Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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MOUVEMENTS D'APPAREIL. (suite)

Le travelling.

Le travelling est un déplacement de la caméra elle-même, éventuellement combiné avec une rotation de la caméra, c'est-à-dire un panoramique. Selon que l'on filme dans le sens du déplacement, ou bien « à reculons », ou bien encore « sur le côté », on parle de travelling avant, arrière, latéral.

On peut distinguer trois grandes familles de travellings.

Il y a d'abord les travellings correspondant à un déplacement « logique » de la caméra. Celui-ci consiste soit à donner le point de vue d'un personnage placé dans une voiture (un train, un bateau, etc.), soit à montrer à la fois le personnage et le paysage extérieur vus depuis la voiture elle-même (le train lui-même, etc.). L'idée la plus naturelle consiste ici à fixer la caméra dans ou sur la voiture (le train, etc.). Si c'est bien ainsi que l'on procède lorsque l'on filme uniquement le paysage, la méthode est souvent malaisée, voire impraticable, lorsque l'on veut filmer aussi les personnages : manque de place, manque de recul, difficultés pour éclairer, quasi-impossibilité d'enregistrer un son correct, etc. Pour toutes ces raisons, ce genre de travelling fut pendant longtemps — sauf exception — filmé en studio, le paysage extérieur apparaissant dans l'image par un trucage : transparence, projection frontale, cache-contre-cache ( EFFETS SPÉCIAUX). Le coût de ces trucages, et le désir des réalisateurs d'échapper aux conventions du studio, poussèrent par la suite à préférer le tournage en travelling « réel », devenu concevable grâce à toute une série de progrès techniques : allégement des caméras et des matériels d'éclairage, augmentation de la sensibilité des films et de l'ouverture des objectifs (notamment des objectifs à courte focale, indispensables si l'on a peu de recul). Ces progrès n'augmentent cependant pas la place disponible à bord des véhicules, sauf à recourir à des méthodes parfois aussi lourdes que le studio, consistant par exemple à placer la voiture filmée sur le plateau d'une voiture-travelling qui fournit par ailleurs le courant pour l'éclairage.

Dans une autre grande famille de travellings, le mouvement d'appareil est purement narratif : Nuit et Brouillard d'Alain Resnais (1956) ; Toute la mémoire du monde du même Resnais (id.) ; Week-End de J.-L. Godard (1967). Le mouvement peut parfois être obtenu en plaçant la caméra sur un véhicule non spécifique du cinéma (voiture, hélicoptère, etc.) ou bien en ayant recours à un « bricolage » (cf. l'espèce de téléphérique, installé pour les besoins de la cause, qui permit le long travelling arrière en plongée de la séquence d'ouverture des Hommes du président d'Alan J. Pakula, 1976). Mais l'outil privilégié est ici le chariot de travelling, petit chariot sur roues où prennent place au moins le cadreur et son assistant, et — sur les gros modèles — une ou deux autres personnes. S'agissant du mode de roulement, deux écoles existent : les roues creuses sur rails tubulaires (procédé traditionnel en France), les roues pleines évoluant sur le sol du studio ou sur des feuilles de contreplaqué ou encore sur des rails en forme de gouttière (procédé traditionnel aux États-Unis). La seconde méthode est celle de la traditionnelle « Dolly ». (Il existe en fait divers modèles de Dolly, qui permettent tous de monter ou descendre la caméra pendant le travelling, grâce à un dispositif pneumatique ou hydraulique. Le mouvement vertical est d'ampleur trop limitée pour entrer dans la catégorie des mouvements de grue.) La Dolly est aujourd'hui détrônée par des appareils plus modernes, notamment l'Elemack, nom de marque d'un chariot d'encombrement ajustable selon les besoins, et capable dans sa configuration la plus dépouillée de se faufiler là où il était inimaginable de faire passer un chariot conventionnel. L'installation des travellings et le maniement des chariots constituent une des grandes tâches des machinistes.

Dans la troisième famille de travellings, l'on filme des personnages ou des éléments en mouvement, la caméra décrivant un mouvement similaire pour que personnage ou éléments demeurent cadrés de la même façon. Selon le cas, on fait appel à diverses méthodes : chariot de travelling pour suivre des personnages qui discutent en marchant, automobile (souvent une voiture-travelling spécialisée) pour suivre la course des cavaliers du western, etc.

La grue.

Avec le chariot de travelling comme avec la voiture-travelling, la caméra se déplace dans un plan, presque toujours le plan horizontal. Les mouvements de grue lui ouvrent la troisième dimension de l'espace. Il peut s'agir d'un pur mouvement vertical, comme dans ces westerns ou ces films à grand spectacle où la caméra prend de la hauteur pour montrer toute la scène. Il peut s'agir, comme pour les panoramiques ou travellings, de mouvements « logiques », permettant par ex. de suivre l'acteur qui monte l'escalier d'honneur du château. Il peut s'agir d'un pur « ballet » de la caméra : cf. Chantons sous la pluie de Stanley Donen, 1952 (scène de l'échelle dans le studio désert) ; cf. la bobine d'ouverture de la Soif du mal d'Orson Welles (1958), où grue et travelling se combinent avec virtuosité, etc.

Pour les mouvements de très grande amplitude, on emploie un dispositif effectivement similaire à une grue : un grand mât déployable, mobile en hauteur et en largeur, souvent installé sur un camion. Les modèles les plus puissants — telle la Titan de la firme américaine Chapman — élèvent la caméra, le réalisateur, le cadreur et son assistant jusqu'à une dizaine de mètres ! Onéreuses, de telles grues n'existent qu'en très peu d'exemplaires, loués juste le temps nécessaire.

Pour les mouvements de moindre ampleur, on installe caméra et cadreur à l'extrémité d'un bras de type balançoire, équilibré par un contrepoids et animé par les machinistes qui abaissent ou soulèvent l'autre extrémité du bras. On combine aisément grue et travelling en montant ce type de bras sur un chariot de travelling, Elemack ou appareil similaire.

Les systèmes de grue décrits ci-dessus sont prévus pour porter au minimum une caméra et son cadreur. On change complètement les données du problème si l'on décide de se limiter à une caméra portable (considérablement plus légère qu'une caméra conventionnelle) dotée d'un viseur électronique ( CAMÉRA) permettant d'observer l'image à distance sur un écran de type télévision. C'est ainsi qu'a pu être imaginée la Louma, nom de marque d'une grue originale, initialement d'invention française, où la caméra est suspendue à l'extrémité d'un tube orientable dont la longueur, ajustable par tronçons, peut atteindre 7, 50 m. L'orientation de la caméra, elle-même au bout du bras, est télécommandée, de même que la mise au point, la distance focale de l'objectif et le diaphragme. Nettement plus légère qu'une grue classique de même débattement, et démontable en éléments portables par un seul homme, la Louma est riche en possibilités : non seulement on peut l'installer dans des endroits où une grue classique ne pourrait parvenir, mais on peut aussi imaginer par exemple de l'installer... au bout d'une grue classique, ce qui autorise des mouvements d'une extraordinaire complexité. Employée régulièrement à la télévision pour le Grand Échiquier, la Louma a notamment été l'outil principal de tournage de 1941 de Steven Spielberg (1979).