Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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BURLESQUE. (suite)

Jerry Lewis est le seul, à Hollywood, à rompre la grisaille de ce tableau d'ensemble dans les années 50. D'abord avec le chanteur et acteur Dean Martin, puis seul et finalement, à partir du Dingue du palace (The Bellboy, 1960), sous sa propre direction, Lewis développe un comique dont la part proprement burlesque repose sur son jeu d'acteur, d'une flexibilité littéralement délirante. Il ajoute également de nouvelles variantes aux gags classiques (en particulier dans le style de gags décevants) et lie le burlesque, en tant que réalisateur, à de subtiles trouvailles de mise en scène. Mais il en délaie aussi la férocité en mariant le genre à la comédie sentimentale, dans un mélange où le conformisme des années 50 rejoint l'infantilisme que commence à produire la société de consommation naissante. Le conflit entre celle-ci et l'individu est au centre de l'œuvre qu'un autre comique, en Europe, élabore parallèlement à celle de Lewis : Jacques Tati. Après avoir créé Monsieur Hulot, une silhouette nostalgique qui prolonge directement la tradition du muet, Tati arrive dans les années 60 à révolutionner le comique (voire le cinéma en général) en insérant le gag et le héros individuel dans une sorte de reportage où, à l'image de tout notre quotidien, la destinée personnelle fait place à la statistique (Play time, 1967 ; Trafic, 1971).

Les années 60 voient également apparaître Pierre Étaix, un autre comique français qui partage avec Tati, en plus de son origine, à la fois la nostalgie du muet et une attitude critique devant la société moderne (Tant qu'on a la santé, 1966 ; cf. aussi le documentaire Pays de Cocagne, 1971). Même si son art n'est pas aussi novateur que celui de Tati, Étaix parvient à créer une œuvre personnelle et une silhouette qui, par sa stupéfaction face au monde, n'est pas sans évoquer, mais en plus agressif, un Langdon moderne. Celui-ci, significativement, serait moins un rêveur gracieux qu'un simple robot cassé...

Les années 60 et 70, enfin, sont marquées par l'arrivée de nouveaux comiques burlesques à Hollywood même. Ainsi Blake Edwards confère au protéiforme Peter Sellers, dans la suite des Panthère rose et l'étincelante Partie, une place enviable au panthéon du rire. Prenant la relève de Jerry Lewis, qui se retire peu à peu de l'écran, Mel Brooks et sa bande (Gene Wilder, Marty Feldman), d'une part, Woody Allen, d'autre part, font d'abord croire à une renaissance. En réalité, le burlesque prend plutôt avec eux définitivement fin. En toute conscience, ces comiques ne jouent plus qu'avec des formes creuses, leur propos principal étant, précisément, la crise du spectacle et en particulier des genres. Une réflexion critique sur le comique se substitue à la création spontanée, voire à la création tout court : des films sont faits de citations plus que d'idées — ou d'images — originales (chaque film de Brooks donne une version comique d'un genre précis, du film d'épouvante au western), les thèmes de l'omniprésence du spectacle et des médias (Allen introduit un reporter jusque sur un champ de bataille) et de l'échange entre réalité et illusion reviennent avec une constance obsessionnelle ; et, quand, d'aventure, on abandonne ces références, les gags se font délibérément si énormes qu'on ne peut les prendre qu'au second degré (surtout chez Mel Brooks). Allen, du reste, s'oriente de plus en plus clairement (depuis Annie Hall, 1977) vers un cinéma d'auteur dont l'humour, fortement littéraire, n'est plus qu'un aspect parmi d'autres. Il est vrai que le comique allénien y gagne plutôt en qualité : quand il occupait toute la place, il tournait souvent à une simple plaisanterie, aussi laborieuse que cérébrale. Ajoutons que le groupe anglais des Monty Python, de son côté, pratique la parodie énorme dans un esprit plus ou moins proche de celui de Mel Brooks. Quant au style, il évoque un peu celui des frères Ritz, ces frénétiques clowns musicaux des années 30 et 40. Les Python ne sont certes pas les seuls des comiques actuels à évoquer des vedettes du passé. Gene Wilder, de son côté, fait même penser à trois autres comiques à la fois, savoir à Harpo Marx, à Harry Langdon et à Larry Semon. À lui seul, ce fait est un symbole éloquent du vieillissement du genre.

Le burlesque a certes enrichi le cinéma d'une manière considérable. Plusieurs de ses protagonistes ont innové non seulement comme acteurs mais aussi comme cinéastes : Chaplin, Jerry Lewis, Woody Allen (dans ses derniers films), et surtout Buster Keaton et Jacques Tati. Ils sont d'ailleurs tous à la fois interprètes et auteurs, dans la mesure où leur personnalité d'acteur, véritable centre de gravité de leurs films, marque de son empreinte l'ensemble des éléments dont ceux-ci sont faits. Même s'ils ne sont pas toujours à proprement parler créateurs de formes, ils sont souvent créateurs, ainsi, d'univers poétiques autonomes, où les gags, le rythme de l'action, sa nature, les accessoires et les décors utilisés constituent une vision comparable à celle des plus grands auteurs modernes (Salvador Dalí, Giorgio De Chirico, Franz Kafka). L'admiration que le burlesque a inspirée à un grand nombre d'artistes d'avant-garde est d'ailleurs significative : à leur insu, ses comiques, de Durand à Fields (pour le moins), ont en fait été parmi les rares cinéastes à pratiquer le 7e art comme une forme de poésie, de discours intérieur, échappant aux limites de la narration classique.

Selon toutes apparences, certes, cette originalité se confondait avec les lois d'un genre parmi d'autres. D'où une constante ambiguïté, à laquelle le burlesque a fini par succomber. À partir d'un certain stade de son évolution, il devait soit se faire ouvertement poésie, soit se replier sur le comique seul. Comme il a adopté, pour l'essentiel, cette dernière solution, son évolution s'est ralentie, peut-être même arrêtée. Quant à ce mélange de rire, d'émerveillement et de trouble qu'il a longtemps représenté, il faut de plus en plus le chercher ailleurs : ainsi chez ces « humoristes » qui ont nom Fellini, Ferreri ou Herzog...