Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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DOCUMENTAIRE. (suite)

En Suisse, à côté de Richard Dindo (les Suisses dans la guerre d'Espagne, 1973 ; l'Exécution du traître à la patrie Ernst S., 1976), pamphlet sur la bonne conscience helvétique, Dani, Michi, Renato, und Max (1987), une impitoyable enquête, plusieurs années après les évènements, sur la mort tragique de quatre garçons qui avaient participé auparavant à une révolte de jeunes Zurichois, on distingue les travaux de Peter Hamman (le Train rouge, 1972), de Yves Yersin (les Derniers Passementiers, 1973) et de Kurt Gloor (Die grünen kinder, 1971).

Au Danemark, Jörgen Leth porte un regard en apparence très froid, toujours analytique, parfois ironique (plus chaleureux dans ses films les plus récents) sur la société danoise (la Vie au Danemark, 1971), les stéréotypes sociaux (le Bien et le mal, 1975) et divers pays où il a promené sa caméra : 66 scènes d'Amérique (1981), Carnet de Chine (1986), Moments du jeu (1986), Notes sur l'amour (1989).

Au Portugal, au lendemain du 25 avril 1974, un grand nombre d'œuvres militantes fleurissent. Le logement, la terre, la nouvelle société en sont les thèmes principaux : Barronhos, qui a peur du pouvoir populaire ? (Luís Filipe Rocha, 1976), Bon Peuple portugais (Rui Simões, 1980).

L'équipe japonaise de Shinsuke Ogawa vit et tourne depuis 1968 avec les habitants du village de Sanrizuka qui résistent à l'expropriation, le gouvernement voulant construire un aéroport à cet endroit : Un été à Narita (1968), le Chant de la bête humaine (1975). La série que Noriaki Tsuchimoto consacre aux conséquences de la pollution du port de Minamata par des déchets chimiques est également exemplaire : Minamata, les victimes et leur monde (1971), la Maladie de Minamata (1977). Les pays du tiers monde - surtout l'Amérique latine - se servent de la caméra pour sensibiliser le monde à leurs problèmes : Araya (Margot Benacerraf, 1959, Venezuela), Tire dié (F. Birri, 1958, Argentine), Jusqu'à la victoire toujours (S. Álvarez, 1967, Cuba), Qu'est-ce que la démocratie ? (Carlos Álvarez, 1971, Colombie), la Bataille du Chili (P. Guzmán, Chilien exilé, 1975-1979), Haïti, les Chemins de la liberté (Arnold Antonin, 1975), la Décision de vaincre (Collectif Cero a la Izquierda, Salvador, 1981). L'Heure des brasiers des Argentins Fernando Solanas et Octavio Getino (1968), vaste fresque baroque sur l'oppression dont souffre l'Amérique latine, est l'œuvre maîtresse du documentaire politique dont l'influence déborde largement le continent.

En Afrique, la plupart des bandes non fictionnelles sont le fait de réalisateurs étrangers. La Fédération tunisienne des cinéastes amateurs suscite, depuis le milieu des années 60, une abondante production documentaire. L'Algérien Ahmed Rachedi nous propose, en 1965, une pertinente vision de son pays en gestation : l'Aube des damnés. Des témoignages sur l'apartheid nous viennent d'Afrique du Sud (la Fin du dialogue, Nana Mahomo, 1969 ; la Dernière Tombe à Dimbaza, réalisation anonyme, 1973). La guerre du Liban inspire une série de films à Jocelyn Saab (le Liban dans la tourmente, 1977 ; Lettre de Beyrouth, 1981). La Sénégalaise Safi Faye nous offre, avec Fad'Jal (1979), un semi-documentaire sur le village de ses parents.

Le documentaire au long cours.

Depuis les origines du 7e art, le documentaire s'évertue à rendre compte de tous les domaines de l'activité humaine. À côté du cinéma scientifique pur (Roberto Omega, Jean Painlevé, Pierre Thévenard), peu diffusé, il existe des œuvres de vulgarisation proches de l'essai poétique ou du film d'aventures. Citons les bandes d'exploration sous-marine de l'Autrichien Hans Haas (Abenteuer im Roten Meer, 1952 ; Giganten des Meeres, 1955) et du Français Jacques-Yves Cousteau, dont les débuts remontent à 1943 (le Monde du silence, 1955, Palme d'or au Festival de Cannes, et le Monde sans soleil, 1964). Le film animalier constitue également un genre en soi. Trois œuvres récentes sont à signaler pour leurs qualités plastiques : Des insectes et des hommes (Wallon Green, US, 1973), la Fête sauvage (F. Rossif, 1976), et surtout la Griffe et la Dent (François Bel et Gérard Vienne, 1977).

La montagne fascine les cinéastes depuis les origines du cinéma. Félix Mesguish et Mario Piacenza confectionnent les premières bandes en la matière au début du siècle. L'Allemand Arnold Fanck donne, avec Tempête de neige (Der Weisse Rausch, 1931), ses lettres de noblesse au genre. Marcel Ichac, qui débute en 1934, est le plus notoire des cinéastes de la montagne. Il réalise ses meilleurs films après la guerre : Himalaya (1950), Victoire sur l'Anapurna (1953), les Étoiles du Midi (1960). Signalons, dans un registre proche, les pellicules du volcanologue Haroun Tazieff : les Rendez-vous du diable (1959) et le Volcan interdit (1966).

Les films d'expédition ne se comptent plus depuis les premiers essais des opérateurs Lumière. Citons : Chang (E. B. Schoedsack et M. C. Cooper, 1927) ; L'Afrique vous parle (Paul Höfler et Walter Futter, 1930) ; Baboona (Martin Johnson, 1935) ; Au pays des Pygmées (Jacques Dupont, France, 1948) ; l'Équateur aux cent visages (André Cauvin, 1948) ; Des hommes qu'on appelle sauvages (Pierre-Dominique Gaisseau, 1950) ; Continent perdu (Leonardo Bonzi, Mario Craveri, E. Gras, 1955). L'aspect exotique de ces films et leur regard paternaliste en font, du point de vue ethnographique, des documents contestables. Pour trouver une réelle ouverture, il faut se pencher sur les travaux de Jean Rouch, de Ian Dunlop (Desert People, 1966) ou sur l'excellent Histoire de Wahari (Jean Monod et Vincent Blanchet, 1974).

L'extension, depuis la fin des années 60, des médias légers (vidéo, super 8) a ouvert de nouvelles perspectives au documentaire, aussi révolutionnaires que l'équipement synchrone en 16 mm à la fin des années 50.

Le documentaire des années fin de siècle.

Au cours de la première moitié des années 90, quelques grands auteurs se sont confirmés ou affirmés. En France, de pénétrants reportages sont réalisés par Marcel Ophuls sur le métier de journaliste dans la Yougoslavie en guerre (Veillée d'armes, 1994), par Claude Lanzmann sur l'armée israélienne (Tsahal, id.), par Raymond Depardon sur le fonctionnement de la justice (Délits flagrants, id.) ou par Pierre Beuchot sur la Collaboration (Hôtel du parc, 1992 ; Les temps obscurs sont toujours là, 1998). Parmi les plus engagés des documentaristes contemporains se distinguent Jean-Louis Comolli, avec ses nombreux films sur la vie politique marseillaise, Christophe Otzenberger (la Conquête de Clichy, 1994), ou encore Jean-Michel Carré, avec en particulier un film magnifique sur une houillère rachetée par les mineurs en Angleterre (Charbons ardents, 1998). Dans une veine plus sociale, on peut remarquer le travail de Nicolas Philibert (le Pays des sourds, 1993 ; la Moindre des choses, 1996), de Claire Simon (Récréations, 1992 ; Coûte que coûte, 1995) ou de Denis Gheerbrant (La vie est immense et pleine de dangers, 1994 ; Grands comme le monde, 1999). Laurent Chevallier quant à lui poursuit son exploration du monde, concentrant son attention dans les années 90 sur l'Afrique noire (Djembefola, 1991 ; Circus Baobab, 2001). C'est depuis la France enfin que l'Israélien Eyal Sivan donne la parole aux populations victimes de la guerre dans toutes les régions du monde (Aquabat-Jaber, paix sans retour, 1995 ; Kaboul, de guerre lasse, 1997).