Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
E

ERKSAN (Karamanbey Metin, dit Metin)

cinéaste turc (Çanakkale 1929).

Figure marquante du cinéma d'auteur en Turquie, il a réalisé, notamment, Un été sans eau (Susuz Yaz, 1963) qui obtint l'Ours d'or au Festival de Berlin en 1964. Après des études d'histoire de l'art à l'université d'Istanbul, il débute comme critique de cinéma à la fin des années 50. Il écrit aussi les scénarios de la plupart de ses films, qu'ils soient documentaires, œuvres de fiction ou séries télévisuelles. Dans les années 60, il prend position en faveur du mouvement du « cinéma national » en ne craignant pas d'alimenter la polémique. Il est également l'un des premiers cinéastes à explorer le monde paysan. Il s'impose par l'originalité de son univers cinématographique, où les thèmes de l'amour impossible et de la solitude s'infiltrent jusque dans ses œuvres les plus réalistes, pour lesquelles il a eu des démêlés avec la censure. Il s'attaque à des genres très variés, du mélodrame musical à des adaptations littéraires, et signe des essais originaux, comme l'Ange de la vengeance — la Femme Hamlet (Intikam Meleǧi — Kadın Hamlet, 1976). Il tourne beaucoup pour la télévision et divise souvent la critique, aussi bien par la qualité inégale de ses films que par ses prises de position intellectuelles, hautes en couleur. Après avoir réalisé trente-cinq films, il ne tourne plus pour le cinéma depuis 1977.

Principaux films :

le Monde ténébreux (Karanlık Dünya, 1952), l'Enfer blanc (Beyaz Cehennem, 1954), le Héros des neuf montagnes (Dokuz Daǧın Efesi, 1958), Au-delà des nuits (Gecelerin Ötesi, 1960), Vie amère (Acı Hayat, 1962), la Vengeance des serpents (Yılanların Öcü, 1962), Un été sans eau (Susuz Yaz, 1963), le Temps d'aimer (Sevmek Zamanı, 1966), le Puits (Kuyu, 1968) et Je ne peux vivre sans toi (Sensiz Yaşayamam, 1977).

ERMLER (Friedrich) [Fridrih Markovič Ermler]

cinéaste soviétique (Rechitsa [auj. Rezekne], Lettonie, 1898 - Leningrad 1967).

Originaire d'une modeste famille ouvrière, Friedrich Ermler perd très tôt son père et est obligé de travailler dès l'âge de douze ans. Apprenti pharmacien, il se cultive en autodidacte et fréquente assidûment l'unique salle de cinéma de la ville. Le jeune Friedrich rejoint les rangs de la révolution en 1917 et combat dans l'Armée rouge.

En 1923, il entre à l'Institut des beaux-arts de Leningrad pour y devenir acteur. L'année suivante, il commence à travailler au studio Sovkino, dans la section des scénaristes. Inscrit au parti communiste dès 1919, Ermler, contrairement à la plupart des pionniers de sa génération, défend le contenu révolutionnaire des films au détriment de leur forme. Pour contrer les excentricités de la FEKS, il crée son propre atelier expérimental de cinéma, le KEM, qui prône un certain ascétisme. Le groupe prépare et interprète des projets de films sans disposer du matériel pour les tourner. Une seule œuvre, Scarlatine (Skarlatina, 1924), est menée à terme. En 1926, il réalise, avec l'aide d'Édouard Ioganson, les Enfants de la tempête (Deti buri), film assez impersonnel sur l'héroïsme des jeunes komsomols pendant la guerre civile.

Dans ses quatre films muets suivants, Ermler donne une série de témoignages sur les mœurs et les mentalités de la nouvelle société soviétique. Ces œuvres, à l'exemple des travaux contemporains de Boris Barnet ou d'Abram Room, sont d'intéressants documents sur l'URSS à l'époque de la NEP. Cette attitude tolérante d'Ermler ne se trouve pas en contradiction avec ses positions idéologiques ni avec ses choix ultérieurs : il demeure, tout au long de son trajet, un chroniqueur attentif aux mutations sociopolitiques de son pays ; Katka, petite pomme reinette (Kat'ka, bumažnyj ranet, CO : É. Ioganson, 1926), s'attache au cas d'une jeune fille venue de province, séduite et abandonnée par un vagabond, qu'un intellectuel pauvre réussit à tirer d'embarras. La Maison dans la neige (Dom v sugrobah, 1927) offre, de manière stylisée, une intéressante coupe, selon les étages, de la société d'alors : travailleurs confiants, spéculateurs fourbes et musicien mal assuré idéologiquement. Le Cordonnier de Paris (Parižskij sapožnik, 1928) est la création la plus audacieuse d'Ermler : une jeune ouvrière, mise enceinte par un komsomol, trouve le réconfort auprès d'un cordonnier non politisé. Pour le cinéaste, les actes priment alors sur les dogmes. Un débris de l'empire ou l'Homme qui a perdu la mémoire (Oblomok İmperii, 1929), film d'une grande virtuosité formelle, marque une césure dans la problématique du réalisateur : un ouvrier, devenu amnésique à la fin de la guerre, recouvre la mémoire en 1928 pour constater les changements sociaux intervenus durant son « absence ». Outre le drame affectif vécu par le héros — dans le droit-fil des bandes précédentes —, l'œuvre fait apparaître une rupture entre le passé et le présent, désormais irréconciliables.

Ermler abandonne pendant trois ans le cinéma. Il y revient avec Contre-plan (Vstrečnyj, CO : Sergueï Youtkevitch, 1932). Ce film, le seul mis officiellement en chantier pour célébrer le 15e anniversaire de la révolution, ouvre la voie au « réalisme socialiste », par une description euphorique de l'exécution du plan quinquennal. Les Paysans (Krest'jane, 1935), à travers une mise en images exemplaire, à la fois naturaliste et charnelle, pose la question du retard du monde rural comme une volonté délibérée de ses membres d'entraver la marche du socialisme. Cette vision officielle des choses se retrouve dans le Grand Citoyen (Velikij graždanin, 1938-1939), diptyque axé sur la personnalité (et le meurtre) du haut fonctionnaire Sergueï Kirov. La lecture de l'histoire ici proposée sert, en fait, de justification aux fameux procès de Moscou. Après sa contribution à l'effort de guerre avec Camarade P., Elle défend sa patrie (Ona zaščiščaet rodinu, 1943), Ermler réalise, en 1945, le Tournant décisif ou le Grand Tournant (Velikijperelom) : un curieux film intimiste sur les hésitations d'un chef militaire à la veille d'une bataille.

Longuement malade au début des années 50, Ermler conçoit encore un film intéressant, le Roman inachevé (Neokončennaja povest', 1955), qui fait se rejoindre deux êtres un peu perdus (une veuve et un paralysé) dans une société à nouveau en mutation.