Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
E

EFFETS SPÉCIAUX. (suite)

LES TRUQUAGES DE DÉCOR.

Les truquages de décor visent, dans leur principe, à donner au spectateur l'impression que la scène a été tournée sans truquage alors qu'en réalité elle a été filmée dans un décor (ou un environnement) plus ou moins factice. Leur raison d'être : il est souvent matériellement impossible (ou malcommode, ou trop onéreux) soit de trouver le décor souhaité, soit de pouvoir y tourner.

Les découvertes.

Le cas le plus simple (et qui se rencontrait au théâtre bien avant l'invention du cinéma) est celui où l'on filme en studio un intérieur comportant une ouverture (fenêtre, par ex.) censée laisser voir l'extérieur : on place derrière l'ouverture une découverte, toile peinte ou photographie, simulant l'extérieur. Ce truquage, qui demande certaines précautions (en particulier, la découverte doit présenter une perspective plausible) peut passer totalement inaperçu, notamment dans les scènes de nuit. Il peut aussi être visible, soit parce qu'il n'est pas réussi, soit parce que l'on a voulu faire précisément de cette « visibilité » un atout esthétique. (Cette remarque est évidemment valable pour n'importe quel truquage de décor et, au-delà, pour bon nombre de truquages.)

Les transparences.

La découverte est inanimée, ou ne permet que des animations simples : feux de croisement, enseigne lumineuse clignotante, etc. Cette limitation est inacceptable pour les scènes censées se dérouler dans une voiture, un train, etc. C'est d'ailleurs pour filmer en studio une scène de compartiment de train que le Français Le Prieur inventa en 1928 la transparence, où les acteurs évoluent devant un écran translucide sur lequel on projette par transparence un film, préalablement enregistré, montrant l'extérieur visible. (La transparence avait déjà été pratiquée, mais avec projection d'une vue fixe.)

Outre la règle de perspective crédible déjà évoquée (et notablement compliquée ici puisque le film décor doit correspondre aux mouvements apparents du véhicule ; pensons aux scènes de voiture où l'on voit le comédien tourner le volant), la transparence impose des contraintes non négligeables : studio profond, puisque l'on projette par l'arrière ; projecteur parfaitement synchronisé avec la caméra et très puissant pour que l'écran soit suffisamment lumineux par rapport à l'éclairage du plateau ; éclairage du plateau ne frappant pas l'écran, ou ne portant pas ombre sur celui-ci, etc. Demandant en outre des réglages très soignés, la transparence est un truquage relativement lourd, réservé aux productions importantes. En revanche, elle permet le tournage en studio, avec tout le « confort » de ce dernier.

Pratiquée avec soin, la transparence peut passer inaperçue si l'image à l'écran ne suggère pas d'évidence le tournage en studio. Dans le cas contraire, elle donne d'excellents résultats s'il y a cohérence esthétique avec la convention du tournage en studio : pensons par exemple aux scènes de voiture de la Main au collet (A. Hitchcock, 1955).

Dans le cinéma contemporain, le désir des cinéastes d'échapper à cette convention (et d'éviter le coût du truquage) conduit, quand cela se peut, à tourner effectivement dans une voiture, un train, etc. La sensibilité accrue des films, les progrès des matériels d'éclairage, l'allégement des caméras rendent la chose possible. Mais ils ne donnent pas pour autant du recul, et ils n'évitent pas d'avoir à éclairer la scène au moins un peu, ce qui peut rapidement compliquer l'opération ( éclairage), sans même parler de nombreux autres inconvénients (prise de son, par ex.).

La projection frontale.

Il demeure donc de nombreux cas où le studio reste irremplaçable. La transparence tend toutefois à être aujourd'hui remplacée par un procédé sensiblement plus souple : la projection frontale, imaginée quasi simultanément, après la dernière guerre, aux États-Unis et en Europe (procédé Alekan-Gérard, amélioré ensuite en procédé Transflex). Les acteurs évoluent ici devant un écran perlé particulier (dont la matière est souvent appelée Scotchlite, d'après un nom de marque de la société 3 M), ayant la capacité de renvoyer exactement d'où elle vient la lumière qu'il reçoit. Le projecteur est placé juste à côté de la caméra, perpendiculairement à celle-ci. Un miroir semi-transparent, orienté à 45o devant l'objectif de la caméra, réfléchit vers l'écran les rayons lumineux provenant du projecteur ; tout se passe donc comme si ces rayons provenaient de la caméra. Après réflexion sur l'écran, les rayons lumineux, revenant en sens inverse, traversent cette fois le miroir et atteignent l'objectif de la caméra. En l'absence de comédiens (ou d'accessoires), le négatif enregistre l'image du film décor. Si un comédien se trouve entre caméra et écran, du fait que (contrairement à l'écran) il réfléchit la lumière dans toutes les directions, il ne renvoie vers la caméra qu'une fraction totalement négligeable de la lumière issue du projecteur. Comme, par ailleurs, il masque évidemment la partie de l'écran située derrière lui, le résultat est similaire à celui d'une transparence, avec de nombreux avantages (le studio n'a pas besoin d'être aussi profond, l'éclairage du plateau peut frapper l'écran puisqu'il ne sera pas renvoyé vers la caméra, les réglages sont plus simples puisque caméra et projecteur sont côte à côte, etc.) contrebalancés par quelques inconvénients, notamment l'impossibilité de pratiquer des mouvements de caméra. Très utile aux productions à budget limité, la projection frontale est également employée, en raison de la qualité de ses résultats, dans des films à gros budgets, comme 2001 : l'Odyssée de l'espace (S. Kubrick, 1968). Notons une utilisation originale du Scotchlite dans Peau d'âne de Jacques Demy : Catherine Deneuve y portait une robe taillée dans ce matériau, ce qui permit d'y projeter des vues de nuages, la transformant en robe « couleur du temps ».

Le dunning.

Sur le plan historique, un autre procédé mérite d'être mentionné : le dunning, développé à la fin du muet par Carroll Dunning. Alors que transparence et projection frontale sont praticables aussi bien en noir et blanc qu'en couleurs, le dunning n'était praticable qu'en noir et blanc. Le film décor, dont l'image — initialement noir et blanc — avait été transformée par virage chimique en image « orange et blanc », défilait dans la caméra au contact du négatif, devant celui-ci. Sur le plateau, les comédiens, éclairés en orange évoluaient devant un fond bleu. L'orange est orange parce qu'il laisse passer la lumière orange et arrête les autres couleurs. Vis-à-vis de la lumière bleue provenant du fond, l'image du film décor se comportait donc comme une image noir et blanc, recopiée par contact sur le négatif sauf évidemment là où les comédiens masquaient le fond. Par contre, le film décor se comportait comme un film transparent vis-à vis des rayons lumineux orange provenant des comédiens, dont l'image était donc correctement enregistrée par le négatif. Ingénieux, le dunning était malheureusement d'emploi délicat, et il fut rapidement détrôné par la transparence.