Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
B

BOETTICHER (Oscar Boetticher Jr., dit Budd) (suite)

C'est le premier d'un cycle de westerns interprétés par Randolph Scott, écrits le plus souvent par Burt Kennedy, qui distillent les vertus du classicisme mais en les décantant jusqu'à l'abstraction : l'Homme de l'Arizona (The Tall T., 1957) ; Décision at Sundown (id.) ; l'Aventurier du Texas (Buchanan Rides Alone, 1958) ; la Chevauchée de la vengeance (Ride Lonesome, 1959) ; le Courrier de l'Or (Westbound, id.) ; Comanche Station (1960). Autant de variations sur le motif du double itinéraire, géographique et moral : obsédé par une idée fixe (la vengeance, la justice), le héros mesure en chemin la relativité de sa cause, renonce à l'usage de la violence et trouve une sérénité désespérée dans une solitude désormais sans rémission. Avec une précision de géomètre, le cinéaste traite les situations archétypales du genre, comme les péripéties d'une partie de poker, où les rapports de force et les motivations complexes des joueurs comptent plus que l'enjeu avoué, souvent dérisoire.

Sous l'apparente impassibilité du regard perce une ironie tragique que l'on retrouve dans la Chute d'un caïd (The Rise and Fall of Legs Diamond, 1960). Boetticher y confirme sa maîtrise de l'espace et de l'ellipse, en prenant pour modèle les tout premiers films de gangsters. Parti tourner au Mexique pour un documentaire sur son ami le torero Carlos Arruza, il y reste sept ans (le film Aruzza tourné au prix de grandes difficultés de 1963 à 1967 sera de plus gelé jusqu'en 1971) et traverse une longue série d'épreuves qu'il a décrites dans When in Disgrace. De retour à Hollywood, il s'associe à Audie Murphy et tourne en Arizona Qui tire le premier ? (A Time for Dying, 1971 [ 1969]), où il désacralise avec une alacrité teintée d'amertume les mythes de l'Ouest. Il est aussi l'auteur de l'histoire qui a inspiré Sierra torride (D. Siegel, 1970). Il achève sa trilogie sur la tauromachie en réalisant enfin (en 16 mm et en vidéo) My Kingdom for (1986 [sortie en vidéo], 1976-1985).

BOFFETY (Jean)

chef opérateur français (Chantelle 1925 - Paris 1988).

Il n'est pas seulement le directeur de la photo attitré de Claude Sautet depuis les Choses de la vie (1969) ; on lui doit également les images brillantes de la Rivière du hibou (1961) et les Grandes Gueules (1965) de Robert Enrico, Yoyo (1965) de Pierre Étaix, Je t'aime, je t'aime (1968) d'Alain Resnais, Nous sommes tous des voleurs (1974) et Quintet (1979) de Robert Altman, Un papillon sur l'épaule (1978) de Jacques Deray, la Dentellière (id.) de Claude Goretta, les Uns et les Autres (1981) et Édith et Marcel (1983) de Claude Lelouch.

BOGAERT (Lucienne)

actrice française d'origine belge (Caudry 1892 - Montrouge 1983).

Son talent raffiné s'affirme dans de courtes scènes qu'elle rend fascinantes : celle, entre autres, de la droguée de Maigret tend un piège (J. Delannoy, 1958). Avec les Dames du bois de Boulogne (1945), Bresson lui fournit un rôle dont elle fait vibrer toutes les résonances grâce à sa voix feutrée et métallique. Le théâtre garde ses préférences et, de Copeau à Jouvet et Dullin, les souvenirs qu'elle y laisse sont inoubliables ; à l'écran, en trente ans, elle n'apparaît que dans treize films.

BOGARDE (Derek Van den Bogaerde, dit Dirk)

acteur britannique (Londres 1921 - id. 1999).

Originaire des Pays-Bas, mais élevé dans le Sussex chez un père critique d'art et une mère actrice, Dirk Bogarde révèle très tôt des dons pour la comédie en jouant des saynètes domestiques, dont il rend compte dans son autobiographie. Il étudie l'art dramatique au Royal College of Arts. Après la guerre, qu'il fait en Birmanie et à Java, ses débuts au théâtre sont difficiles et son ascension lente, en dépit des conseils et de la protection de son aîné, Noel Coward. Ses premiers succès à la scène lui valent d'être pris sous contrat à la Rank, où on le cantonne longtemps, en raison de son physique agréable et de son élégance, dans les rôles de beau jeune homme, notamment avec la série des Doctor..., dont il fut l'un des protagonistes. Le Cavalier noir, de Roy Ward Baker, annonce pourtant déjà un changement d'emploi significatif ; c'est l'ambiguïté sexuelle et l'animalité subtilement inquiétante de sa personnalité qui sont soudain mises en valeur dans cet étrange western, intimiste et homosexuel. Évolution plus nette encore avec Victim (1961) de Basil Dearden, film policier par ailleurs classique, auquel son rôle d'homosexuel traqué confère une épaisseur et une morbidité certaines. L'année suivante, il est le partenaire de Judy Garland, dans le film l'Ombre du passé (1962), qui fixe sur la pellicule des numéros qu'il avait effectués sur scène avec elle dans un certain nombre de shows théâtraux. Mais la véritable et définitive éclosion du personnage Bogarde intervient en 1963, avec la rencontre conjuguée de Joseph Losey et d'Harold Pinter. Ce n'est pas sa première rencontre avec Losey, puisqu'il a déjà tourné sous sa direction, en 1954, dans La bête s'éveille. La réussite artistique totale de The Servant le comble au point qu'il décide de se consacrer au cinéma d'auteur. Il tournera encore trois fois avec Losey : dans Pour l'exemple, il tient le rôle complexe, mais non ambigu, de l'officier chargé d'assurer la défense du soldat déserteur que l'on va fusiller ; il fait, dans Modesty Blaise, une composition étonnante d'exhibitionnisme désespéré. Dans Accident, enfin, son adhésion à l'univers de Pinter et Losey est telle qu'il peut jouer la passivité presque absolue pour restituer l'ambiguïté, la complexité, la contradiction de son personnage, ainsi que les blancs d'une écriture, celle de Pinter, qui fonctionne davantage sur le non-dit que sur l'exprimé. Par un jeu à ce point intériorisé, Bogarde nous convainc que la fonction de l'acteur est celle d'un médium, d'un prisme entre l'œuvre et le spectateur, œuvre qu'il donne à sentir par un comportement fait d'une sorte de passivité hantée. Deux autres films sont à inscrire au palmarès de sa période britannique, davantage pour la performance de l'acteur, d'ailleurs, que pour l'achèvement intrinsèque d'œuvres qui n'ont pas la personnalité de celles de Losey ; Darling, de John Schlesinger, où il a pour partenaire Julie Christie ; il y effectue quelques variations subtiles, à la limite de la préciosité, sur le modèle magistralement mis au point dans The Servant, incarnation du Mal dans son expression la plus cynique ; Chaque soir à neuf heures de Jack Clayton, où sa passivité équivoque contribue à épaissir un climat fantastique suscité par les intermittences de l'inconscient.