Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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POLANSKI (Raymond, dit Roman)

cinéaste français d'origine polonaise (Paris 1933).

En 1936, le petit Roman part pour Cracovie avec son père, Ryszard Lieblinz, qui a opté pour le nom de Polanski. D'ascendance juive, l'enfant subit toutes sortes d'atteintes à son intégrité psychologique pendant les années de guerre. Sa mère meurt en déportation en 1941. L'horreur qui marque sa prime jeunesse représente une des clés de son univers filmique : ses personnages sont souvent immatures, ils se débattent dans l'absurde, essaient de surmonter la fatalité. Au lendemain de la guerre, Polanski étudie l'électronique et s'inscrit, en 1950, dans une école d'art (Krakow Liceum Sztuk Plastycznych) qu'il quitte en 1953. Le métier d'acteur le passionne : de 1947 à 1953, il se produit avec diverses troupes et connaît une certaine notoriété. À la fin de cette période, il fait ses véritables débuts dans le premier film d'Andrzej Wajda, Génération / Une fille a parlé (1955). En 1954, il entre à l'Institut du cinéma de Łódź. Dès cette époque, on remarque son anticonformisme, notamment dans le choix et le traitement de ses sujets. Son premier essai, la Bicyclette (Rower, 1955), demeure inachevé. Dès les courts métrages suivants, le Crime (Morderstwo, 1957), Un large sourire / Toothy Smile (Vsmiech Z¸ebiczny, 1957) et Cassons le bal (Rozbijemy źabw¸e, 1958), Polanski cultive son goût pour les situations insolites, la violence et le voyeurisme.

Il réalise en 1958 une parabole sur l'absurdité de la vie en société, Deux Hommes et une armoire (Dwaj ludzie z szaf¸a), qui est remarquée ; il mène encore à terme, dans le cadre de l'école, deux autres courts métrages : la Lampe (Lampa, 1959) et, surtout, Quand les anges tombent (Gdy Spadaj¸a Anioły, id.), dans lequel il introduit, à côté de ses obsessions familières, une veine mélodramatique dont on repère les ramifications jusque dans Tess (1979). C'est également le seul film dans lequel Polanski évoque directement les cruautés de la guerre. À Paris, à l'invitation d'un producteur mais non sans difficultés, Polanski tourne, en collaboration avec Jean Rousseau, le Gros et le Maigre (1961), une satire aux implications sado-masochistes dans laquelle les auteurs évoquent, symboliquement, les mécanismes du pouvoir et de l'humiliation.

Après un séjour de dix-huit mois en France, et la désagrégation de son ménage avec l'actrice Barbara Lass, le cinéaste regagne la Pologne. Son dernier court métrage polonais, les Mammifères (Ssaki, 1962), développe sa réflexion sur les rapports entre maître et esclave. En 1962, Polanski réalise enfin son premier long métrage, le Couteau dans l'eau (Noz w Wodzie), dont il conçoit le scénario avec l'aide de Jerzy Skolimowski. À travers un huis clos (mental ou géographique : marque des œuvres les plus personnelles de l'auteur) à trois personnages (un mari, son épouse et un jeune intrus), le metteur en scène développe les principales obsessions contenues dans ses courts métrages : la frustration, l'angoisse, l'aliénation sociale, un sens du pessimisme profondément polonais, l'appel de l'absurde. Ces constantes thématiques se retrouvent tout au long de sa carrière, même à travers des sujets moins personnels comme Macbeth (1971) ou Chinatown (1974).

Après avoir été nominé avec le Couteau dans l'eau, en 1963, pour l'Oscar du meilleur film étranger, Polanski, se sentant à l'étroit dans son pays, entreprend une carrière internationale. Il tourne à Paris, en 1963, le sketch la Rivière de diamants, du film les Plus Belles Escroqueries du monde (CO : Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Ugo Gregoretti).

Mais c'est en Grande-Bretagne qu'il conçoit ses deux bandes les plus marquantes : Répulsion (Repulsion, 1965) et Cul-de-sac (1966). Ce sont en fait deux œuvres profondément polonaises par leur inspiration, prolongeant, dans une veine clinique (Répulsion) ou volontairement théâtralisée dans la mouvance d'auteurs modernes de l'« absurde » comme Samuel Beckett ou Eugène Ionesco (Cul-de-sac), ses thématiques de base, les deux films scellant aussi les débuts de la collaboration entre Roman Polanski et Gérard Brach.

En 1967, avec le Bal des vampires (The Fearless Vampires Killers or Pardon Me But Your Teeth Are in My Neck), une parodie de film d'épouvante, il change — apparemment — de style. Toutefois, son approche du genre (le dévoilement de l'homosexualité du vampire, latente dans les œuvres classiques) paraît iconoclaste aux puristes. Polanski cultive ici son goût de la bouffonnerie baroque, qu'on retrouve dans Quoi ?

Le rêve du cinéaste — faire des films personnels touchant un grand public mais témoignant des diverses formes d'angoisse que connaît l'homme contemporain — se réalise lorsqu'il est sollicité, à Hollywood, pour tourner une adaptation du roman noir d'Ira Levin, Rosemary's Baby (id., 1968). Dans cette histoire de possession démoniaque, le metteur en scène voit une transposition déformée de ses propres fantasmes : l'oppression exercée par un groupe sur un individu (développée dans le Locataire), le sens de la fatalité du destin, l'immaturité et la frustration du personnage interprété par Mia Farrow susceptible de subir toutes les métamorphoses psychologiques... Le film connaît un immense succès.

Un tragique événement, le meurtre de Sharon Tate (épouse du cinéaste depuis janvier 1968), survenu le 9 août 1969 dans la résidence californienne du couple, en l'absence de Polanski, est exploité à l'extrême par les médias. Les journalistes cherchent les prémices du drame dans les films de l'auteur. Sa carrière s'en trouve perturbée. Il réalise pour Hugh Hefner, directeur du magazine Playboy, une adaptation de Macbeth de Shakespeare (1971), et tourne, d'après un scénario original de Robert Towne, un policier dans le style des romans de Raymond Chandler, Chinatown (1974). En alternance avec ces œuvres peu marquées par son style, Polanski réalise deux films plus personnels : Quoi ? (What ?, 1973), en Italie, et le Locataire (1976), en France. De conception différente, Quoi ? est une comédie débridée et surréaliste où les fantasmes de l'auteur ne sont plus motivés par une narration linéaire mais s'entrechoquent en toute liberté ; le Locataire, adapté d'une nouvelle de Roland Topor, se présente comme un cauchemar, dans lequel le personnage principal, traqué par ses voisins, est conduit à se dépouiller de sa personnalité et de son sexe.