Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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FEI Mu

scénariste et cinéaste chinois (Shanghai 1906 - Hongkong 1951).

Après des débuts de critique cinématographique (il coédite la revue Hollywood avec son ami Zhu Shilin), il commence, dès 1933, une carrière de metteur en scène avec ' Une nuit en ville ’ (Chengshi zhiye), dont la vedette est la belle et sensible Ruan Linyu ; celle-ci interprète également ' Une vie ’ (Rensheng, id.), qui vaut un prix à la Lianhua. Il réalise ensuite ' Une mer de neige parfumée ’ (Xiang xue hai, 1934), dont il est également scénariste, et ' Pitié filiale ’ (Tianlun, 1935) en collaboration avec Luo Minyou. En 1936, ' Du sang sur la montagne aux loups ’ (Langshan diexue ji) est une attaque antijaponaise voilée. En 1937, un sketch du film ' Symphonie de la Lianhua : rêve tragique d'une jeune fille ’ (Chungui duanmeng) est rendu muet par la censure ! Également en 1937 paraît ' Meurtre dans l'oratoire ’ (Zhan jing tang), un opéra interprété par le célèbre Zhou Xinfang. La même année, ' Une ville plaquée or ’ (Du jin de cheng) et ' Martyrs sur le front du Nord ’ (Bei zhanchang junzhong lu) mêlent actualité et fiction. Pendant la période de ' l'île orpheline ’, il écrit et réalise encore quatre films, dont ' Confucius ’ (Kong Fuzi, 1940), ' les Enfants du monde ’ (Shijie ernü, 1942), en collaboration avec les exilés autrichiens Jakob et Luise Fleck, et Hong Xuanjiao (1941). Lorsque les Japonais prennent le contrôle des studios de Shanghai en 1942, il refuse de collaborer. En 1948, il met en scène un film en couleurs : ' Regrets éternels ’ (Sheng si yuan), opéra de Pékin interprété par le grand acteur Mei Lanfang, et le Printemps d'une petite ville, son chef-d'œuvre. En 1950, à Hongkong, il entreprend ' les Enfants du voyage ’ (Jianghu ernü, 1951), mais il meurt en janvier 1951 et c'est Zhu Shilin qui achèvera le film.

FEJOS (Pál Fejös dit Paul)

cinéaste américain d'origine hongroise (Budapest, Autriche-Hongrie, 1897 - New York, N. Y., 1963).

Élève officier sur le front austro-italien à la fin de la Première Guerre mondiale, Fejos est chargé d'organiser un théâtre pour soldats. Après l'armistice, il peint des décors pour l'Opéra de Budapest et pour le cinéma, au lieu de reprendre ses études de médecine interrompues par la guerre. En 1920, il commence à tourner des films dont l'exécution n'excède pas une semaine et sur lesquels les informations sont minces : ils sont considérés comme perdus depuis longtemps. L'époque étant peu favorable au développement du 7e art dans une Hongrie indépendante mais diminuée, Fejos, laissant inachevé les Étoiles d'Eger, gagne les États-Unis en 1923, et d'abord New York. Comme beaucoup d'émigrés, il y exerce toutes sortes de métiers, puis il travaille à l'Institut Rockefeller de recherche médicale de 1924 à 1926, avant de se rendre en Californie. Au cours de l'année 1927, Fejos rencontre Edward M. Spitz, qui appartient à une riche famille new-yorkaise et qui, désireux de produire un film, lui confie cinq mille dollars pour réaliser The Last Moment. Un homme y revoit, en se noyant, défiler toute sa vie en quelques secondes, que Fejos évoque en très brèves séquences, montées sur un rythme comparable à celui d'un kaléidoscope et correspondant à l'afflux des pensées et des images mentales dans l'esprit de son héros infortuné. Visionné par Chaplin, qui en fait publiquement de vifs éloges, et salué par la critique comme une des expériences les plus hardies jamais tentées au cinéma, The Last Moment vaut à Fejos un contrat avec Universal, qui, fait exceptionnel, lui donne droit de regard sur le scénario, le choix des acteurs et le montage. Mais les quatre années qui ont précédé The Last Moment l'ont rendu exigeant. Il n'accepte de tourner qu'après avoir trouvé un sujet qui lui convienne : celui de Solitude. L'histoire toute simple de deux êtres qui se rencontrent, se plaisent, se perdent pour finalement se retrouver, serait des plus rebattues si elle n'était constamment sous-tendue et nourrie par l'obsession universelle de la solitude. Fejos l'inscrit dans la réalité la plus quotidienne, là où elle est la plus vivement ressentie et sans doute la plus mal vécue : la grande ville moderne et ses foules anonymes, sa grisaille, où gestes et tâches sont voués à la répétition, à longueur d'année et d'existence. Solitude est pourtant une œuvre délicieuse, d'une fraîcheur et d'une spontanéité exceptionnelles. La réalisation, inspirée et brillante, mobilise toutes les ressources d'une caméra et d'un montage dynamiques. Les trucages optiques (surimpressions, enchaînés et fondus) comme la coloration de certains détails, loin de surcharger ou d'étouffer l'histoire, lui confèrent une totale plénitude, et traduisent à merveille le maelström urbain, les illusions, les désespoirs et les rêves qu'il engendre. Le succès public et critique de Solitude, considéré comme un des meilleurs films de 1928, semble consolider la position de Fejos, qui tourne successivement : Éric le Grand, avec Conrad Veidt, portrait d'un illusionniste qui veut soumettre ses dons à ses désirs intimes ; Broadway, adaptation d'une pièce à succès qui se déroule simultanément dans les milieux du music-hall et de la pègre ; Captain of the Gard, fantaisie chantée sur la Révolution française, dont il abandonne la réalisation à la suite d'un grave accident. Aucun de ces films, dont les scénarios ne correspondent pas vraiment à ses préoccupations, ne satisfait Fejos. Tout se passe comme si sa liberté de création s'amenuisait à mesure que croissent les moyens mis à sa disposition (ils atteignent, pour Broadway, un million de dollars). Fejos rompt alors avec Universal. Après quelques mois de chômage forcé, il est engagé par la MGM, pour laquelle il réalise les versions française et allemande de Big House, film devenu célèbre de George Hill sur l'univers explosif d'une prison américaine. Dans ce nouveau travail de commande, Fejos ne se contente pas d'être un simple « copiste ». Par la qualité des dialogues et par l'excellence de l'interprétation, sa version allemande de Big House est particulièrement remarquable, sans cesser d'être fidèle à l'original, dont les mérites reviennent à Hill en ce qui concerne les scènes de foules et d'action. Par la suite, appelé à Paris par Pierre Braunberger pour réaliser des films parlants, Fejos quitte Hollywood pour n'y plus revenir, bien que naturalisé américain depuis 1930 et toujours lié, par contrat, à la MGM. Il supervise d'abord l'Amour à l'américaine, un vaudeville de Claude Heymann, qui l'assiste pour une version modernisée de Fantômas, inégale certes mais plaisante et non dénuée d'invention. En Hongrie, où il revient en 1932 pour la compagnie française Osso, implantée depuis peu à Budapest, Fejos réalise Marie, légende hongroise, histoire d'une petite paysanne séduite et abandonnée, mais aussi victime d'une société hypocrite dont les tares sont impitoyablement mises à nu, ce qui n'est pas du goût de tout le monde. Dans ce film dominé par la gracieuse interprétation d'Annabella, où bruits, musique et dialogues (réduits au minimum) sont savamment dosés, la magie visuelle du cinéaste est opérante, comme à l'époque du muet. Marie est immédiatement suivi de Tempêtes, un « Roméo et Juliette » villageois, produit cette fois par une firme hongroise, la Phöbus. À Vienne, l'année suivante, Fejos conte, dans Gardez le sourire, les tribulations d'un couple de chômeurs, qui, après une tentative de suicide, passent d'un petit travail à un autre, sauvant, au-delà du désespoir, l'amour qu'ils se portent. Passant avec aisance du drame à la comédie, et de la comédie au drame, exprimant tour à tour les angoisses et les joies, petites et grandes, de ses héros, il donne, avec Gardez le sourire, le pendant européen de Solitude. Après trois petites comédies tournées à Vienne (les Voix du printemps) puis au Danemark (les Millions en fuite et le Prisonnier no1), le Sourire d'or, d'après Kaj Munk (l'auteur d'Ordet), termine sur un point d'orgue son œuvre de fiction. La crise de conscience que traverse une actrice adulée, amenée fortuitement à tenir une fois un rôle vrai, est pour le cinéaste l'occasion d'une réflexion sur l'art, ses illusions, ses rapports avec la vie. Désormais, Fejos ne se consacre plus qu'au documentaire, reconstitué ou non. De Madagascar, puis des Indes orientales, il rapporte un important matériel, d'où sont tirés plusieurs courts métrages. Un peu plus tard, avec la collaboration de Gunnar Skoglund, il réalise au Siam Une poignée de riz, film d'une tout autre ampleur qui évoque la vie d'un couple de paysans, sa lutte contre l'adversité, la jungle qu'il faut défricher, la patiente culture du riz, si légèrement gaspillé par ailleurs. Avec le soutien moral et financier du millionnaire Axel Wenner-Gren, il entreprend en 1940-41 une expédition au Pérou, au cours de laquelle, entre autres activités, il tourne The Yagua, consacré à une tribu indienne de la haute Amazonie, dans laquelle il séjourne un an. The Yagua est le dernier film de Fejos, qui, regagnant les États-Unis à la fin de 1941 et s'installant à New York, abandonne définitivement le cinéma pour l'anthropologie. Chercheur, professeur, savant : sa métamorphose est complète. Directeur de recherche à la Viking Fund, qui deviendra la Wenner-Gren Fondation for Anthropological Research, il préside cet organisme en 1955. Esprit libre, peu enclin à faire des concessions, servi par un tempérament aux multiples facettes et par une insatiable curiosité, Paul Fejos fait partie de ces très rares créateurs qui se sont détachés du cinéma, auquel ils ont tant donné d'eux-mêmes, pour se consacrer avec passion à un autre art ou à une autre discipline. Sa légitime célébrité tient à ce qu'il a su fixer un archétype, qui a frappé en son temps le sociologue Friedman, le romancier Eugène Dabit, le critique et futur cinéaste Antonioni. Quant à son influence, elle s'est exercée jusqu'en Chine, ainsi qu'en témoigne le film shanghaien de Shen Xiling, Carrefour (1937).