Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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TCHÉCOSLOVAQUIE. (suite)

La « génération de 56 ».

À partir de 1956, une première libéralisation permet aux réalisateurs de s'exprimer de manière plus personnelle et d'aborder des sujets où la psychologie prend le pas sur l'idéologie. Aux metteurs en scène en activité s'adjoignent des individualités comme Jan Kadár*, qui travaille en association avec l'ex-scénariste Elmer Klos, Vojtěch Jasný*, Ladislav Helge, Zbyněk Brynych*, Karel Kachyňa*, František Vlačil*. ‘ Les Nuits de septembre ’ (1957) et le Désir (1958) de Jasný, les Enfants perdus (Ztracenci, 1957) de Miloš Makovec, ‘ Une légende d'amour ’ (Legenda a lašce, id.) de Krška, le Piège à loups (id.) et Roméo, Juliette et les ténèbres (1960) de Weiss, ‘ la Morale de Mme Dulská' (1958) et Monsieur Principe Supérieur (1960) de Krejčik, ‘ la Colombe blanche ’ (1960) de Vlačil, ‘ le Chant du pigeon gris ’ (Pieseň o sivom holubovi, 1961) de Stanislav Barabaš ou ‘ le Boxeur et la Mort ’ (Boxer a smrt, 1962) de Peter Solan annoncent déjà un profond changement dans l'orientation du cinéma tchécoslovaque. Les jeunes cinéastes, dont certains ont à peine leur diplôme de fin d'études de la FAMU (École du cinéma fondée à Prague en 1946), font une entrée fracassante dans la production en 1963. Les recherches esthétiques vont de pair chez eux avec une démarche résolument critique, aussi bien sociale que politique. Jaromil Jireš* tourne en 1963 le Premier Cri, Věra Chytilová* Quelque chose d'autre, Miloš Forman* l'As de pique. Ils sont bientôt épaulés par Evald Schorm*, Štefan Uher*, Jan Němec*, Ivan Passer*, Pavel Juráček*, Jiři Menzel* et Juraj Jakubisko*. Le mouvement ne se limite pas à une prise du pouvoir par une jeune et bouillante génération de réalisateurs pressés de s'exprimer par l'image et de contester les erreurs idéologiques de la période stalinienne ; il entraîne dans son sillage d'autres réalisateurs plus âgés ou plus expérimentés et influence considérablement le « nouveau cinéma contemporain ».

Pendant six ans, de 1963 à 1969, la production tchécoslovaque est d'une très haute qualité. On retiendra parmi les meilleurs films de la « génération de 56 » Un jour un chat (1963) et Chronique morave (1969) de Jasný, l'Accusé (1964), la Boutique sur la Grand-Rue/le Miroir aux alouettes (1965) de Kadár et Klos, Le cinquième cavalier, c'est la peur (1964) de Brynych, Vive la République (1965) et Une voiture pour Vienne (1966) de Kachyňa, Marketa Lazarová (1966) de Vlačil et, parmi ceux de la « nouvelle génération », les Petites Marguerites (1966) de Chytilová, ‘ l'Orgue ’ (1964) et ‘ la Vierge miraculeuse ’ (1966) d'Uher, les Amours d'une blonde (1965) et Au feu les pompiers (1967) de Forman, Fin août à l'hôtel Ozon (Konec srpna v hotelu Ozón, 1967) de Jan Schmidt, Josef Kilian (1964) et Chaque Jeune Homme (1967) de Juráček, les Diamants de la nuit (1964) et la Fête et les Invités (1965) de Němec, Du courage pour chaque jour (1964), le Retour du fils prodigue (1966) et la Fin du curé/le Bedeau (1968) de Schorm, Éclairage intime (1965) de Passer, Personne ne rira (Nikdo se nebude smát, 1965) de Hynek Bočan, Trains étroitement surveillés (1966) et l'Été capricieux (1968) de Menzel, l'Incinérateur de cadavres (id.) de Juraj Herz, les Années du Christ (1967) de Juraj Jakubisko, la Plaisanterie (1968) de Jireš. Les événements de 1968 ralentissent certes l'activité des cinéastes, mais plusieurs films sont néanmoins produits. Les Fruits du paradis (V. Chytilová, 1969) et les Oiseaux, les Orphelins et les Fous (J. Jakubisko, id.), deux coproductions, respectivement avec la Belgique et la France, annoncent néanmoins la fin d'une époque.

Le temps de la répression.

Le régime politique en se durcissant se montre répressif : plusieurs œuvres entreprises par Schorm, Kachyňa, Menzel et Drahomíra Vihanová sont interdites par la censure.

Certains cinéastes, suivant en cela de nombreux autres artistes et intellectuels, choisissent l'exil. Miloš Forman et Ivan Passer vont réaliser leurs films aux États-Unis, Jan Kadár au Canada, Jasný, Weiss et Barábaš quittent leur pays natal suivis, quelques années plus tard, par Němec et Juráček. Schorm abandonne le cinéma après avoir réalisé en 1971 les Chiens et les Hommes et s'oriente vers la mise en scène de théâtre et d'opéra. À l'exception de Jireš (Valérie au pays des merveilles, 1970, et Je salue les hirondelles, 1972), Herz, Kachyňa, Schmidt, certains représentants de la nouvelle génération — mais aussi ceux de la génération précédente comme Helge — disparaissent temporairement ou définitivement de l'écran. La qualité des films se ressent de cette désertion forcée et ce d'autant que la nouvelle direction du cinéma réclame un engagement politique clair de ceux qui souhaitent poursuivre leurs activités artistiques. Le cinéma retombe dans le schématisme et le manichéisme idéologique, dans l'académisme et la banalité. L'impasse semble définitive car le film tchécoslovaque ne s'exporte plus et demeure longtemps absent des grands festivals internationaux. Les cinéastes de talent comme Antonín Máša, Štefan Uher, František Vlačil, Jaromil Jireš, Jiři Krejčik, Karel Kachyňa, Věra Chytilová, Juraj Jakubisko, Jiři Menzel doivent s'adapter à la nouvelle situation. Certains d'entre eux perdent leur originalité au fil des ans. Les trois derniers cités doivent attendre la fin des années 70 pour revenir à la hauteur de leurs productions antérieures. Chytilová tourne le Jeu de la pomme en 1976, ‘ Panelstory ’ en 1979, ‘ la Calamité ’ en 1980, ‘ l'Après-midi d'un faune ’ en 1984, Menzel ‘ Retailles ’ en 1980, Jakubisko ‘ l'Abeille millénaire ’ en 1983. La relève reste timide et les rares films exploités à l'étranger sont des comédies ou des films policiers (ainsi le Nick Carter à Prague [Adéla ještě nevečeřela], d'Oldřich Lipský en 1977). Un seul domaine reste privilégié : le film pour enfants, dont le niveau artistique a toujours été en Tchécoslovaquie relativement élevé et qui compte parmi ses artisans les plus inventifs des spécialistes comme Věra Plivova-Simkova. Dans la première moitié des années 80, quelques films qui se permettent, le plus souvent de manière indirecte, de critiquer le système politique (ainsi la comédie amère de Dušan Hanak J'aime tu aimes en 1980 ou l'œuvre allégorique de Juraj Herz ‘ Vous me la baillez belle ’ en 1983) se voient frappés d'interdiction de distribution. Ce sont ces films-là pourtant — auxquels il convient d'ajouter certains titres de Dušan Trančik, Štefan Uher, Věra Chytilová, Jiři Menzel et certains essais de réalisateurs débutants comme Karel Smyczek, Vladimir Drha, Zdenek Zaoral et Zdenek Troška — qui se distinguent d'une production officielle terne et conformiste.