Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
S

SOLÁS (Humberto Solas Borrego, dit Humberto)

cinéaste cubain (La Havane 1941).

Associé depuis le début à l'ICAIC, fondé par la révolution, il combine la formation obligatoire à l'école documentaire avec des incursions fictionnelles, voire expérimentales. Le moyen métrage Manuela (1966) s'impose aussi bien par la sensibilité et l'originalité de son portrait de femme (une jeune paysanne de la guérilla castriste) que par la justesse de sa mise en scène. Manuela annonce ainsi Lucía (1968), un des sommets du cinéma cubain. Lucía est un long métrage comprenant trois épisodes autour de trois personnages féminins de différentes époques et milieux sociaux : une aristocrate créole entraînée dans la résistance patriotique contre les Espagnols (au XIXe siècle), une jeune petite-bourgeoise engagée dans la lutte contre la dictature de Machado (années 30) et une fougueuse paysanne contemporaine, après le triomphe de la révolution, en butte à la jalousie d'un mari effrayé par l'autonomie de la femme. Trois styles de mise en scène fort différents, adoptés avec une aisance et une inspiration équivalentes, composent un retable baroque, nuancé, dialectique, dont la virtuosité n'entame pas un profond attachement aux personnages. L'articulation des épisodes souligne la permanence d'une problématique féministe, y compris au sein de la société socialiste, avec une franchise et un brio qu'on ne retrouve pas par la suite avant Retrato de Teresa (Pastor Vega, 1979). Un día de noviembre (1972) prolonge et approfondit ces inquiétudes quant aux dilemmes du castrisme, ce qui vaut à son film le plus personnel de rester interdit pendant plusieurs années. Le goût de Solás pour le baroque visuel est encore évident aussi bien dans ses documentaires (Simparelé, 1974 ; Wifredo Lam, 1978) que dans sa contribution au martyrologe latino-américain (Cantata de Chile, 1975). Le monumental et controversé Cecilia (1982), d'après le feuilleton classique de Cirilo Villaverde, pousse les recherches de Solás encore plus loin, car l'imagerie est imprégnée d'une mythologie collective, d'origine afro-cubaine, et le metteur en scène y adopte un romantisme débridé, dans la lignée du très expressionniste premier sketch de Lucía, mais en plus somptueux. Malheureusement, ces fulgurances s'accordent mal avec un montage et même une réalisation marqués par les impératifs de la télévision, à laquelle le film est aussi destiné. Hélas, Amada (1983) n'en retient que l'aspect figé déjà perceptible dans Cecilia, sans les qualités grâce auxquelles Humberto Solás occupe une place à part dans le cinéma cubain. Il réalise en 1986 Un hombre de éxito qui évoque l'itinéraire parallèle de deux frères engagés dans la lutte contre la dictature de Machado, au cours des années 30 jusqu'à la victoire de Fidel Castro, un quart de siècle plus tard. Après Obataleo (CM, 1988), il adapte en 1992 l'œuvre d'Alejo Carpentier le Siècle des Lumières (El siglo de las Luces), une façon de s'interroger sur le destin des Révolutions. Après une longue parenthèse, il signe Miel para Oshún (2001).

SOLDATI (Mario)

cinéaste et écrivain italien (Turin 1906 - Tellaro 1999).

Surtout porté vers la littérature, Soldati, après des études d'histoire de l'art, arrive au cinéma un peu par hasard en étant engagé par la Cines en 1931. D'abord assistant, il devient scénariste à partir de 1932 et travaille avec Blasetti, Ruttmann et surtout Camerini (les Hommes, quels mufles !, 1932 ; Giallo, 1933 ; Il grande appello, Ma non è una cosa seria, 1936 ; Il signor Max, 1937). Après avoir dirigé les versions italiennes de Tarakanova (F. Ozep, 1938) et de l'Inconnue de Monte-Carlo (A. Berthomieu, 1939), il met en scène deux comédies très réussies, Due milioni per un sorriso (CO Carlo Borghesio, 1939) et Dora Nelson (id.). Au début des années 40, il inaugure le mouvement calligraphique avec Piccolo mondo antico (1941) et Malombra (1942) ; très maîtrisés, ces films révèlent un talent de narrateur qui utilise avec beaucoup de subtilité les suggestions du décor — intérieurs aristocratiques du XIXe siècle, rives et villas des bords du lac de Côme. Après la guerre, Soldati réalise encore des œuvres marquantes (Le miserie del signor Travet, 1946 ; Eugénie Grandet, 1947 ; Daniele Cortis, id. ; Fuga in Francia, 1948). Il se laisse alors absorber par un système de production qui ne lui confie plus que des comédies (O. K. Néron [O. K. Nerone], 1951), des films de cape et d'épée (l'Héritier de Zorro [Il sogno di Zorro], 1952 ; les Trois Corsaires [I tre corsari], id.) ou des drames populaires (la Fille du fleuve [La donna del fiume], 1955). Il ne retrouve une main très sûre qu'assez occasionnellement (la Marchande d'amour [La provinciale], 1953 ; Policarpo ufficiale di scrittura, 1959). Le meilleur de l'œuvre de Soldati trouve sa source dans des sujets empruntés à la littérature (Piccolo mondo antico, Malombra, Daniele Cortis d'après Fogazzaro, Le miserie del signor Travet d'après Bersezio, Eugénie Grandet d'après Balzac, Policarpo d'après Gandolin, La provinciale d'après Moravia). Il s'agit presque toujours de films en costumes, genre dans lequel Soldati excelle : sa capacité à évoquer le XIXe siècle se retrouve dans la contribution importante qu'il apporte à Guerre et Paix (K. Vidor, 1956). Après 1959, Soldati se consacre uniquement à la littérature et poursuit une œuvre largement traduite en français.

Autres films  :

Tutto per la donna (1940) ; Tragica notte (1942) ; Quartieri alti (1943) ; Chi a Dio ? (CM, 1948) ; Quel bandito sono io (1950) ; Je suis de la revue (Botta e risposta, id.) ; Fra Diavolo (Donne e briganti, 1951) ; E'l'amor che mi rovina (id.) ; le Chevalier sans loi (Le avventure di Mandrin, 1952) ; la Fille du corsaire noir (Jolanda la figlia del corsaro nero, 1953) ; Questa è la vita (troisième épisode : Il ventaglino, 1954) ; Rapt à Venise (La mano dello straniero, 1955) ; Sous le ciel de Provence (Era di venerdi 17, 1957) ; Italia piccola (id.).