Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
A

ALTMAN (Robert) (suite)

Tout à coup, sans qu'Altman ait remis en question sa démarche rigoureuse, The Player le remet en selle. Formellement éblouissante (le film s'ouvre sur un plan acrobatique d'une longueur interminable alors que la bande-son ironise sur les grands plans-séquences de l'histoire du cinéma), cette satire mordante du cinéma, à laquelle la profession participe en masse, doit son succès à ces cérémonies d'auto-flagellation que Hollywood aime à accomplir de temps à autre. The Player lui permet de s'atteler très vite à Short Cuts qui, bien que malmenant sérieusement les nouvelles de Raymond Carver, est bien accueilli à cause de l'engouement dont bénéficie l'écrivain. Cette vaste fresque, qui prend ses distances par rapport à l'anecdote pour s'attacher aux personnages, est une des grandes œuvres chorales du cinéaste : il y confirme un talent unique pour épingler un comportement quasi caricatural en le faisant basculer en une fraction de seconde dans une compassion sincère. On attend d'Altman une forte dose de méchanceté, voire de cruauté, sans réaliser que celle-ci est toujours contrebalancée par un humanisme presque renoirien qui aime à trouver à chacun ses raisons. Sans étiquette littéraire, Prêt-à-porter, qu'Altman portait en lui depuis longtemps, montre bien que le malentendu n'est pas dissipé : la critique (américaine particulièrement) est dure envers cette magnifique symphonie loufoque sur le sujet de la futilité. Plus encore qu'un film sur le monde de la couture, Prêt-à-porter est une réflexion sur la vanité des choses : logique, Altman y prend ses aises envers un scénario prétexte et valorise une riche galerie de personnages à laquelle des acteurs littéralement inspirés et arrachés à leur routine donnent une humanité contrastée et chatoyante. Désormais revenu dans le giron hollywoodien, Altman n'en garde pas moins son insolence de franc-tireur : il alterne un élégant produit commercial (Gingerbread Man, remonté contre sa volonté), la chronique intimiste (le savoureux Cookie's Fortune) et la fresque satirique (Dr T. et les femmes). Le parcours obstiné et rigoureux d'Altman nous renvoie finalement à notre propre versatilité et à notre inconstance.

Films  :

The Delinquents (1957) ; The James Dean Story (CORE George W. George, id.) ; Countdown (1968) ; That Cold Day in the Park (1969) ; M*A*S*H*, (id., 1970) ; Brewster McCloud (id., id.) ; John McCabe (McCabe and Mrs. Miller, 1971) ; Images (id., 1972) ; le Privé (The Long Goodbye, 1973) ; Nous sommes tous des voleurs (Thieves Like Us, 1974) ; California Split (id., id.) ; Nashville (id., 1975) ; Buffalo Bill et les Indiens (Buffalo Bill and the Indians or Sitting Bull's History Lesson, 1976) ; Trois Femmes (Three Women, 1977) ; Un mariage (A Wedding, 1978) ; Quintet (id., 1979) ; Un couple parfait (A Perfect Couple, id.) ; Health (id.) ; Popeye (id., 1980) ; Reviens, Jimmy Dean, reviens (Come Back to the Five and Dime, Jimmy Dean, Jimmy Dean, 1982) ; Streamers (1983) ; Secret Honor (1984) ; Fool for Love (1985) ; The Laundromat (id.) ; O. C. and Stiggs (id.) ; Beyond Therapy (id., 1987) ; Aria (un des six épisodes, id.) ; Basements (The Dumb Waiter, MM et The Room, MM, id.) ; Vincent et Theo (Vincent and Theo, TV, 1990) ; Black and Blue (vidéo, 1991) ; The Player (1992) ; Short Cuts (1993) ; Prêt-à-porter (id., 1994) ; Kansas City (1996) ; Jazz 34 (id.) ; Gingerbread Man (The Gingerbread Man, 1998) ; Wild Card (id.) ; Cookie's Fortune (id. 1999) ; Dr. T. et les femmes (Dr. T. and the Women, 2000).

ALTON (Jack Aldan, dit John)

chef opérateur américain (Sopron, Hongrie 1901 - Santa Monica, Ca., 1996).

Débutant comme caméraman à la Paramount en 1928, il travaille en Europe, puis en Argentine jusqu'en 1937. Il est révélé par la Brigade du suicide (A. Mann, 1948), où il recrée en extérieurs réels les clairs-obscurs et les compositions oppressives de l'expressionnisme. Le film noir lui doit ainsi quelques-uns de ses joyaux : Il marchait dans la nuit (A. Werker, 1948), Marché de brutes (A. Mann, id.), Incident de frontière (id., 1949), Association criminelle (Joseph H. Lewis, 1955). À la MGM, sa collaboration avec Minnelli (du Père de la mariée à la Femme modèle) est couronnée par un Oscar en 1951 (pour le ballet final d'Un Américain à Paris), mais on mesure mieux son apport dans les derniers films d'Alan Dwan (Quatre Étranges Cavaliers, 1954 ; le Bagarreur du Tennessee, 1955 ; Deux Rouquines dans la bagarre, 1956), où ses raffinements de miniaturiste et sa palette élégiaque transcendent les contraintes de budgets très modestes. Il a également signé la photographie de plusieurs films de Brooks, dont Elmer Gantry le Charlatan (1960). Il est l'auteur de deux ouvrages techniques réputés, Painting With Light et Photography and Lighting in General.

ALTON (Robert Alton Hart, dit Robert)

chorégraphe et cinéaste américain (Bennington, Vt., 1906 - Los Angeles, Ca., 1957).

D'abord danseur et chorégraphe de théâtre, il règle au cinéma des danses d'ensemble brillantes et des numéros individuels raffinés (L'amour vient en dansant [You'll Never Get Rich, Sidney Lanfield, 1941], Ziegfeld Follies [V. Minnelli, 1946] ou Parade de printemps [Ch. Walters, 1948]). La variété de son talent éclate dans le Pirate (V. Minnelli, 1948), Show Boat (G. Sidney, 1951), mais surtout la Belle de New York (Ch. Walters, 1952) et Appelez-moi Madame (W. Lang, 1953). Il réalise Chanson païenne (Pagan Love Song, 1950), sans grand brio.

ÁLVAREZ (Santiago)

cinéaste cubain (La Havane 1919 - id. 1998).

Après des études de philosophie, lettres et histoire à Cuba et aux États-Unis, il adhère au parti communiste en 1942. Il entre à l'Institut cubain de l'art et de l'industrie cinématographiques dès sa création (1959). Il y est responsable des Actualités latino-américaines hebdomadaires depuis 1960. Responsable du département de court métrage (1961-1967), puis vice-président de l'ICAIC, et enfin haut fonctionnaire du ministère de la Culture (1976), il est élu député de l'Assemblée nationale du pouvoir populaire. Il est le maître du documentaire cubain, l'école de la réalité par laquelle passent systématiquement tous les cinéastes du pays, ce qui est censé contribuer à leur connaissance de la société et à leur formation politique. Álvarez est aussi un de ceux qui ont su transformer les carences matérielles et techniques en point de départ pour la recherche de solutions esthétiques originales, notamment grâce au montage, qu'il assure personnellement, avec minutie. Le caractère militant ou didactique de son cinéma exclut cependant l'emphase. Le commentaire en voix off est réduit au minimum, voire supprimé. Lui est substitué le contrepoint ou la complémentarité de l'image et d'une musique choisie avec pertinence. Ainsi, les six minutes de Now (1965), contre le racisme aux États-Unis, s'appuient sur une chanson interprétée par Lena Horne. Hanoi, Mardi 13 (1967) utilise des textes de José Martí, héros de l'indépendance cubaine, datant de 1889. Le réalisateur se sert également d'intertitres succincts ou de phrases en surimpression, au graphisme soigné. Il fait appel à un matériel de base fort hétérogène : photos de presse, reportages télévisuels, stock-shots, caricatures. Le collage est un des procédés appliqués avec intention et liberté. Le choc des images n'empêche pas le lyrisme, l'ironie, la pudeur ; l'émotion ne neutralise pas la réflexion. Alvarez réconcilie la pédagogie intrinsèque au film militant et au documentaire avec intelligence et sensibilité artistiques. Il alterne animation et prises de vues documentaires dans Los dragones de Ha Long (1976). El sueño del pongo (1970) constitue une incursion isolée dans la fiction, à partir d'un récit de l'écrivain péruvien José María Arguedas. Lorsque l'ICAIC en a les moyens, Álvarez a recours à la couleur, au format panoramique, à l'utilisation simultanée de plusieurs caméras ; mais ses films deviennent alors plus conventionnels et plus longs (De America soy hijo y a ella me debo, 1972, sur le voyage de Castro au Chili, dure 195 min).