Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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DRESSER (Louise Kerlin, dite Louise) (suite)

Son physique lourd, sa maturité et sa grande expérience théâtrale destinaient Louise Dresser à la composition. Dans ce registre, elle se montra, entre 1925 et 1935, d'une aisance parfaite, quel que fût son emploi. Elle fut la subtile et élégante impératrice de Russie de l'Aigle noir (C. Brown, 1925), une housewife plus américaine que nature dans le délicieux Foire aux illusions (H. King, 1933), une autre impératrice de Russie, vulgaire et dépenaillée celle-là, dans l'Impératrice rouge (J. von Sternberg, 1934). Sa création la plus riche reste celle, splendide, de l'ancienne actrice tombée dans la misère et devenue gardienne d'oies dans Or et Poison (Brown, 1923).

DRESSLER (Leila Koerber, dite Marie)

actrice américaine d'origine canadienne (Coburg, Ontario, 1869 - Los Angeles, Ca., 1934).

Après une longue carrière de théâtre faite de hauts et de bas, et quelques petites apparitions cinématographiques, dont une avec Chaplin (le Roman comique de Charlot et de Lolotte, M. Sennett, 1914), elle fut le leader d'un mouvement de grève qui brisa sa carrière. Dans la misère, elle dut à l'amitié de la scénariste Frances Marion d'obtenir un petit engagement à la MGM. En deux ans, les mines de chien battu de la vieille dame, son humour et son naturel en firent, contre toute attente, l'une des stars les plus populaires du début du parlant. On l'associe à la comédienne Polly Moran, mais c'est surtout avec Wallace Beery qu'elle fait des étincelles. Ces deux fortes natures étaient faites pour se rencontrer. Ainsi, après un brillant second rôle dans Anna Christie (C. Brown, 1930), elle est la vedette de Min and Bill (George W. Hill, id.), l'un des plus gros succès de l'année qui lui vaut un Oscar. Pendant quatre ans, elle apporte la chaleur et l'émotion du vécu (sa vie est un véritable roman) à de jolis mélodrames comme Mes petits (Brown, 1932) ou Annie, la batelière (Tugboat Annie, M. LeRoy, 1933). Sa composition la plus brillante est l'une de ses dernières : l'actrice passée des Invités de huit heures (G. Cukor, id.). Quand elle meurt d'un cancer, elle est alors la vedette la plus populaire des États-Unis.

DREVILLE (Jean)

cinéaste français (Vitry-sur-Seine 1906 - Vallangoujard 1997).

Le dessin publicitaire et la photographie l'amènent peu à peu au cinéma. À la fin des années 20, alors qu'il dirige la revue Cinégraphie, il se fait la main en réalisant des courts métrages de bonne qualité, dont l'un plein d'intérêt sur le tournage de l'Argent de Marcel L'Herbier (Autour de « l'Argent », 1928). Il aborde le long métrage avec des comédies dues souvent à la plume de Roger Ferdinand (Trois pour cent, 1933 ; Un homme en or, 1934 ; Touche-à-tout, 1935 ; et, plus tard, le Président Haudecœur, 1940). Excellent technicien, il sacrifie à la mode avec des films comme Troïka sur la piste blanche (1937) ou les Nuits blanches de Saint-Pétersbourg (1938) et réussit pleinement le remake du Joueur d'échecs (id.), tourné au temps du muet par Raymond Bernard. En 1944, il rencontre l'acteur et chansonnier Noël-Noël et signe, avec la Cage aux rossignols (1945), un de ses meilleurs films : l'émotion s'y résout en sourires. Il retrouvera Noël-Noël dans un sketch de Retour à la vie (1949), un sketch des Sept Péchés capitaux (1952), À pied, à cheval et en spoutnik (1958), la Sentinelle endormie (1966) mais surtout dans un grand succès, les Casse-Pieds (1948), qui valut à l'auteur le prix Louis-Delluc et le Grand Prix du cinéma français. Spécialiste du film d'aviation (Escale à Orly, 1953 ; Horizons sans fin, 1955 ; Normandie-Niemen, 1960), il a su se montrer vigoureusement réaliste dans Les affaires sont les affaires (1942) et dans la Ferme du pendu (1945) ; il a joué la carte du film de guerre avec l'épopée de la Bataille de l'eau lourde (1948) et la relation du débarquement américain en Afrique du Nord (le Grand Rendez-Vous, 1950).

DREYER (Carl Theodor)

cinéaste danois (Copenhague 1889 - id. 1968).

Sa mère, Joséphine Nilsson, est gouvernante chez un gros propriétaire terrien — du sud de la Suède — qui la met enceinte. Le père ne voulant ni scandale ni mariage, elle part accoucher à Copenhague et y abandonne son fils. Elle mourra deux ans plus tard en tentant de se faire avorter. L'enfant grandit sans affection dans la famille d'un ouvrier typographe, Carl Theodor Dreyer, socialisant et irréligieux, qui lui donne son nom et ses prénoms. Il reçoit un enseignement technique, étudie le piano. Il déteste ses parents adoptifs. À dix-sept ans, il apprend la vérité sur ses origines. Il tiendra secret, sa vie durant, cet ébranlement terrible qui retentira en profondeur sur son œuvre. En 1906, il est engagé comme comptable par la Compagnie des télégraphes du Nord. De 1909 à 1915, journaliste dans plusieurs journaux, il se partage entre le reportage — sport, aéronautique (il est lui-même pilote d'aéronef et d'avion) — et l'écriture de « Billet » satiriques ou pittoresques qui révèlent un fort sens du concret et un humour quasi swiftien. (Il avait débuté par des critiques théâtrales qu'il envoyait à des journaux de province.) Entré dès 1912 à la Nordisk Film, il y est rédacteur d'intertitres, adaptateur, conseiller artistique et finalement scénariste : 41 scénarios écrits entre 1912 et 1918, dont 4 réalisés par August Blom et 6 par Holger-Madsen. Il y tourne son premier film en 1918. Ses exigences esthétiques, son intransigeante rigueur, aussi bien que l'exiguïté cinématographique de son pays, feront de lui un cinéaste rare, nomade et plurinational : 14 films en 56 années d'activité, réalisés en 5 pays. Sa période muette fut de loin la plus féconde : un film, en moyenne, par an ; au parlant, un film tous les dix ans !

Influencé par Griffith (il voit Intolérance en 1918 et toute son œuvre s'insurgera justement contre l'intolérance), par l'école suédoise (son intimisme, sa spiritualité, son sentiment du paysage), il doit peu à l'expressionnisme, et son Kammerspiel n'a rien d'allemand. En deux ans (1918-1920), avec deux films d'« apprentissage » (le Président, et Feuillets arrachés au livre de Satan), il invente son écriture, établit sa vision morale et définit ce « réalisme métaphysique » qui font son art sans pareil. La Quatrième Alliance de Dame Marguerite (1920), le Maître du logis (1925) exhibent un humour que Dreyer, non sans malice, ensevelira ultérieurement dans la gravité de ses œuvres les plus tragiques et aussi, déjà, une férocité extrême à l'endroit de la société et du moralisme bourgeois. Dans ces deux films où l'exploration-exaltation d'une réalité domestique et quotidienne historiquement datée va jusqu'au documentaire, où le thème dreyérien de la souveraineté féminine se met définitivement en place, Dreyer réussit la gageure (qu'il renouvellera avec Dies irae) de ressusciter plastiquement la spiritualité, l'âme d'une époque, saisies vivantes dans la lumière, le décor, l'espace (construit ou naturel), le rythme de la mise en scène et, bien sûr, le cœur des personnages. (Dans la Passion de Jeanne d'Arc, Michaël ou Gertrude, décors et accessoires produisent l'esprit du temps, des lieux et des héros ; ici, ils le supportent, ils en sont imprégnés.) Tourné en Allemagne un an avant le Maître du logis, Michaël (1924) se déroule dans les milieux artistiques de Berlin autour de 1900. C'est un film sur un monde moins intolérant que faux, inauthentique (encore que l'homosexualité discrète du sujet évoque le thème de la répression sociale). Le « dialogue » entre les personnages et le cadre fin de siècle de leur vie est là encore d'une profonde et élégante subtilité. S'y retrouve, sur un registre mineur, laïc, la peinture chère à l'auteur d'une foi bafouée ou déçue et néanmoins généreuse, le don et le sacrifice compensant victorieusement l'échec ou la frustration : « Je peux mourir, j'ai vu un grand amour », dit le héros mal-aimé de Michaël. C'était déjà le sentiment de Dame Marguerite lorsqu'elle s'effaça dans la mort. Et Gertrude dira : « Ai-je été en vie ? Non, mais j'ai aimé. »