Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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GAÁL (István)

cinéaste hongrois (Salgótárjan 1933).

Inscrit à l'École supérieure du cinéma de Budapest, il y réalise un court métrage remarqué (Hommes d'équipe [Polyamunkasok], 1957). Diplômé en 1959, il reçoit une bourse qui lui permet d'approfondir ses connaissances au Centro sperimentale de Rome. De retour en Hongrie, il fait partie des pionniers du Studio Béla Balázs — fondé en 1958 — et tourne plusieurs courts métrages documentaires comme opérateur (Tziganes, S. Sára, 1962) ou comme metteur en scène (Aller-retour [Oda-vissza], id ; Tisza, croquis d'automne [Tisza], id.) avant d'aborder avec succès le long métrage (Remous [Sódrásban], 1963). Dès lors, Gaál apparaît comme l'un des fleurons de la génération cinématographique « des années 60 ». Il signe successivement les Vertes Années (Zöldar, 1965), Baptême (Keresztelő, 1968) et s'impose à l'attention internationale avec deux films : les Faucons (Magasiskola, 1970) et Paysage mort (Hólt videk, 1972). Le premier est une parabole sur la perversion du pouvoir, le second une méditation pénétrante sur les dangers de l'ordre individualiste et l'incommunicabilité — aussi bien conjugale que sociale. Gaál se fait le porte-parole des jeunes Hongrois de l'après-guerre dont la maturation a été contrariée par une difficile intégration dans un ordre nouveau qui a imposé ses dogmes sans pour autant se préoccuper de renforcer la fraternité entre les hommes et les classes sociales. Les films de Gaál évoquent avec rigueur et une profonde honnêteté intellectuelle le choix difficile entre la vie citadine (et ses risques de déshumanisation) et la vie villageoise (et ses risques d'immobilisme), les épreuves liées à la solitude et au vieillissement, les écueils de l'âge adulte avec son train de compromissions et de petites lâchetés, thèmes qui hantent ses œuvres ultérieures : Legato (1977) et Quarantaine (Cserepek, 1981). En 1985, il signe une adaptation de l'opéra Orphée et Eurydice (Orfeusz és Eurydiké). István Gaál est resté fidèle au documentaire : Chronique (Krónika, 1968) ; Dix ans de Cuba (Tíz éves Kuba, 1969) ; Béla Bartók, musiques nocturnes (Bartók Béla : Az éjszaka zenéje, 1970) ; Images de la vie d'une ville (1973-1975), Notre héritage (1975). Il a en outre réalisé pour la télévision : l'Autre Rive (Vámhatár, 1976), Deux Trains par jour (Naponta két vonat, id.), les Créatures de Dieu (Isten teremtményei, 1986), Peer Gynt (1988), la Nuit (Éjszaka, 1989), Sonatina Romana (Római szonáta, 1995), Racines [Béla Bartók] (Gyökerek [Bartók Béla], 1997-2000).

GABIN (Jean Gabin Alexis Moncorgé, dit Jean)

acteur français (Paris 1904 - id. 1976).

Enfant de la balle (ses parents, Joseph Gabin et Hélène Petit, sont des vedettes de café-concert), il exerce divers métiers (cimentier, vendeur de journaux) avant d'embrasser, à partir de 1922, la carrière théâtrale. Il fait ses débuts comme figurant aux Folies-Bergère et au Vaudeville, puis effectue un tour de chant en province et apparaît dans une opérette aux Bouffes-Parisiens, où il chante et danse avec Mistinguett la Java de Doudoune. Ses autres partenaires sont Dranem, Lucien Baroux et le clown Dandy : avec ce dernier, il paraît pour la première fois à l'écran, dans deux sketches muets. Mais c'est avec le parlant qu'il va s'affirmer, dans des rôles de bon ou de mauvais garçon (Paris-Béguin, Cœur de lilas), poussant parfois la romance (J'aime les grosses dames de 125 kilos, dans Méphisto), puis fixant progressivement un personnage, plus rude, de cabochard au grand cœur, dans la lignée de George Bancroft et de Spencer Tracy. Charles Spaak, l'un de ses scénaristes, le décrit « à l'aise dans les bagarres, champion de tous ceux qui n'ont guère eu de chance et qui luttent pour des causes simples : la liberté, l'amour, l'amitié ». Plus qu'un acteur : un mythe. Plus vigoureux que Pierre Richard-Willm, plus sensible qu'Albert Préjean, ses rivaux dans ce registre, il a la chance de travailler avec les meilleurs cinéastes de l'époque, Renoir, Grémillon, Duvivier, Carné. Tour à tour légionnaire, truand, officier, déserteur, cheminot, ouvrier marqué par le destin, il figure, selon André Bazin, « le héros tragique par excellence du cinéma français d'avant-guerre », une sorte d'Œdipe roi en salopette, cristallisant tous les espoirs et les échecs de son temps. « Il suffit, écrit Jean Piverd, que cette silhouette de brute follement vraie traverse l'écran pour que soit créé un climat. Jean Gabin ne joue pas. Il existe. » Et Jean Renoir de préciser : « L'étendue des émotions que peut fournir Gabin est immense, tout son art est de n'en donner que l'essentiel. »

La guerre va bouleverser cette carrière prestigieuse. Après avoir triomphé dans la Grande Illusion et la Bête humaine, il gagne les États-Unis, en 1941, où il interprète deux films médiocres. Combattant des Forces françaises libres, il est de retour à Paris en 1946, mais ne retrouve pas de sitôt un rôle à sa mesure. Renonçant à tourner le film que Jacques Prévert et Marcel Carné avaient conçu pour lui, les Portes de la nuit, il s'égare dans la convention et le mélodrame (Martin Roumagnac, Miroir), revient au théâtre (la Soif, de Bernstein), va tenter sa chance en Italie (Au-delà des grilles). Dans ce que l'un de ses exégètes, Claude Gauteur, appelle sa « traversée du désert », une oasis : le Plaisir, de Max Ophuls, où il campe un paysan normand étonnant de naturel. Il retrouve la faveur du public en jouant le truand embourgeoisé de Touchez pas au grisbi, sous la direction de Jacques Becker, que suivent French Cancan, de Jean Renoir, et la Traversée de Paris, de Claude Autant-Lara. C'est le point de départ d'une seconde carrière : les tempes blanchies, la silhouette épaissie, il joue désormais les flics bonasses, les « présidents », les « pachas », voire les « vieux de la vieille », des rôles sur mesure que lui façonnent Michel Audiard ou Pascal Jardin et que dirigent (sans génie) Gilles Grangier, Denys de La Patellière ou Henri Verneuil. L'un de ses plus gros succès des années 60 sera Mélodie en sous-sol, où il a pour partenaire Alain Delon. Il se lance dans la production en fondant, avec Fernandel, la Gafer (de Gabin et Fernandel). Son chant du cygne sera le Chat, d'après Georges Simenon, où il est un pathétique retraité de banlieue muré dans son silence et sa haine de l'autre (Simone Signoret)... Ses dernières années, il les passe surtout dans sa ferme et son haras de Normandie. Un ultime film, de routine, clôt sa carrière en 1976 : l'Année sainte. Mais, derrière le vieil homme bougon, il est resté jusqu'à la fin celui dont Jacques Prévert a célébré « le regard toujours bleu et encore enfantin » :