Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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WELLES (George Orson) (suite)

Réhabilitant les valeurs, les techniques du muet (profondeur de champ, dynamique du cadre et de l'angle, plongées et contre-plongées, longs plans fixes pour servir le jeu de l'acteur) et plaçant avant toute chose le montage parce qu'il est rythme et musique, Welles s'est fait simultanément le héraut d'un cinéma de la parole. « Dans l'écrivain/metteur en scène, le premier a la prépondérance sur le second » ; « le secret de mon travail c'est que tout est fondé sur la parole. » Il se reconnaît un maître en Sacha Guitry. Avec Welles le parlant est réellement devenu parlant. Homme de spectacle, homme des médias, Welles a créé un art profondément accordé à la réalité de notre temps, à notre civilisation de la communication et du spectacle. Son œuvre emprunte au journal imprimé ou télévisé, à la radio, à la presse à sensation, à la publicité (« Mes films sont rapides comme des films publicitaires »), au thriller, au mélodrame hollywoodien, qui tous lui fournissent des formes spontanément appropriées à l'expression du tragique contemporain. (Il a eu un précurseur en la personne de Fritz Lang.) Chez Welles, toute biographie — et chacun de ses films est le bilan d'une existence — devient théâtre, reportage, investigation labyrinthique, dossier d'enquête, rapports de témoins. Le réalisateur utilise l'objectif grand-angulaire pour la « fraîcheur de son regard » et parce qu'il donne un champ de vision voisin de celui de l'œil humain. Il pratique à sa convenance le découpage en plans-séquences aussi bien que le montage court (Citizen Kane comporte 562 plans, Othello en compte plus de 2 000).

Génie multiple, exubérant, désordonné, dont l'abondance de dons et la démesure ont fait tôt dire qu'il était un géant de la Renaissance, Welles s'est mis dans tous ses films, mais pour exorciser ses démons : « Vous êtes-vous demandé ce que je serais devenu si j'avais obéi à ma personnalité ? » Il y juge ses héros, presque toujours négatifs ; il s'abstient de les condamner. Il dit : « Je suis de ceux qui sont nés pour jouer les rois. » Les aventuriers de ses films sont autant de rois shakespeariens. Son œuvre entière conduit le rêve d'une grande royauté condamnée à mal finir, le plus étrange et le plus pathétique étant que Welles a fait ce rêve lucide dès son premier film, à 25 ans, et que finalement celui-ci s'est avéré exact. L'artiste ne capitule pas pour autant : « Je suis un pessimiste complet mais je suis allergique au désespoir. » La place que l'acteur occupe — même dans le rôle d'un personnage déchu, d'un truqueur dont la magie achoppe — et que sa puissance physique, son omniprésence démiurgique, ou démoniaque, ne laissent pas oublier un moment, cette place devient, quel qu'en soit le scénario, le pôle magnétique de ses films. Il s'ensuit que l'œuvre de l'auteur Welles a reçu, ineffaçablement, l'empreinte de l'homme, lourd, inquiétant, idole devenue presque immobile dans un univers de masques et de désastres, et que cette même empreinte tend à s'imprimer dans la pâte, bien souvent médiocre, hélas !, des films des autres lorsqu'il y est convié, au premier rang ou, de plus en plus, à celui d'utilité.

Films (réalisation) 

The Hearts of Age (1934), Too Much Johnson ( John Berry, SC O. Welles, 1938) ; Citizen Kane (id., 1941, INT) ; la Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons, 1942) ; Voyage au pays de la peur (Journey Into Fear, Norman Foster, SC et supervision, Welles, id., INT) ; le Criminel (The Stranger, 1946, INT) ; la Dame de Shanghai (The Lady of Shanghai, 1948, INT) ; Macbeth (id., id., INT) ; Othello (id., 1952, INT) ; Monsieur Arkadin/Dossier secret (Confidential Report, 1955, INT) ; la Soif du mal (Touch of Evil, 1958, INT) ; The Fountain of Youth (TV, id.) ; le Procès (The Trial, 1962, INT) ; Falstaff (Chimes at Midnight/Campanadas a medianoche, 1966, INT) ; Une histoire immortelle (The Immortal Story, TV, 1968, INT) ; Vérités et Mensonges (F for Fake/Nothing But the Truth, 1975, INT) ; Filming Othello (1978, INT). Films inachevés ou « en panne » : Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness, 1939) ; It's All True (1941-42) ; Don Quixote (1957-1975, INT) ; The Deep (1967-1970, INT) ; The Other Side of the Wind (1970-1972, INT). (INT : Orson Welles, interprète de ses propres films.)

Films (autres interprétations) :

Jane Eyre (R. Stevenson, 1944, rôle de Rochester) ; Hollywood Parade (E. Sutherland, id., numéro d'illusionniste avec Marlene Dietrich) ; Demain viendra toujours (I. Pichel, 1946) ; Cagliostro (G. Ratoff, 1949, rôle de Cagliostro) ; Échec à Borgia (H. King, id., rôle de César Borgia) ; le Troisième Homme (C. Reed, id., rôle de Harry Lime) ; la Rose noire (H. Hathaway, 1950, rôle d'un général mongol) ; l'Affaire Manderson (H. Wilcox, 1953) ; l'Homme, la Bête et la Vertu (S. Steno, id., rôle de la bête) ; Si Versailles m'était conté (S. Guitry, 1954, rôle de Benjamin Franklin) ; Révolte dans la vallée (Wilcox, id., rôle d'un lord écossais) ; Trois Meurtres (Three Cases of Murder, George More O'Ferral, 1955, rôle de lord Mountdrago) ; Napoléon (Guitry, id., rôle de Hudson Lowe) ; Moby Dick (J. Huston, 1956, rôle de Father Maple) ; le Salaire du diable (J. Arnold, 1957, rôle d'un propriétaire de bétail) ; les Feux de l'été (M. Ritt, 1958) ; les Racines du ciel (Huston, id., rôle de Gy Sedgewick) ; le Génie du mal (R. Fleischer, 1959) ; Visa pour Hong Kong (Ferry to Hong Kong, L. Gilbert, id., rôle du capitaine du « Fatsan ») ; Drame dans un miroir (Fleischer, 1960, rôle d'un avocat et d'un ouvrier ivrogne) ; David et Goliath (R. Pottier, id., rôle de Saül) ; Austerlitz (Gance, id., rôle de Fulton) ; La Fayette (J. Dreville, 1962, rôle de B. Franklin) ; Ro Go Pag (sketch de Pasolini, id., rôle d'un metteur en scène) ; Hôtel International (A. Asquith, 1963) ; la Fabuleuse Aventure de Marco Polo (D. de La Patellière, 1965) ; Paris brûle-t-il ? (R. Clément, 1966, rôle de Nordling) ; Un homme pour l'éternité (A Man for All Seasons, F. Zinnemann, id., rôle du cardinal Wolsey) ; Casino Royale (Huston, 1967) ; le Marin de Gibraltar (T. Richardson, id.) ; Qu'arrivera-t-il après ? (M. Winner, id.) ; Œdipe roi (Oedipus the King, Philip Saville, 1968, rôle de Tirésias) ; Duel dans l'ombre (House of Cards, J. Guillermin, 1969) ; la Bataille de la Neretva (V. Bulajic, id., rôle du chef des Oustachis) ; l'Étoile du sud (The Southern Star, Sidney Hayers, id.) ; Waterloo (S. Bondartchouk, 1970, rôle de Louis XVIII) ; 12 1 (Nicolas Gessner, id., rôle du directeur de théâ-tre) ; Catch 22 (M. Nichols, id., rôle du général Dreedle) ; la Décade prodigieuse (C. Chabrol, 1971).