Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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ROUMANIE. (suite)

Les bouleversements politiques qui suivent la chute de Ceauşescu entraînent des changements dans la structure de l'industrie cinématographique. Certains films jusqu'alors interdits sortent sur les écrans en 1990 — c'est le cas d'Histoires de carnaval, de Lucian Pintilie*, et des Falaises de sable, de Dan Piţa. La production, elle, remonte très doucement la pente, durement concurrencée par l'afflux de films étrangers, essentiellement américains. Les cinéastes les plus en vue sont toujours Andrei Blaier, Dan Piţa, Mircea Daneliuc. Mircea Veroiu, obligé de s'exiler pendant longtemps, revient à la mise en scène dans son pays avec ‘ le Sommeil de l'île ’ (Somnul insulei, 1994). De jeunes réalisateurs apparaissent, pleins de promesses, tels Nicolae Mǎrgineanu (‘ le Regard de la colère ’ [Priveşte înainte cu mânie, 1994), Radu Mihǎileanu (Trahir, id.), Nicolae Caranfil (E pericoloso sporgersi, id.), mais la reprise reste lente et incertaine.

ROUQUIER (Georges)

cinéaste français (Lunel-Viel 1909 - Paris 1989).

Apprenti typographe puis linotypiste, il se passionne très jeune pour le cinéma et découvre, émerveillé, les œuvres de Chaplin, Flaherty, De Mille, Eisenstein et Dovjenko. Apprenant un jour qu'Eugène Deslaw a réalisé un film pour une somme modique, Rouquier, féru de photographie et de mécanique, s'achète une caméra d'occasion et tourne en son pays d'origine Vendanges, un premier film, perdu depuis. Survient la révolution du « parlant » : Rouquier se familiarise avec le son, sans cesser d'être linotypiste. Après ces longs apprentissages, le Tonnelier marque les véritables débuts d'un cinéaste qui ne fera jamais carrière. De retour à Lunel, il montre la fabrication d'un tonneau par un artisan. Tout autant que le personnage inscrit dans le contexte où il vit, les gestes propres à son travail sont choisis et magnifiés par Rouquier avec une sûreté absolue, fruit d'une patiente familiarité avec son sujet et d'une maîtrise de la technique cinématographique. Le Tonnelier est primé en 1943 et son producteur, Étienne Lallier, confie au cinéaste la réalisation du Charron, de nouveau axée sur un personnage et sur son travail : la construction d'une roue, véritable « science ». Rouquier brossera d'autres portraits d'artisans, mais, cernant la réalité au plus près, il approfondira chaque fois son propos de façon singulière : le Chaudronnier montrera comment une tradition artisanale a pris un tour industriel sous d'impérieuses nécessités ; et le Maréchal-ferrant (César 1978 du CM DOC) l'évolution du ferrage des animaux de trait, de l'Antiquité à nos jours. Mais Rouquier ne se laisse pas enfermer dans un genre. Farrebique, son premier et plus célèbre long métrage, marque un troisième retour du cinéaste à ses sources, décidément vivifiantes. D'un individu, il passe à une communauté, une famille de paysans du Rouergue vivant encore en autarcie à la veille de la grande mutation du monde rural, qui s'accélérera après la guerre. Évocation des quatre âges de la vie, Farrebique se déroule au fil des saisons, tissé de menus faits de la vie quotidienne, de joies et de peines. Le film a pour ressort dramatique majeur la nécessité vitale du travail des champs et des soins aux bêtes, mais pose aussi les problèmes de l'électrification de la ferme et du maintien du patrimoine foncier. Moderne géorgique où Rouquier se hausse au niveau de ses pairs, Farrebique provoque de vives polémiques critiques. Bien qu'écarté de la sélection officielle du 1er festival de Cannes, il y reçoit le Grand Prix de la critique internationale en 1946. Dès cette époque, Rouquier envisage de donner une suite à Farrebique, sans cependant pouvoir être entendu. Retour au moyen et au court métrage. L'Œuvre scientifique de Pasteur (CO Jean Painlevé) montre le cheminement intellectuel d'un homme trop souvent enfermé dans des stéréotypes et ses luttes solitaires contre le monde scientifique de son époque ; le Sel de la terre, consacré à l'évolution de la Camargue et dont l'ouverture est digne de Flaherty, comme Malgovert (CO Daniel Lecomte), qui relate la construction du barrage de Tignes sans en escamoter les tragiques conséquences, sont des films de commande exemplaires. Sang et Lumière, sa deuxième incursion dans le long métrage, se présente sous les auspices les moins favorables (coproduction arbitraire, distribution hypothétique). C'est un échec, nullement déshonorant, qui ne décourage pas son auteur : il va réaliser coup sur coup trois de ses films les plus importants. L'existence d'Arthur Honegger, Rouquier semble la ramasser dans un subtil portrait où il parvient à saisir le tâtonnement du musicien qui ne cesse de chercher l'inspiration, bien que ses forces l'abandonnent ; la lucidité d'un homme qui, au soir de sa vie, livre des réflexions essentielles sur son art et sur la destinée humaine. C'est encore de l'imprévisible qui s'offre à Rouquier et à l'opérateur Albert Viguier qui, avec Lourdes et ses miracles, anticipent dès 1954 sur ce qui va devenir « le cinéma direct » : équipe réduite et mobile, caméra à l'épaule, son direct ou d'ambiance. Cette prouesse technique est mise au service d'une commande diligentée au départ comme une enquête qui ne cèle rien d'un sujet particulièrement scabreux. Rouquier en tire un triptyque ouvert, d'une dérangeante probité, sur la souffrance et son horreur, la guérison et les questions qu'elle soulève, la foi et les marchands du temple. Puis c'est son second film de fiction, S. O. S. Noronha, qui évoque les activités d'un groupe de mécaniciens radio installés dans une petite île brésilienne et chargés de guider Mermoz dans une de ses liaisons postales. Après ce film, Rouquier ne cesse de travailler, mais il lui faudra pourtant attendre plus de 25 ans avant de pouvoir tourner, grâce à une mise de fonds initiale venant des États-Unis, un nouveau long métrage. Et c'est Biquefarre (Grand Prix spécial du jury au festival de Venise 1983), cette « suite » de Farrebique à laquelle il avait songé 37 ans auparavant. Mais les temps ont bien changé et c'est un tout autre film qui voit le jour. Sa trame, tissée de plusieurs histoires, dont la principale se réfère à Farrebique, permet à Rouquier de dresser, en humaniste, un bilan accablant de la situation où se trouvent aujourd'hui l'agriculture française, la terre nourricière devenue outil de travail, les hommes et les bêtes soumis à des rythmes infernaux, bilan où se trouve posé le problème fondamental de la possession des sols. Aucun sentiment passéiste ne vient diluer la force du film, animé d'une véhémente indignation, à la mesure du constat effectué au terme d'une longue enquête. La forme étant inséparable du contenu, jamais le cinéaste ne semble avoir maîtrisé, comme dans Biquefarre, son écriture dont le montage est la phase majeure, et où se mettent définitivement en place les éléments visuels et sonores enregistrés au tournage. Les mythes ont la vie dure et, en France plus qu'à l'étranger, Rouquier demeurera encore longtemps comme l'homme d'un seul film, Farrebique. Mais on commence à découvrir qu'il a derrière lui toute une œuvre, fruit d'une volonté opiniâtre et d'une fidélité indéfectible à lui-même.