Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
B

BAUR (Henri, dit Harry)

acteur français (Montrouge 1880 - Paris 1943).

S'il est un acteur à qui s'appliquent exactement les termes de monstre sacré, c'est bien Harry Baur. De bonne formation théâtrale, lauréat du Conservatoire de Marseille, il arrive à occuper rapidement une place de premier plan sur les scènes parisiennes. Tant que le cinéma reste muet, il ne lui accorde qu'une attention limitée mais participe tout de même à un film marquant comme l'Âme du bronze (H. Roussell, 1918) ou notoire, comme le dernier film de Sarah Bernhardt : la Voyante (L. Abrams, 1923). L'avènement du parlant le propulse tout à coup au firmament. Il n'en descendra plus. Duvivier, dont il est l'une des vedettes fétiches, lui donne le rôle de sa vie dans David Golder (1931), qui lui permet de jouer toute la gamme de ses émotions : de la tendresse à la fureur, de la haine à la résignation. Puis il lui réserve des compositions très étudiées dans la Tête d'un homme (1933), où il campe un commissaire Maigret très proche du modèle. Il se montre émouvant dans Poil de carotte (1932), pittoresque dans Golgotha (1935), inquiétant dans le Golem (1936), mais laisse percer un peu trop son métier dans Un carnet de bal (1937). Il joue en effet de toute son âme, mais aussi de tous ses tics, que les gros plans mettent par trop en évidence : ses rides se creusent, ses joues tremblent ; et puis, sa voix se fait insinuante, sifflante, hurlante et tonitruante pour se briser dans des sanglots selon des besoins de l'action. Il cabotine beaucoup, avec une virtuosité éblouissante, une sorte de génie. Son pouvoir sur le public est grand, surtout après sa prise de possession du rôle de Jean Valjean dans les trois films que Raymond Bernard tire en 1934 des Misérables. Il tourne beaucoup (il paraît dans six films en 1937), avec une prédilection marquée pour les productions d'atmosphère slave. Marchand de blé opulent et redoutable des Nuits moscovites (A. Granowsky, 1934), il devient l'année suivante sous la direction de Pierre Chenal le juge Porphyre de Crime et Châtiment, prétexte à un étonnant numéro d'acteur avivé encore par la réplique que lui donne Pierre Blanchar. En 1935 encore, le voici maître d'hôtel d'un grand établissement, blessé dans son amour-propre (les Yeux noirs, V. Tourjansky). S'emparant du rôle principal de Tarass Boulba (A. Granowsky, 1936), il s'y dépense sans compter, ne ménageant ni outrance de jeu, ni raffinement de maquillage. 1937 le transforme en maître de poste que sa fille fait souffrir (Nostalgie, Tourjansky) ; enfin le Patriote (M. Tourneur) et la Tragédie impériale (M. L'Herbier) lui procurent en 1938 deux personnages à sa taille : le tsar Paul Ier, un fou que la raison d'État fait abattre par son meilleur ami, et Raspoutine, dont la fin est, somme toute, analogue. Tous ces drames sur fond de clochers à bulbes et d'isbas enneigées, avec accompagnement de balalaïka, ne l'empêchent pas de camper avec son autorité magistrale des premiers rôles de boulevard. Ainsi est-il chirurgien dans Cette vieille canaille (A. Litvak, 1933), financier vindicatif dans Samson (M. Tourneur, 1936), procureur dans le Président Haudecœur (J. Dréville, 1940). Seuls les rôles à tendances comiques lui réussissent moins : ni Un homme en or (J. Dréville, 1934) ni Paris (J. Choux, 1936) ne sont convaincants, et sa lourde composition du Levantin Volpone (M. Tourneur, 1941), accentuée par l'emploi d'un faux nez, est pénible et laborieuse. Il reste à l'aise pour camper des aventuriers de grand style, pour donner de la saveur et une certaine ambiguïté à une figure de forban dans les Hommes nouveaux (L'Herbier, 1936), une verve puissante et de la violence contenue à son capitaine Mollenard (R. Siodmak, 1938). Viennent la guerre et l'Occupation, qui le surprennent et le mettent sur la défensive. Craignant qu'on ne le soupçonne d'être juif, il tente de jouer au plus fin avec les Allemands. On le voit aux réceptions collaboratrices, il est l'un des premiers acteurs à paraître dans les productions de la Continental : l'Assassinat du Père Noël (Christian-Jaque, 1941) et Péchés de jeunesse (M. Tourneur, 1941), qui va être son chant du cygne dans les studios français. Annoncé à grand fracas, son départ pour tourner à Berlin Symphonie d'une vie (Symphonie eines Lebens, H. Bertram, 1943) est abondamment commenté. Son retour va s'envelopper de mystère. Dénoncé, les persécutions racistes s'abattent sur lui. Torturé par la Gestapo, mis au secret, Harry Baur n'est relâché qu'agonisant déjà. Il meurt sans que la lumière ait jamais été complètement faite sur sa fin dramatique, à la mesure des rôles qu'il affectionnait, de ces géants battus par le destin, comme celui que Gance voulut magnifier dans Un grand amour de Beethoven (1936) et auquel Harry Baur prêta son masque ravagé.

BAUTISTA (Aurora)

actrice espagnole (Villanueva de los Infantes, Valladolid, 1926).

Vedette assez populaire, au talent plutôt irrégulier, elle a interprété notamment Locura de amor (Juan de Orduña, 1948), Pequeñeces (id., 1949) et Agustina de Aragón (id., 1950), Condenados (Mur Oti, 1953) ; Sonatas (J. A. Bardem, 1959) ; Teresa de Jesus (de Orduña, 1961) ; La tía Tula (Miguel Picazo, 1964) ; El derecho de nacer (Tito Davison, 1966, au Mexique) ; Extramuros (Picazo, 1985) ; Divinas palabras (J.L. García Sánchez, 1987) ; Amanece, que no es poco (José Luis Cuerda, 1988).

BAVA (Mario)

cinéaste italien (San Remo 1914 - Rome 1980).

Fils d'un célèbre chef opérateur du muet, il devient lui-même, après des études aux Beaux-Arts, chef opérateur en 1943 ; la qualité de ses images et de ses trucages le fait remarquer. Il est ensuite assistant et cinéaste de seconde équipe. Ayant terminé, à ce titre, la Bataille de Marathon (J. Tourneur, 1959), il peut réaliser le Masque du démon (La maschera del demonio, 1960). Sur un canevas classique, tiré d'une nouvelle de Gogol, par le soin du décor, le souci des éclairages, le traitement du noir et blanc, les mouvements d'appareil, par l'érotisme lié à Barbara Steele, il apporte au cinéma fantastique une forme neuve et donne une impulsion déterminante au courant européen du genre. Puis, dans le champ du cinéma populaire, il œuvre dans une veine déjà ouverte, le péplum : Hercule contre les vampires (Ercole al centro della terra, 1961) ; le fantastique : le Corps et le Fouet (La frusta e il corpo, 1963) ; le western : La strada per Fort Alamo (1965, sous le pseud. John M. Old), et l'espionnage : Operazione paura (1966). Ou bien il découvre des veines nouvelles que l'on exploite, comme le thriller fantastique : la Fille qui en savait trop (La ragazza che sapeva troppo, 1963), Six Femmes pour l'assassin (Sei donne per l'assassino, 1964) et la science-fiction : Terrore nello spazio (1965). D'autres tarissent vite, comme l'adaptation de roman-photo : Danger Diabolik (Diabolik, 1968). Quatre constantes dans ces œuvres inégales : le raffinement de la mise en scène et de l'image (Bava resta son propre opérateur), le goût des thèmes et des symboles psychanalytiques (inceste, castration, etc.), l'érotisme savant et compliqué, le penchant pour le sadisme et la morbidité, qui domine au point qu'il a engendré un film entier : la Baie sanglante (L'ecologia del delitto / Reazione a catena, 1971). Après cette date, la modestie de Bava l'a poussé à s'effacer derrière des sujets imposés et ses derniers films répètent les premiers : la Maison de l'exorcisme (La casa dell'esorcismo, 1975), Shock (id., 1977). Il a fait en Europe et aux États-Unis de nombreux émules, dont Dario Argento et son propre fils Lamberto Bava.