Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
H

HAWKS (Howard) (suite)

Si la Patrouille de l'aube joue déjà sur l'alternance des séquences d'action pure, traitées dans le mouvement, et des scènes de rencontre, plus statiques, le modèle esthétique de l'œuvre ne sera complet qu'avec Seuls les anges ont des ailes, qui résume définitivement une formule que les autres films reprendront plus ou moins. La motivation narrative souligne le jeu du combat et de la rivalité : un groupe d'hommes (ou de femmes : Les hommes préfèrent les blondes) affronte un danger anonyme et indéterminé, le plus souvent naturel ; au sein de ce groupe, un lien d'amitié, que le dialogue suit avec beaucoup de délicatesse et de pudeur, va unir deux hommes d'âge différent ; une étrangère, cependant, cristallise leur émulation et accroît involontairement le péril qu'ils courent. La femme, dans la relation amoureuse, prend l'initiative, tandis que l'homme résiste au sentiment ; elle introduit un désordre dans la règle que les héros se sont fixée pour la réussite de leur entreprise. Ce dispositif a donné lieu à beaucoup de psychanalyse sauvage : on l'a cru misogyne, on y a vu une apologie implicite de la pédérastie, virile fraternité de l'éphèbe et du briscard. Ces interprétations sont inutiles ; l'armature de la fable possède d'abord une vertu esthétique, et les paradoxes qu'elle met en œuvre ont pour fonction première de souligner plaisamment sa clarté. Esprit moderne, Hawks admet sans peine la nécessité rafraîchissante du désordre, et que ses protagonistes masculins perdent leur dignité du fait de ses héroïnes n'ajoute qu'un charme supplémentaire à celles-ci. Au reste, si les hommes sont souvent prisonniers d'un code, les femmes apparaissent d'autant plus libres dans leur fantaisie. Avant tout, les perturbations qu'elles introduisent sont drôles, et les spectateurs auraient tort, devant le ridicule de ces mésaventures, de faire preuve de moins d'humour que les personnages qui en sont les victimes (Allez coucher ailleurs). Les comédies présentent d'ailleurs le procédé sous sa forme la plus pure : dédaignant toute nuance, elles se contentent d'énumérer à grande vitesse les humiliations désopilantes d'un monsieur grave, confit en compétence : le paléontologiste de l'Impossible Monsieur Bébé, à cause d'une femme, finira par savoir affronter un animal vivant, et c'est cela qui donne toute sa signification à l'écroulement d'un squelette de brontosaure, épilogue du film.

L'organisation méthodique ne saurait exclure définitivement la vie. Cette maxime devient aussi le principe de la mise en scène de Hawks. S'il définit avec précision ses personnages par des gestes, des costumes, des allures, si l'espace cinématographique peut se découper avec tant de netteté selon les fonctions de lieux divers, c'est bien parce que cette clarification ne saurait nuire au sentiment du vécu. L'intelligence de Hawks ne l'entraîne pas à dominer l'action, mais à la suivre avec la plus grande précision, l'effet de surprise ou de comique provenant toujours de ce que cette démarche n'atteint pas tout à fait son but : il y a un supplément, et l'ours ne renverse pas seulement le cycliste, il prend sa place (le Sport favori de l'homme). Bien loin que le récit exagère les actes, comme le veut une figure de l'épopée, il laisse les actes différer, et le surprendre ; la violence échappe (Rio Bravo), le stratagème tarde à se révéler (Rio Lobo), le pittoresque dissimule la souffrance physique (la Captive aux yeux clairs), comme le laconisme insolent cache la douleur morale (Seuls les anges ont des ailes).

Ainsi l'action n'est-elle exaltée, selon une figure qui n'est pas moins épique, que dans ses aspects techniques les plus minutieux. Elle n'a pour mission que de manifester la maîtrise spirituelle, qui n'exclut pas le sentiment, mais est incompatible avec tout sentimentalisme. La vision que Hawks donne de l'humanité n'obéit donc à aucun réalisme. Elle définit un style éthique. Si l'amitié y joue un rôle fondamental, c'est précisément parce qu'elle interdit toute complaisance.

Revenant inlassablement sur les mêmes motifs, voire sur les mêmes prétextes (la chasse, la course automobile, les savants, l'instauration du droit), cette œuvre n'est pourtant pas dépourvue de diversité. L'image, d'abord, y est plus ou moins simple, plus ou moins riche : le Port de l'angoisse et le Grand Sommeil possèdent une densité concrète qu'on chercherait en vain dans la Rivière rouge. Quant à ses westerns, les premiers sont plus méditatifs que les derniers. L'accent tragique de Scarface et le tour mélancolique de la Terre des Pharaons leur sont bien propres. En revanche, Hawks a également bien réussi dans tous les genres, sauf la comédie musicale, peu propice à son ironie.

Films  :

l'Ombre qui descend (The Road to Glory, 1926) ; Sa Majesté la femme (Fig Leaves, id.) ; Si nos maris s'amusent (The Cradle Snatchers, 1927) ; Prince sans amour (Paid to Love, id.) ; Une fille dans chaque port/ Poings de fer, cœur d'or (A Girl in Every Port, 1928) ; l'Insoumise (Fazil, id.) ; les Rois de l'air (The Air Circus, id., terminé et cosigné par Lewis Seiler, responsable des scènes parlantes) ; Trent's Last Case (1929) ; la Patrouille de l'aube (The Dawn Patrol, 1930) ; le Code criminel (The Criminal Code, 1931) ; La foule hurle (The Crowd Roars, 1932) [il existe une version française, La foule hurle, dirigée par Jean Daumery, avec Jean Gabin] ; Scarface (id., id.) ; le Harpon rouge (Tiger Shark, id.) ; Après nous le déluge (Today We Live, 1933) ; Viva Villa ! (1934, achevé par Jack Conway et signé par lui seul) ; Train de luxe (Twentieth Century, id.) ; Ville sans loi (Barbary Coast, 1935) ; Brumes (Ceiling Zero, id.) ; les Chemins de la gloire (The Road to Glory, id.) ; le Vandale (Come and Get it, id., terminé et cosigné par W. Wyler) ; l'Impossible Monsieur Bébé (Bringing Up Baby, 1938) ; Seuls les anges ont des ailes (Only Angels Have Wings, 1939) ; la Dame du vendredi (His Girl Friday, 1940) ; le Banni (The Outlaw, 1941) [repris par le producteur H. Hughes, le film sortira sous sa seule signature en 1950]  ; Sergent York (Sergeant York, 1941) ; Boule de feu (Ball of Fire, 1942) ; Air Force (1943) ; Corvette K 225 (id., PR seulement, Hawks a revu le scénario, choisi les acteurs et supervisé la réalisation, confiée à Richard Rosson) ; le Port de l'angoisse (To Have and Have Not, 1944) ; le Grand Sommeil (The Big Sleep, 1946) ; la Rivière Rouge (Red River, 1948) ; Si bémol et fa dièse (A Song is Born, id.) ; Allez coucher ailleurs (I Was a Male War Bride, 1949) ; la Chose d'un autre monde (The Thing from Another World / The Thing, 1951 [Hawks a travaillé au scénario et contrôlé de près la mise en scène, signée Christian Nyby]) ; la Captive aux yeux clairs (The Big Sky, 1952) ; O. Henry's Full House (id.), l'histoire intitulée The Ransom of Red Chief, coupée du film montré en France, la Sarabande des pantins) ; Chérie, je me sens rajeunir (Monkey Business, id.) ; Les hommes préfèrent les blondes (Gentlemen Prefer Blondes, 1953) ; la Terre des Pharaons (Land of the Pharaohs, 1955) ; Rio Bravo (id., 1959) ; Hatari  ! (1962) ; le Sport favori de l'homme (Man's Favourite Sport, 1964) ; Ligne rouge 7000 (Red Line 7000, 1965) ; El Dorado (1967) ; Rio Lobo (1970).