les nouvelles problématiques (cinéma structurel ou minimal, cinéma élargi), qui font porter en quelque sorte l'abstraction sur le processus filmique lui-même, l'étendent à presque tous les films expérimentaux et rendent alors plus difficile la distinction entre cinéma abstrait et cinéma non abstrait, déjà dépassée dans les années 20 par la complexité d'œuvres mixtes : Ballet mécanique de Léger (1924) ou Emak Bakia de Man Ray (1927). C'est qu'il est divers degrés dans la non-figurativité et divers moyens d'y atteindre : radicalement, en filmant des cartons monochromes et en obtenant des clignotements, ou même, sans caméra, en faisant alterner pellicule vierge et amorce noire, voire en utilisant le seul faisceau du projecteur (Kubelka, Conrad, Iimura, McCall). Ou bien en faisant paraître des dessins abstraits filmés image par image (Eggeling), obtenus par ordinateur (Whitney) ou directement tracés sur la pellicule (Lye). Mais on peut aussi — comme Mondrian passant peu à peu des arbres et de la mer de Domburg à des oppositions de verticales et d'horizontales pures — partir du concret pour fixer ce que celui-ci porte d'abstrait ou pour brouiller ses apparences. La première voie va des cadrages appliqués à ne garder que les formes géométriques d'un mur ou les taches de couleur régulières d'une frondaison jusqu'au cinéma pur, qui, dans la Roue de Gance, chez Chomette, dans les derniers Dulac et les premiers Ivens, ne fait que mettre en rythme, par le montage, des objets ou des êtres identifiables. La seconde voie ne nous fait pas moins entrer en coquetterie avec le monde, puisque (chez Brakhage, par exemple) ce sont des vues tout à fait figuratives que perturbent, pour retrouver la diaprure d'une vision préconceptuelle, la sur- ou la sous-exposition, les filtres, le flou, l'accéléré, le filé, le zoom brusque, la surimpression, le négatif, le filmage image par image ou l'intervention directe sur la pellicule. C'est peut-être que le cinéma est inévitablement lié au monde visible. À condition d'admettre que le visible n'est qu'un équilibre de l'esprit entre la sensation brute qu'il élabore et l'intelligible auquel il aspire. Le cinéma abstrait, qui explore ces deux invisibilités, trouve là sa réelle justification.