Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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SJÖMAN (Vilgot)

cinéaste suédois (Stockholm 1924).

Il est d'abord romancier. Son livre le Professeur (Lektorn, 1948) est adapté à l'écran par Gustav Molander en 1952 sous le titre l'Esprit de contradiction (Trots). Ami de jeunesse d'Ingmar Bergman, il s'intéresse peu à peu au cinéma, séjourne à Hollywood (il en rapportera un livre, I, Hollywood, 1961), écrit un scénario (Jeux autour de l'arc-en-ciel [Lek på regnbågen], 1958) qui devient un film de Lars Erik Kjellgren et dirige enfin, en 1962, son premier essai la Maîtresse (Älskarinnan) avec Bibi Andersson et Max von Sydow. Son œuvre suivante, 491 (1964), est une étude incisive sur la délinquance juvénile, qui fait scandale par sa crudité. ‘ La Robe ’ (Klänningen, id.) analyse les rapports conflictuels entre une mère et sa fille amoureuses du même homme. Ma sœur, mon amour (Syskonbädd 1792, 1966) se souvient de la pièce classique de John Ford : Dommage qu'elle soit une putain et évoque la passion incestueuse d'un frère (Per Oscarsson) et d'une sœur (Bibi Andersson). L'œuvre remporte un succès mérité et assoit dans le monde la réputation de son auteur, qui apparaît avec Widerberg comme l'un des dauphins d'Ingmar Bergman. Sur sa lancée, Sjöman réalise l'un des épisodes (‘ la Négresse dans le placard ’ [Negressen i skapet], 1967) du film Stimulantia (CO G. Molander, Hans Abramson, J. Donner, Lars Görling, I. Bergman, Arne Arnbom, Hans Alfredson, Tage Danielsson) avant de changer brusquement de style. Le raffinement libertin de Ma sœur, mon amour se métamorphose soudain en décontraction provocante, la construction « classique » se défait au profit d'un style « à la diable », qui emprunte sa prétendue authenticité au cinéma direct et au cinéma-reportage : Je suis curieuse est en effet un brûlot à la fois véhément, puéril et d'une franchise sexuelle qui sait choquer (et attirer) les spectateurs. Le film est présenté en deux volets : Je suis curieuse-jaune (Jag är nyfiken-gul, 1967) et Je suis curieuse-bleu / Je veux tout savoir (Jag är nyfiken-blå, 1968) et suscite des polémiques passionnées, notamment aux États-Unis, où il trouve un défenseur célèbre en la personne de Norman Mailer. Sjöman s'attaque ensuite au système pénitentiaire suédois dans ‘ Vous mentez ! ’ (Ni ljuger, 1969) et exalte à nouveau l'émancipation sexuelle dans des comédies qui se veulent piquantes et bouffonnes : ‘ Sacré Charlie ’ / Joyeuses Pâques (Lyckliga skitar, 1970), Fais donc l'amour, on n'en meurt pas (Troll, 1971). La sincérité de l'auteur peut néanmoins être mise en doute : il y a en effet beaucoup de malice « commerciale » dans ces thèmes prétendument osés et décomplexants qui seront d'ailleurs bientôt dépassés par la vague de cinéma pornographique du début des années 70 dans de nombreux pays européens — ceux-ci ravissant à la Suède ses prérogatives et sa hardiesse en la matière. Sjöman semble retrouver la plénitude de son talent dans Une poignée d'amour (En handfull Kärlek, 1974), sur la condition ouvrière au début du XXe siècle, puis le perdre à nouveau dans ‘ le Garage ’ (Garaget, 1975) et Tabou (Tabu, 1977). Son Linus (id., 1979) est ambitieux mais non dénué d'ambiguïtés : l'auteur se complaît en effet dans l'évocation pessimiste, étouffante et sordide d'un microcosme censé représenter symboliquement la constante présence du mal dans le monde et dont il faut s'échapper à n'importe quel prix. ‘ Je rougis ’ (Jag rodnar, 1981), tourné aux Philippines, révèle un complexe de culpabilité et d'autopunition chez un cinéaste qui pour avoir été fougueux dans sa contestation n'a pas su pour autant éviter les facilités des « audaces payantes ». Ses retours cycliques à la fiction romanesque, parfois socialement engagée, parfois volontairement naturaliste, prouvent qu'il y a chez lui une double personnalité à tout le moins intrigante. Après Malacca (1987), il signe ‘ le Piège ’ (Fallgropen, 1989) qui narre l'histoire d'un professeur de religion entraîné dans un conflit amoureux pervers et dramatique.

SJÖSTRÖM (Victor David)

acteur et cinéaste suédois (Silbodal 1879 - Stockholm 1960).

Il est plus que le père fondateur (avec Mauritz Stiller) de l'école suédoise : un pionnier de l'art cinématographique à l'égal de Griffith. Son enfance fut tourmentée dans une famille désunie, ballottée entre l'aisance et la pauvreté. Il a six mois quand ses parents s'installent à New York. À sept ans, sa mère morte, son père remarié, il est renvoyé chez une tante en Suède. Il fréquente le lycée d'Uppsala. Il fait du théâtre en amateur. Il n'achèvera pas ses études. Rentré des États-Unis après une nouvelle faillite, son père s'oppose à son désir de devenir acteur, l'oblige à travailler sur un chantier. Mais il meurt en 1895. Sjöström peut alors s'engager dans un théâtre de Finlande. De 1895 à 1912, après des débuts difficiles au long de tournées en Russie et en Suède, Sjöström s'impose comme un comédien de talent. En 1911, il crée sa propre compagnie et, en 1912, est engagé par Charles Magnusson, directeur fondateur de la Svenska Biograph. Il interprète quatre films de Mauritz Stiller, engagé en même temps que lui. Louis Delluc salue la nouveauté de son jeu. La même année, il dirige son premier film, le Jardinier, que la censure interdit pour sa violence morale, « outrage aux bonnes mœurs ». (Effet stylistique : l'héroïne perdue vient mourir parmi les fleurs de la serre où, jeune fille, elle fut déshonorée.) Entre 1912 et 1916, Sjöström tournera plusieurs autres œuvres à tendances sociales, dont la Grève (1913), qui utilise — néoréalisme ! — diverses scènes enregistrées durant une grève contemporaine.

Le huitième film du cinéaste, Ingeborg Holm (1913), obtient un succès mondial. C'est le drame, presque sans péripéties, d'une amnésie provoquée par des revers de fortune. S'annonce déjà ce qui sera la marque de Sjöström : un réalisme minutieux, le sens de la vérité des êtres, joints à une organisation raffinée de l'expression. Sjöström s'est mis à l'école de la peinture ; il étudie ses règles de composition, ses lumières, ses accords plastiques. Au tournant de l'année 1915, il connaît une période dépressive. Son premier mariage a été un échec. Son travail ne le satisfait pas. Il est sur le point d'abandonner et le cinéma et le théâtre. Il repart sur les chemins de son enfance, revoit sa vieille nourrice et, sur les lieux où Ibsen a situé le drame de Terje Vigen, il reprend confiance en ses possibilités de création. Terje Vigen (1916) inaugure la grande époque de Sjöström. La mer y est un protagoniste essentiel, le montage exalte la dramaticité des éléments. L'auteur a définitivement trouvé son rythme, lent, sa démarche lourde, solennelle, qui enveloppe de mysticisme le monde naturel. Les Proscrits (1917) confirment cette richesse. Même maîtrise de l'espace, même souffle, même ampleur cosmique. La violence d'une nature excessive tantôt fait écho et tantôt commande aux violences de la saga. Avec la Fille de la tourbière (1917), il ouvre son art à l'univers de légendes de Selma Lagerlöf, expérience féconde qu'il renouvellera. Dans cette alliance, le cinéma suédois conquiert son caractère éminemment national, devient expression de l'âme d'un peuple et de sa culture. Tirés du roman Jerusalem de Selma Lagerlöf, la Voix des ancêtres (1918) et la Montre brisée (1919) débordent de lyrisme inventif. Retours-arrière systématiques, mouvements d'appareil, surimpressions, visions subjectives émancipent une narration aussi libre que l'écriture de la romancière. Quelques séquences du premier de ces films nous bouleversent encore. Le héros monte au ciel demander conseil à son père défunt. Sjöström construit l'échelle gigantesque, invente un paradis naïf et, dans une ascension inoubliable, montre le paysage s'élargissant aux limites de la terre. En 1920, la Charrette fantôme, qui n'est pas son œuvre la meilleure, obtient un triomphe universel (sauf aux États-Unis). Un montage très complexe et pourtant toujours limpide, la technique devenue style, le symbolisme du sujet, la surimpression employée pour dire non l'imaginaire ou le rêve, mais l'intrusion du surnaturel dans la réalité justifient amplement le succès. Cependant, la paix revenue ramène la concurrence. Le cinéma suédois entre dans une crise qu'il pense surmonter en se dénationalisant. Conscient de cette involution, Sjöström accepte l'offre de travailler à Hollywood. Sans doute se persuade-t-il que la force économique du cinéma américain autorise la recherche artistique et l'indépendance créatrice. Aux États-Unis, Sjöström devient Seastrom (1923). Son acclimatation est malaisée ; neuf mois durant, il rejette les scénarios qu'on lui propose. Sans conviction, il accepte celui du Glaive de la loi (1923), qu'il sauve par son grand métier et qui fait recette. Irving Thalberg et Louis B. Mayer, compréhensifs, consentent qu'il tourne « comme en Suède ». Larmes de clown (1924) adapte une pièce célèbre de Leonid Andreev : Celui qui reçoit des gifles (1917). Seastrom force sur le mélodrame mais l'équilibre par un ton général d'amertume et une gamme d'innovations stylistiques dans tous les domaines : du gag, de l'« effet » dramatique, de la composition visuelle, du symbolisme, de la lumière (les projecteurs s'éteignent un à un. Du clown resté seul dans l'énorme cirque, on voit un moment le visage phosphorescent, minuscule, puis rien qu'un point blanc, puis rien). 1926 : nouvelle venue à la MGM, Lillian Gish propose l'adaptation de la Lettre écarlate, le roman de Nathaniel Hawthorne, et désigne Seastrom pour la réaliser. Avec la Lettre rouge et le Vent (1928), qui suit bientôt, Seastrom redevient le grand Sjöström. Il est vrai qu'en ces deux films la réalité américaine s'égale à la suédoise, l'oppression physique du milieu naturel s'unissant à l'oppression morale du milieu social, dévoré de puritanisme. L'auteur retrouve son thème privilégié : la lutte de l'individu soutenu par son amour ou sa foi contre un univers hostile. Son réalisme lyrique, en plus d'un endroit, rejoint la violence quasi ricanante de Stroheim. À ce réalisme, le Vent, qui est probablement son chef-d'œuvre, apporte une dimension remarquablement physique. Film muet, il donne à entendre le hurlement des tempêtes, et le sable, omniprésent, y fait crisser les sens mêmes du spectateur. Le Vent est un échec commercial. 1930 : Sjöström s'adapte mal au parlant. Après un premier film aux États-Unis, il en tourne un autre en Suède et, sept ans plus tard, un dernier en Grande-Bretagne. Puis il renonce ; il ne sera plus qu'acteur au théâtre et au cinéma. Sauf en Amérique, il avait souvent joué dans ses propres films. Entre 1943 et 1949, il est directeur artistique de la Svensk Film Industri. Il y soutient les débuts d'Ingmar Bergman. C'est pour Bergman qu'à 79 ans il tient son dernier rôle, le professeur Isaak Borg des Fraises sauvages (1957) : « un magnifique coucher de soleil pour le grand homme du cinéma suédois » (Dreyer).