Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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EFFETS SPÉCIAUX. (suite)

Une autre grande catégorie de truquages de décor met à profit le fait que (en vision monoculaire, ce qui est le cas de la caméra) un objet proche présente le même aspect visuel qu'un agrandissement — placé plus loin — de cet objet.

Vitres, miroirs,

etc. Un cas particulier peut faciliter la compréhension des autres procédés. Un réalisateur veut montrer un immeuble, conçu pour le film, où l'action se déroule au seul rez-de-chaussée. Il serait absurde de construire un décor aussi haut que l'immeuble entier. On construit simplement le décor du rez-de-chaussée, et l'on place, près de la caméra, une petite maquette — soigneusement réalisée — des étages supérieurs. Vue depuis la caméra exactement sous le même angle que seraient vus les étages supérieurs d'un décor entier, la maquette fournit l'illusion de ces étages, sous réserve évidemment que tout se raccorde bien visuellement et que la profondeur de champ soit suffisante pour donner une image nette à la fois du rez-de-chaussée « réel » (relativement lointain) et de la maquette (relativement proche). Ce truquage délicat, qui peut créer une illusion parfaite (Playtime, J. Tati, 1967), est assez rare. Il existe toutefois de nombreux autres truquages fondés sur le même principe.

Par exemple, il est souvent nécessaire de truquer une partie du décor réel dans lequel on tourne. C'est le cas notamment d'un film historique tourné dans un paysage entaché d'un immeuble moderne ou tourné devant un monument partiellement détruit. Un procédé, fort ancien puisque employé par l'Américain Dawn dès le début du siècle (et parfois dénommé d'ailleurs « procédé Dawn »), consiste à placer devant la caméra une grande vitre sur laquelle on peint avec minutie un immeuble ancien pour masquer l'immeuble moderne, la partie détruite du monument, etc. Ce truquage simple (encore qu'il demande un artiste expert et qu'il impose évidemment de faire évoluer les comédiens en dehors de la zone truquée) donne, lui aussi, d'excellents résultats, et il continue de ce fait d'être employé (par ex. La vie est un roman, A. Resnais, 1983).

Un procédé comparable consiste à placer, devant la caméra, un miroir orienté à 45° (vers le côté ou vers le haut, selon le cas) sur lequel se reflète la partie factice du décor, l'avantage sur le procédé précédent étant une plus grande souplesse. (Notamment, l'élément factice peut être relativement grand, et donc plus facile à exécuter, ce qui demanderait une vitre de dimensions prohibitives avec le procédé précédent.) Trois techniques sont possibles.

Si la partie truquée se raccorde visuellement au décor selon une ligne droite (ou du moins simple), on peut couper le miroir selon cette ligne, la caméra enregistrant côte à côte : l'image du décor réel et des acteurs, l'image réfléchie du décor factice. Cela permet, par exemple, avec un miroir placé dans la partie supérieure du champ et orienté vers le haut, de faire évoluer les comédiens sous l'image d'un plafond factice.

Les deux autres techniques sont connues sous le nom de procédé Schuftan, du nom de l'opérateur allemand qui en fut, dans les années 20, l'artisan essentiel. Dans la première, on enlève localement la couche réfléchissante du miroir. La caméra enregistre alors : d'une part, les comédiens et la partie réelle du décor à travers le support transparent du miroir là où celui-ci n'est plus miroir ; d'autre part, le décor factice réfléchi sur la partie restante du miroir. (Ou vice versa.) Avantage : la « frontière » du miroir peut être ici de forme complexe. Cette technique demande une grande dextérité pour enlever la couche réfléchissante sans endommager le support et de telle façon qu'image directe et image réfléchie se raccordent exactement.

L'autre procédé Schuftan, plus simple, consiste à placer devant la caméra, toujours à 45°, un miroir semi-réfléchissant. A priori, la caméra enregistre alors deux images surperposées : celle qui est vue à travers le miroir, celle qui est réfléchie sur le miroir. (On peut d'ailleurs en tirer parti pour faire, par ex., apparaître un fantôme.) Mais on place ensuite, d'une part entre le miroir et la partie « réelle » de la scène, d'autre part entre le miroir et le décor factice, des plaques de carton noir découpées de façon à se raccorder visuellement, vues depuis la caméra. On crée ainsi un système de cache-contre-cache : là où un carton noir masque la scène « réelle », le miroir renvoie l'image du décor factice, et réciproquement.

Les procédés à glace ou à miroir fournissent l'image composite dès la prise de vues. S'ils ont été détrônés par le truquage après-coup du cache-contre-cache en tireuse optique, c'est essentiellement pour des raisons d'ordre pratique : le truquage simplifie les prises de vues, et il laisse jusqu'au montage la possibilité d'un décor factice différent de celui qui était initialement prévu.

La remarque vaut également pour la famille des procédés (Simplifilm et autres) où la caméra est placée derrière une sorte de grande chambre photographique. Cette chambre ne comporte pas de plaque, mais son objectif n'en forme pas moins — dans le plan où se trouverait la plaque — l'image aérienne ( OPTIQUE GÉOMÉTRIQUE) de ce qui se passe devant la caméra. Dans ce même plan, on place une photographie (ou un carton peint) comportant une découpe correspondant à la partie de l'image précédente que l'on veut conserver. Là encore, la caméra enregistre directement l'image composite. (Le procédé d'image aérienne décrit plus loin repose sur le même principe.)

LES « TRUQUAGES ».

Très tôt, les cinéastes ont exploité les possibilités de magie offertes par le cinéma. Comment ne pas mentionner ici Méliès, précurseur de génie ? Par la suite, le cinéma n'oublia jamais la fascination que les truquages pouvaient exercer, et certains films ont marqué l'histoire du cinéma en raison du succès de leurs truquages :

les Dix Commandements (C. B. De Mille, 1923) et sa célèbre traversée de la mer Rouge par les Hébreux ;

King Kong (E. Schoedsack et M. C. Cooper, 1933) ;

l'Homme invisible (J. Whale, id.) ;