Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
J

JAPON.

Historique. L'art cinématographique pénètre au Japon sous la forme du Kinetoscope d'Edison, probablement le 21 novembre 1896 à Kobe, puis dans toutes les grandes villes. Un importateur de phonographes à Osaka, nommé Araki, achète ensuite le procédé Vitascope d'Edison, qui devance ainsi le Cinématographe des frères Lumière. C'est entre 1897 et 1899 que les premiers essais ont lieu dans les rues de Tokyo et Kyoto (Gion Geisha, 1898), avec une caméra Gaumont, tandis que les opérateurs Lumière tournent eux-mêmes des scènes de rue. Le public japonais put voir ces films, comme Ginzagai, dès 1899, et les premières actualités nationales en 1900. Le premier film de fiction – en fait l'enregistrement visuel d'une pièce de kabuki –, Promenade sous les feuillages d'érables (Momijigari, avec Kikugoro V et Danjuro IX), date de 1902, et les premiers documentaires d'actualités (sur la guerre russo-japonaise et la guerre des Boxers), de 1904-05, tandis que la première salle de cinéma ouvre à Tokyo en 1903. 1908 voit la construction d'un premier studio dans le quartier Meguro de la capitale, bientôt suivi de plusieurs autres, nationaux ou étrangers (Pathé, 1910), et 1910 l'ouverture du Saifukan, le premier cinéma permanent de Tokyo. Le documentaire acquiert ses lettres de noblesse en 1911, avec le Lieutenant Shirase, sur la première expédition japonaise dans l'Antarctique.

Le poids des traditions.

Alors que le cinéma japonais de fiction était indiscutablement issu du théâtre kabuki, c'est à cause de ce dernier qu'il faillit disparaître à l'aube de son existence : en effet, dès 1910, le syndicat des acteurs de kabuki leur interdit de paraître à l'écran, ce qui a pour conséquence une première invasion du marché japonais par les films étrangers. Mais cela n'eut guère de suite et, dès 1912, la première compagnie importante vit le jour grâce à la fusion de quatre studios : la Nihon katsudo shashin, ou Nikkatsu (c'est-à-dire la « Compagnie des images animées »), qui fonde deux studios différents, l'un à Mukojima (près de Tokyo), l'autre à Kyoto, créant ainsi la double image du cinéma japonais, contemporaine et historique. À cette époque, sous l'influence du kabuki, tous les rôles, sans exception, étaient tenus par des acteurs masculins ; aucune actrice n'avait le droit de jouer au cinéma et on appelait « oyama » ou encore « onna-gata » ces acteurs jouant des rôles féminins. L'un des plus célèbres était alors Teinosuke Kinugasa, le futur metteur en scène de la Porte de l'enfer (1953), vedette du Cadavre vivant (Shikabane, Gizo Tanaka, 1917). Mais le théâtre kabuki ou les actualités n'étaient plus les seuls sujets prisés du public. Sous l'influence du Shimpa (« Nouvelle École ») ou école du kabuki occidentalisé, et du Shingeki (« Nouveau Théâtre »), dont le principal représentant était le dramaturge Kaoru Osanai, on se mit à adapter des pièces et romans étrangers, dont un certain nombre de Léon Tolstoï ( Katyusha, 1914, d'après Résurrection). Mais, très vite, vint la « révolution » des actrices, toujours sous l'influence occidentale, et, malgré la vive opposition des « onna-gata », la première vedette féminine, Harumi Hanayagi, tourna la Fille du fond de la montagne (Shinzan no otome, de Norimasa Kaeriyama, 1919), et Yaeko Mizutani le Camélia d'hiver (Kantsubaki, de Masao Inoue, 1920).

Autre particularité du cinéma japonais primitif, la présence de benshi* (littéral. « hommes parlants »), commentateurs professionnels des films muets, qui infléchit considérablement le cinéma vers l'attraction foraine : le public populaire, souvent analphabète, ne pouvant lire les sous-titres, venait parfois plus pour écouter le benshi que pour voir le film, et certains benshi célèbres, comme Musei Tokuguwa, constituaient la véritable attraction du spectacle (on les appelait aussi « katsuben », c'est-à-dire : orateurs des images qui marchent). Mais, toujours sous l'influence des intellectuels et dramaturges ouverts à l'occidentalisation, une opposition au rôle des benshi se forma au début des années 20, afin d'évoluer radicalement vers une sorte de cinéma d'art. Malgré une vive résistance des benshi, on commença à réaliser des films devant plus à la littérature ou au théâtre occidental (shingeki) qu'à la tradition purement japonaise. C'est alors que deux anciens marchands de gâteaux de théâtre, et qui avaient réussi à bâtir un empire du kabuki à Kyoto, Takejiro (Take = bambou) et Matsujiro Shirai (Matsu = pin), fondèrent une nouvelle compagnie de cinéma, la Shochiku (« Compagnie du Pin et du Bambou », selon la lecture chinoise de leurs prénoms). Le premier film de la compagnie fut Âmes sur la route (Rojo no reikon), tourné en 1921 par Kaoru Osanai et Minoru Murata, un des premiers exemples de film d'atmosphère dans le cinéma japonais. Pendant ce temps, de nouveaux réalisateurs ayant fait leurs premières armes à Hollywood dans les années 10 rentraient au Japon et tournaient des films américanisés, comme le Club des amateurs (Thomas Kurihara, 1920) ou Femmes des îles (Shima no onna, Henry Kotani, 1920).

Alors que le cinéma purement japonais ou occidentalisé était en plein essor et que le public populaire se passionnait pour un divertissement encore plus fascinant que le kabuki, se produisit un événement qui allait avoir des conséquences décisives sur son évolution : le 1er septembre 1923, à midi, Tokyo et toute sa région furent secoués par ce qu'on appela « le grand tremblement de terre du Kant », qui fit plus de 100 000 victimes. La plupart des studios, des salles et des stocks de films furent détruits, et des acteurs et techniciens disparurent dans le séisme. Cette catastrophe naturelle entraîna un exode de tous les moyens de production vers Kyoto, où l'on commença à tourner un nombre extravagant de « chambara » et « jidai-geki » (par ex., 875 films en 1924), d'une qualité fort médiocre. Ce qui eut pour résultat de détourner les intellectuels et même une partie du public moyen vers les films étrangers, essentiellement américains, dès lors massivement importés. C'est pourtant à cette époque que débutèrent dans l'anonymat quelques-uns des plus grands cinéastes japonais : Kenji Mizoguchi (débuts en 1922), Teinosuke Kinugasa (1922, après sa carrière d'acteur), Daisuke Ito (1924), Heinosuke Gosho (1925), Yasujiro Ozu (1927), Tomu Uchida (1927), et, plus tard, Mikio Naruse (1930), succédant aux grands pionniers comme Minoru Murata, Shozo Makino, ou Eizo Tanaka. Ce sont ces réalisateurs qui, avec leur style propre, contribuèrent à former du cinéma japonais une image qui subsistera jusque dans les années 50. Tandis que Mizoguchi et Ozu, encore influencés par le cinéma américain, signaient leurs premiers films personnels, Makino, Ito et Kinugasa jetaient les bases du « jidai-geki » moderne, avec des films à tendance politique, parfois jugés nihilistes. Les vedettes de ces films populaires, où toutes les audaces techniques étaient permises, étaient Tsumasaburo Bando - dit « Bantsuma » – chez Shozo Makino, Denjiro Okochi chez Ito et Chojuro Hayashi (qui changea trois fois de nom et termina sa carrière sous celui de Kazuo Hasegawa) chez Kinugasa. Peu de grands films du muet subsistent aujourd'hui, sinon les premières œuvres d'Ozu et Mizoguchi, et, entre autres, deux films-jalons de Kinugasa : Une page folle (1926, film « néo-sensationniste », sur un scénario de Yasunari Kawabata, et Carrefour / Routes en croix (1928), film que son auteur emporta avec lui dans un long voyage en Europe, de Moscou à Paris. On y décelait d'évidentes références à l'expressionnisme germanique de l'époque.