Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
C

CHINE. (suite)

Le cinéma comme enjeu politique.

Quand naît en octobre 1949 la République populaire de Chine, le cinéma est placé sous une double tutelle : celle du Bureau du cinéma, dépendant du ministère de la Culture, et celle de la section de propagande du comité central du parti communiste. Très rapidement, un ou plusieurs vice-ministres de la Culture seront spécialement chargés du cinéma. Dès juillet 1949, les cinéastes ont créé leur association professionnelle. Ils ont pour tâche de faire des films qui servent les ouvriers, les paysans et les soldats, suivant l'orientation donnée en 1942 par Mao Zedong à Yan'an au cours d'une causerie sur la littérature et l'art, et dans des interventions qui ont encore aujourd'hui valeur de charte. La Chine dispose alors de huit studios (trois d'État, cinq privés – à Shanghai – qui seront nationalisés en 1952-53), de 596 salles de projection et d'une cinquantaine d'équipes itinérantes. 3 000 personnes travaillent dans les trois studios étatisés. En 1949, la production n'est que de six longs métrages ; on enregistre 47 310 000 spectateurs. En 1950, on réalise déjà 35 films de fiction (29 produits par les studios de l'État, 6 par les studios privés). Le premier objectif - disputer le marché national aux films américains (1 900 projetés en Chine de 1945 à 1949) - sera complètement atteint à la faveur de la guerre de Corée (1950-1953). Le meilleur moyen, en dehors des décisions administratives, est d'augmenter la production : elle ne dépassera pas avant 1981, pour les films de fiction, le chiffre de pointe de 1958 : 103 (pour 82 en 1959, 67 en 1960). Selon l'expression de Mao Zedong, comme la littérature et les autres arts, le cinéma doit être utilitaire. Art de masse par excellence, conçu comme un moyen de propagande et d'éducation socialiste, il doit reposer sur un appareil de diffusion très développé ; on multiplie donc les salles, mais surtout, et d'abord pour les vastes régions rurales et montagneuses, les équipes mobiles de projection : l'ensemble de ces unités de projection passe de 2 282 en 1952 à 110 000 en 1978 (dont 90 000 équipes itinérantes de projection) pour atteindre le chiffre de 129 000 à la fin de 1981 (180 000 en 1987). Ce progrès permet une extension spectaculaire du nombre de spectateurs : 600 millions en 1952, 1 749 000 000 déjà en 1957, 22 500 000 000 en 1978 (contre 18 300 000 000 en 1977) et près de 26 milliards en 1981 (70 millions par jour, dont 50 millions de paysans). Toute l'infrastructure doit correspondre à cette demande accrue : on décide donc en 1958 de multiplier les studios : 33 existent fin 1959 ; certains n'auront toutefois qu'une vie éphémère ; ils ne sont plus qu'une dizaine fin 1979 ; cette même année l'industrie cinématographique emploie 400 000 personnes, 500 000 en 1987 (contre 60 000 en 1959). Longtemps tributaire de l'étranger pour son équipement (28 fabriques, pourtant, dès 1960), puisque la première production expérimentale de pellicule noir et blanc ne date que de 1958-59 et que la première pellicule couleurs n'est sortie de ses usines qu'à partir de 1965, elle réalise cependant en 1954 son premier film en couleurs,  Liang Shanbo et Zhu Yingtai (Liang Shanbo yu Zhu Yingtai)de Sang Hu* et Huang Sha, en 1959 son premier film en CinémaScope,  Nouvelle Histoire d'un vieux soldat (Laobing xinzhuan), de Shen Fu*, en 1960 son premier film stéréoscopique (DOC). Cet essor est brutalement brisé en 1966. Si 2 000 films avaient été réalisés de 1905 à 1949 selon l'historien Cheng Jihua, on avait tourné, de 1949 à 1966, 673 films de fiction. La révolution culturelle bannit des écrans les uns comme les autres. 75 pour cent des films réalisés de 1949 à 1966 avaient essentiellement pour thèmes la révolution chinoise, la construction de la nouvelle société socialiste, et 14 pour cent des épisodes historiques, de la guerre contre l'invasion japonaise en particulier. Tous sont pourtant qualifiés d'herbes vénéneuses. La répression s'abat sur les cinéastes, surtout sur les vétérans des années 30. Ils sont même frappés deux ans avant les autres catégories d'intellectuels, à l'issue d'une violente campagne contre deux films coupables d'oublier la lutte des classes et de véhiculer une idéologie humaniste petite-bourgeoise : Printemps précoce (Zaochun eryue, 1963), de Xie Tieli*, qui représentera la Chine à Cannes en 1979, et Au nord aussi des terres fertiles (Beiguo jiangnan, 1963), de Shen Fu*. Rendus responsables de ces productions, le vice-ministre de la Culture Xia Yan* et le directeur du Bureau du cinéma Chen Huangmei sont destitués et persécutés au cours des années suivantes.

Le cinéma est alors pris en main par l'épouse de Mao Zedong, Jiang Qing, ancienne actrice des années 30, devenue membre du bureau politique du parti communiste. Ce n'est pas la première fois que le cinéma est l'enjeu des luttes politiques. En 1951 déjà, une violente tempête s'est abattue sur les milieux cinématographiques à propos du film la Vie de Wu Xun (Wu Xun zhuan, 1950) de Sun Yu, attaqué par un violent éditorial du Quotidien du peuple, dont on a su plus tard qu'il avait été écrit par Mao lui-même. Au début de la révolution culturelle, la presse se déchaîne contre un autre film dont Jiang Qing conteste le message historique,  Histoire secrète de la cour des Qing (Qinggong mishi, Zhu Shilin) tourné à Hongkong en 1948. Sous le règne de Jiang Qing, le cinéma doit obéir à des règles contraignantes qui ne laissent aucune initiative au metteur en scène ; celui-ci s'efface devant le collectif que constitue l'équipe ; plus de générique ; l'anonymat est de règle. Aucun film de fiction n'est tourné de 1967 à 1972 ; seulement quelques pièces de théâtre filmées, des documentaires et des films scientifiques et éducatifs – qui ont toujours représenté une partie importante (et souvent la meilleure) du cinéma chinois (2 000 films de la dernière catégorie de 1949 à 1979, 150 en 1979 – auxquels se sont consacrés 2 000 cinéastes).

Le renouveau du cinéma chinois.

La production se relève lentement à partir de 1972 et voit plusieurs cinéastes chevronnés retrouver une certaine activité après les critiques dont ils ont été l'objet : Xie Jin*, Xie Tieli*, Sang Hu*, etc., et quatre films de fiction sortent sur les écrans en 1973, dont la Montagne aux pins verts (Qingsong ling), de Lu Guoquan et Jiang Shusen. Cependant, plusieurs films provoquent en 1975 et 1976 des conflits entre les dirigeants du parti communiste : Rupture (Juelie), les Pionniers (Chuangye, 1974) de Yu Yanfu, Haixia (Haixia, 1975) de Qian Jiang, Chen Huai'ai et Wang Haowei, Chunmiao (id.) de Xie Jin, 1975. Mais un nouvel essor, après la chute de Jiang Qing et de ses amis politiques en octobre 1976 se révèle difficile : le cinéma est privé de nombreux artistes et techniciens épuisés par les persécutions, morts en prison (Zheng Junli* ; Gu Eryi) ou trop longtemps tenus éloignés de la production. Les anciennes structures, brisées par la révolution culturelle, enfin restaurées, l'Association des cinéastes rouvre son siège en mars 1978, tient son deuxième congrès (387 délégués) à l'automne 1979 ; les revues, toutes interrompues durant dix ans, reparaissent peu à peu (l'Écran chinois tire aujourd'hui à huit millions d'exemplaires par numéro) ; les instituts cinématographiques reprennent leur activité (179 admis sur 13 000 candidats en novembre 1978 dans celui de Pékin). On réalise 24 films de fiction en 1977, 46 en 1978, 65 (avec les pièces de théâtre filmées) en 1979, 80 (+ 15 coproductions) en 1980, 106 en 1981, 130 en 1987. Fin 1979, les studios de la Jeunesse voient le jour ; en 1980 naît la Société d'études du cinéma mondial. Durant des années, les cinéastes chinois ont perdu le contact avec le monde. À partir de 1977, ils le redécouvrent, et avec lui des techniques et des procédés qu'ils empruntent souvent avec un appétit de néophytes. Le cinéma des dernières années subit de toute évidence une influence composite, celle des films américains, de Hongkong, et de Taiwan en premier lieu. Il existe pourtant une authentique tradition cinématographique chinoise qui s'est affirmée d'époque en époque en dépit des empreintes laissées par les vogues allemande, soviétique, américaine, etc. Plus que jamais, le cinéma chinois s'ouvre vers l'extérieur : plus d'un millier de films étrangers ont été doublés en langue chinoise depuis 1949, et la Chine a participé de 1978 à 1982 à une centaine de festivals internationaux (60 à 80 en 1987). Des échanges ont eu lieu avec de nombreux pays : délégations de cinéastes, organisation de semaines de films étrangers. Sorti d'une période de convalescence inévitable après le nihilisme et l'isolationnisme de la révolution culturelle, le cinéma chinois hésite encore entre les tentations de l'Occident et la fidélité à sa tradition, les deux n'étant pas forcément inconciliables et leur combinaison pouvant au contraire s'avérer féconde. Aujourd'hui, le metteur en scène a retrouvé son rôle dirigeant ; l'initiative du choix des films à réaliser échappe à la bureaucratie centrale pour revenir aux studios (dont tous les cinéastes sont salariés). Signes des temps : l'émergence de nombreux jeunes metteurs en scène ou acteurs et l'afflux de scénarios (10 000 reçus en 1979 par les studios de Pékin, Shanghai et Changchun, les trois principaux des dix-huit en activité en 1981, y compris celui qui est propre à l'armée). La télévision (seulement 2 millions de récepteurs en 1978, mais près de 10 millions déjà en 1982 et 120 millions en 1987) dispute déjà au cinéma un public de 1 milliard 200 millions d'habitants. À partir de 1988, le cinéma, qui jusque là dépendait du Ministère de la Culture, a été rattaché à la Radio-Télévision (Ministère de la Propagande).