Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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CRIMINEL (cinéma). (suite)

À la même veine appartiennent les Hors-la-loi (W. Keighley, 1935) : face à l'inefficacité des polices locales, dont les dirigeants sont souvent corrompus, on a recours au policier fédéral, à l'homme du gouvernement. Le vaste thème de la corruption policière et civique (ébauché dès The Musketeers of Pig Alley, D. W. Griffith, 1912), la tendance à l'interchangeabilité des rôles de gangster et de policier, préfigurent certains des éléments qui, quelques années plus tard, caractériseront « le film noir ». Cette tendance tient d'abord à ce que les policiers, contraints d'utiliser les mêmes méthodes que les criminels, font semblant d'appartenir au gang (par exemple Robinson dans Guerre au crime, également de Keighley, 1936) ; elle vient aussi de ce que les interprètes sont, de part et d'autre, les mêmes. Ainsi, Cagney, d'ennemi public, devient G-Man ; ainsi, dans Guerre au crime, Robinson, policier camouflé, abat Bogart, avant de redevenir dans Key Largo (J. Huston, 1948), un gangster qu'abattra Bogart.

L'accent reste mis sur l'environnement social du gangstérisme. Cela n'est nullement infirmé par les œuvres nombreuses qui montrent gangster et prêtre, ou gangster et policier, issus du même milieu : le gangstérisme semble promettre une ascension sociale rapide, et les conditions de la vie urbaine où il s'enracine sont invoquées comme circonstance atténuante. À cette phase du genre appartiennent la théâtrale Rue sans issue (W. Wyler, 1937) ou les Anges aux figures sales (M. Curtiz, 1938), qui, en dépeignant des délinquants juvéniles, rendent explicite le lien entre l'environnement et la criminalité. Chez Wyler, au gangster qui retourne au quartier de son enfance (Bogart) s'oppose l'architecte qui souhaite démolir les taudis ; chez Curtiz, le gangster (Cagney) est convaincu par son ami d'enfance devenu prêtre de jouer la lâcheté pour se dépouiller, aux yeux de ses admirateurs adolescents, de tout héroïsme. On voit donc reparaître ici les schémas de rédemption mélodramatique présents à l'aube du genre comme chez Sternberg.

Pendant les années 30, mais en marge du film de gangsters proprement dit, tout un courant du cinéma criminel suggère que la délinquance peut être affaire de circonstances et de conditions sociales, et dégage donc, pour une large part, la responsabilité de l'individu. Face au gangster, criminel professionnel paré d'un prestige ambigu, voici au contraire un homme ordinaire dont la société « fait un criminel ». Ainsi, Paul Muni, interprète de Scarface, est la même année un héros de la Première Guerre mondiale réduit au chômage, condamné à dix ans de bagne pour sa complicité involontaire dans un hold-up, évadé, dénoncé, contraint de vivre dans la clandestinité et de continuer à voler (Je suis un évadé, LeRoy, 1932). Ainsi, John Garfield, dans Je suis un criminel de Berkeley, au titre original encore plus explicite (They Made Me a Criminal, 1939). Ainsi, avec davantage du lyrisme, et aussi la conscience que le déterminisme social n'est pas seul en cause, dans J'ai le droit de vivre de Lang (1937). Cette dernière œuvre annonce, à bien des égards, le film noir : point de vue subjectif, sentiment d'une fatalité plus métaphysique que sociologique.

Le film noir. Il n'existe pas de définition satisfaisante du film noir, car celui-ci est davantage affaire, en dernière analyse, d'atmosphère que de personnages, de milieu ou de scénario. L'expression est apparue après la Seconde Guerre mondiale, sous la plume de critiques français qui, découvrant d'un coup l'ensemble de la production hollywoodienne des années 1940-1945, y reconnurent un air de famille ; elle est passée ensuite, telle quelle, dans la langue anglaise. (En France, on avait qualifié de « films noirs » les œuvres de Carné comme Hôtel du Nord ou Quai des brumes.)

On cite souvent le Faucon maltais de Huston (1941) comme le prototype du film noir, ce qui est contestable, mais a le mérite d'attirer l'attention sur ce qui constitue le noyau même du genre : le film de détective privé. Un groupe cohérent comprend en effet, outre le Faucon maltais, Adieu ma belle (E. Dmytryk, 1944), le Grand Sommeil (Hawks, 1946), la Dame du lac (R. Montgomery, 1947) et The Brasher Doubloon (J. Brahm, id.). Tous ces films sont des adaptations de Raymond Chandler, sauf le Faucon maltais, d'après Dashiell Hammett, où le détective privé Sam Spade est incarné, comme Marlowe dans le Grand Sommeil, par Humphrey Bogart.

Ni gangster ni policier, le détective privé jouit d'un statut ambigu. En réalité, son code moral est des plus exigeants, mais s'accommode de gestes violents ou de ruses que ne désavoueraient pas les criminels, et s'accompagne d'un apparent cynisme, souvent gouailleur. Son individualisme est gage de liberté : contrairement aux criminels et aux policiers, il n'est intégré dans aucune organisation. Il est pauvre, mais n'a ni famille ni besoins, si bien qu'il est à l'abri de la corruption. Les criminels qu'il combat appartiennent souvent, contrairement aux gangsters des années 30, aux milieux les plus aisés, dont on nous donne une image décadente.

Dans le film de gangsters, les bas-fonds étaient assez clairement localisés, même si la corruption n'était pas absente. Dans le film noir, le bien et le mal semblent disposés de manière aléatoire, sans égard à l'origine sociale ou à la richesse. De plus, toujours en règle générale, même si, comme le film noir, le film de gangsters affectionnait les décors nocturnes, il était dépourvu de mystère, d'énigme à déchiffrer, parfois même de menace. La violence y était excessive, mais évidente. En revanche, le « privé » a toujours quelque énigme à débrouiller ; la menace est omniprésente, la violence, insidieuse.

À l'intrigue linéaire des films de gangsters s'opposent parfois des flashbacks complexes (la Griffe du passé, J. Tourneur, 1947). C'est que, dans le film de gangsters, le point de vue était habituellement objectif, impersonnel ; le film noir utilise volontiers la narration à la première personne (par là, il perpétue la tradition de films criminels comme Je suis un évadé) et comporte au moins deux exemples célèbres de « caméra subjective » : la Dame du lac, de Montgomery, et les Passagers de la nuit (D. Daves, 1947).