Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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JANCSÓ (Miklós)

cinéaste hongrois (Vác 1921).

Marxiste de formation, il n'a fait que des films d'histoire, de l'histoire hongroise pour commencer, les vicissitudes politiques passées devant aider et éclairer la politique d'aujourd'hui. Son œuvre constitue une méditation passionnée — monotone et toujours diverse — sur le Pouvoir. Une sorte de péché originel pèse sur elle (et la féconde) : l'auteur a été stalinien, complice de mensonges, d'excès, d'injustices, dans la plus intègre, la plus enthousiaste bonne foi. Filmer apparaît comme une revanche philosophico-esthétique sur ce passé. Le pouvoir stalinien se voulait religion, culte et rite ; c'est à sa dénonciation que Jancsó donne un style religieux et cérémoniel. Le système ordonnait des fêtes truquées ; Janscó en organise de vraies. Passé 1968, le cinéaste ira jusqu'à se donner le malin plaisir de souligner, dans les films eux-mêmes, une analogie entre tyrannie politique et dictature de metteur en scène.

Ses parents — mère roumaine, père hongrois — étaient originaires de Transylvanie, terre mi-hongroise mi-roumaine elle-même. Les problèmes de minorités, de nationalités, de frontières arbitraires, d'occupation étrangère, de domination traversent ainsi la chair même de sa famille et la sienne. L'histoire de la Hongrie n'est pas moins compliquée d'incohérences et d'absurdes contradictions que ne seront les intrigues des films de Jancsó. Après ses études secondaires dans une institution religieuse, Jancsó s'inscrit à la faculté de droit de Kolzstva (Cluj) en Transylvanie. Il est docteur en droit en 1944. Entre-temps, il a parallèlement suivi des cours d'histoire de l'art et, surtout, d'ethnographie, lesquels l'influenceront durablement (de là, son amour du folklore, sa connaissance en profondeur de la culture nationale).

Il a fait partie d'une « patrouille d'éclaireurs » spécialisés dans les chants villageois. Il ruse autant qu'il le peut avec l'appel sous les drapeaux, finit par être mobilisé et, à la fin de 1944, après quelques mois de guerre, est capturé par les Russes. Prisonnier, il se politise, s'intéresse au marxisme. 1946-47 : l'élan révolutionnaire s'incarne notamment dans les « collèges populaires », sorte d'universités populaires et de gardes rouges ou gardes du peuple, sectaires parce que convaincus, manichéens parce qu'enthousiastes, qui s'activent à l'agitation politico-culturelle. Jancsó dirige l'un de ces collèges (ils seront confisqués, en 1948, par la bureaucratie stalinienne et bientôt supprimés). Il entre à l'École supérieure d'art dramatique et de cinéma en 1947. Il obtient son diplôme en 1951. Encore élève de l'école, il a réalisé des courts métrages pour le Studio de l'actualité et des documentaires. Il persévère jusqu'en 1962. Au total, une trentaine de documentaires (dont 4 rapportés de Chine en 1956), que ceux qui les ont vus disent impersonnels et conformistes à l'exception de trois films de recherche : Aux abords de la ville (A Város Peremén, 1958) ; Derkovits (id.) ; Immortalité (Halhatatlanság, 1959). En 1957, le Studio est habilité à produire des films de fiction. Janscó tourne son premier long métrage, Les cloches sont parties pour Rome (1959), puis le premier épisode (les deux autres sont signés par Zoltán Vorkony et Károly Wiedermann) de Trois Étoiles (1960). Ces débuts portent la marque du réalisme socialiste, tel que les cinéastes polonais commencent alors à le dépasser, et d'un symbolisme appuyé. La crise intellectuelle et morale ouverte par l'insurrection de Budapest (1956), la « déstalinisation » et par le libéralisme prudent de János Kádár, Jancsó la surmonte en tournant Cantate, film antonionien dans son esprit comme dans son écriture. Jancsó rencontre le romancier Gyula Hernadi, également un « ancien » des collèges populaires, qui sera de tous ses films (à de rares exceptions près). Commence alors le moment le plus fort, le plus inspiré de l'œuvre de Jancsó, qui, de Mon chemin (1965) à Ah, ça ira ! (1969), avec ses trois films-phares : les Sans-Espoir (1966), Rouges et Blancs (1967) et Silence et Cri (1968), hors de toute psychologie, de toute intrigue clairement articulée, dans un refus très moderne du sens immédiat, confère une dimension violemment épique et fantastique à l'histoire de la Hongrie, traumatisant le spectateur, le provoquant à l'analyse, et ce sans s'écarter du réalisme cinématographique. Lui succède « la tétralogie fasciste ». Sirocco d'hiver est une coproduction française, La pacifista, la Technique et le Rite sont produits par la radiotélévision italienne, seul Agnus Dei (1971) est hongrois. Ce cosmopolitisme justifie une approche plus universelle, plus abstraite, voire mythologique, du phénomène fasciste. (La pacifista fait exception qui est une rocambolesque histoire de luttes entre brigades rouges et terroristes d'extrême droite dans l'Italie d'aujourd'hui.) Métaphores du fascisme et du stalinisme bien plus qu'explication ou analyse, ces films, dans lesquels l'anachronisme est de règle et où les morts ressuscitent, s'attachent à illustrer le processus constant, transhistorique, de l'accession au pouvoir par un tyran, les techniques et les rites qui lui permettent d'obtenir par l'avilissement de quelques-uns la soumission absolue de tous. Selon une esthétique inaugurée avec Ah, ça ira !, Jancsó installe ses thèmes sans souci de réalisme sur une sorte de superthéâtre qu'il anime de chorégraphies, de chœurs dansés et de tableaux vivants, somptueux, étranges ou terrifiants. Du musical à la manière d'un Busby Berkeley, il a tiré un langage politique étonnamment original. Psaume rouge (1972), Pour Électre (1975), Rhapsodie hongroise (1979) relèvent encore de la métaphore fasciste pour déboucher toutefois, et très vite, sur un cinéma de célébration le plus souvent admirable mais au triomphalisme injustifié. Depuis Agnus Dei, en fait, Jancsó ne croit plus en l'Histoire : « L'histoire n'existe pas. » Ses derniers films exigent d'être abordés comme spectacles avoués, « mystères » (au sens médiéval du mot) socialistes. Soucieux d'atteindre la plus large audience, Jancsó a écrit un western (le Miracle de l'Ouest) qui n'a pas trouvé de producteur et un film modérément pornographique, fidèle cependant à son allégorisme politique, Vices privés, vertus publiques, qui fut un échec.