Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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GRIMAULT (Paul)

cinéaste d'animation français (Neuilly-sur-Seine 1905 - Mesnil-Saint-Denis 1994).

Après des études à l'École Germain-Pilon (future École des arts appliqués), il s'initie à la décoration et se retrouve dessinateur de meubles. En 1930, Grimault entre à l'agence de publicité Damour, où il conçoit des stands et des étalages. Il y a pour compagnons René Zuber, Jean Anouilh, Jean Aurenche et y rencontre Jacques Prévert. Curieux, plein de ressources, émerveillé par le théâtre et par le cinéma, Grimault participe aux travaux du groupe Octobre (1931-1936), assure quelques doublages et interprète des petits rôles, notamment dans l'Atalante et le Crime de Monsieur Lange. Exécutant par nécessité, depuis 1922, des travaux d'importance variable, souvent modestes, Grimault ne cesse de cultiver ses dons innés de dessinateur et de décorateur, de se familiariser avec la chimie des couleurs. Il trouve, en 1932, une première occasion d'aborder le cinéma, réalisant avec Jean Aurenche une bande publicitaire, la Table tournante, d'une drôlerie surréaliste dans sa brièveté. En 1936, il rencontre André Sarrut, avec qui il fonde la société Les Gémeaux. L'un s'occupera de création artistique, l'autre de tâches administratives. Grimault passe très vite du dessin au cinéma publicitaire. Un premier essai inachevé, Monsieur Pipe fait de la peinture (1936), lui permet de se lancer dans le dessin animé, dont il apprend et maîtrise progressivement la technique. Pour Phénomènes électriques (1937), commande pour l'Exposition internationale de Paris, Grimault utilise l'hypergonar du professeur Chrétien et, pour la première fois en France, le procédé Technicolor, qu'il a étudié à Londres. Les signes + et – sont les personnages clés de ce film projeté sur un écran panoramique de 60 mètres de large par trois appareils synchronisés, munis d'anamorphoseurs. La guerre interrompt la réalisation de Gô chez les oiseaux (1939), mais Grimault peut le finaliser, en Agfacolor, sous le nouveau titre des Passagers de la Grande Ourse (1941). Il réalise alors le Marchand de notes (1942), fantaisie surréalisante où apparaît, pour la première fois, le personnage de Niglo, l'Épouvantail (1943), ingénu et facétieux, ami des oiseaux. Les trois films reçoivent le prix Émile-Reynaud en 1943, décerné pour la première fois. Grimault a la sagesse de tourner ce film en prévision d'un tirage en Technicolor, et les copies présentées après la Libération révèlent, avec leurs fraîches couleurs, ses dons de poète aquarelliste du cinéma. Avec l'Épouvantail, le cinéaste affine son efficacité, ce que confirment bientôt, sur un registre souriant, le Voleur de paratonnerres (1944), où l'on retrouve Niglo, qui sera encore le héros de la Flûte magique (1946), et dans un domaine purement dramatique, le Petit Soldat (1947), première et décisive collaboration avec Jacques Prévert. Dans ce film sans paroles, couronné prix du dessin animé à la Biennale de Venise (1948) ex-aequo avec Melody Time de Walt Disney, Grimault atteint l'émotion et la poésie par l'étincelle de vie qu'il fait jaillir d'un regard échangé entre deux jouets. En pleine possession de ses moyens, il peut mettre en chantier la Bergère et le Ramoneur, premier dessin animé français de long métrage, avec le concours de Jacques Prévert pour le scénario et d'une centaine de collaborateurs. Commencé dans l'enthousiasme en 1947, le film, en partie bâclé, mutilé et désavoué par ses auteurs, sort en 1953. Grimault décide alors de fonder sa propre maison de production (en 1951) et travaille avec Yannick Bellon, Chris Marker, Frédéric Rossif et, comme décorateur pour Pierre Prévert (le Petit Claus et le Grand Claus, 1964). Durant cette période, Paul Grimault est sollicité à deux reprises par Jacques Prévert pour la création des décors de théâtre du Dîner de têtes (1951) et pour ceux de la Famille Tuyau-de-poêle à la Fontaine des Quatre saisons à Paris. Les peintres Elsa Henriquez et Jean Vimenet collaborent aux premiers. Les années cinquante sont également l'occasion pour Paul Grimault de réaliser plusieurs travaux d'illustration (la Communale, de Jean Lhote ; le Petit Simonin illustré, caricature du Petit Larousse). Puis il revient au dessin animé avec le Diamant (1970), œuvre de transition, et surtout avec le Chien mélomane (1973), où, toujours avec la complicité de Prévert, il renouvelle son inspiration et son style. Mais il n'a pas oublié sa grande œuvre inachevée. Il rachète en 1963 le négatif de la Bergère et le Ramoneur, et commence à y travailler avec Jacques Prévert à partir de 1967. Reprenant près de la moitié de la première version et sensiblement modifié quant à l'intrigue, le film, terminé fin 1979, voit le jour sous le titre le Roi et l'Oiseau en 1980. Exemple rare de persévérance dans la création cinématographique, car il a fallu, pour le mener à bien, harmoniser et tisser des images conçues à près de trente ans de distance et retrouver des procédés oubliés de fabrication de couleurs. Le Roi et l'Oiseau est une fable où se conjuguent, dans une durée proche du rêve, des temps imaginaires, un jeu dramatique entre deux figures emblématiques représentant la tyrannie et l'esprit libertaire. Mais c'est avant tout une œuvre poétique avec son oiseau qui parle, ironique et railleur, ses tableaux qui s'animent et libèrent des personnages à la faveur de la nuit, une fabrique où des esclaves reproduisent à l'infini les images d'un tyran. Le film est tour à tour sarcastique, tendre, violent et chargé d'émotion. Premier cinéaste français à réinventer le dessin animé depuis Reynaud et Cohl, et comme eux artisan et expérimentateur, Paul Grimault est un poète par la grâce déliée de son trait, par son sens dramatique de l'image colorée, par l'émotion qu'il sait faire naître. Il est aussi un catalyseur de talents qui a formé les premiers cadres de l'animation française (H. Lacam, J. Vimenet, G. Allignet, M. Reychman, G. Juillet, J. Asséo, J. Gadoin, A. Ruiz puis, plus tard, P. Watrin, J. Vausseur, J. Leroux) et qui a su, plus récemment, encourager activement certains de leurs cadets les plus doués (J. Colombat, J. -F. Laguionie, R. Bourget, I. Shaker). Dans la Table tournante, son dernier film (CORÉ Jacques Demy, pour les séquences réelles), Paul Grimault revivifie images, couleurs et sons de ses courts métrages pour relater avec humour, mais à mi-voix, son long voyage dans l'animation cinématographique.