Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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RAIMU (Jules Muraire, dit) (suite)

C'est cependant au soleil de Pagnol qu'il se réchauffe, se réjouit, s'émeut et que l'on oublie, en le regardant, la performance de l'acteur pour admirer la sensibilité de l'artiste. Du Bar de la Marine, d'où il regarde, tablier sur le ventre, grouiller le Vieux Port, à la boulangerie qu'il veut quitter, bonnet en tête, parce qu'il meurt d'amour (la Femme du boulanger, 1938), il anime toujours les chroniques d'un temps révolu, devient le chantre de fabliaux et se nimbe, naturellement, de gravité patriarcale quand il défend le bonheur de la Fille du puisatier (1940). Ses colères étaient redoutables, moins pourtant que ce silence dur, obstiné, rancunier, hostile qui pèse sur sa dernière apparition, cet Homme au chapeau rond (P. Billon, 1946) qui s'éloigne, à jamais, dans des ruelles embrumées, vers son destin. Il n'a pas laissé de souvenirs personnels, mais a trouvé des mémorialistes en Paul Olivier, Roger Régent et Maurice Périsset.

Autres films :

le Blanc et le Noir (R. Florey, 1931) ; la Petite Chocolatière (M. Allégret, 1932) ; les Gaietés de l'escadron (M. Tourneur, id.) ; Ces messieurs de la santé (P. Colombier, 1934) ; Minuit, place Pigalle (R. Richebé, id.) ; l'École des cocottes (Colombier, 1935) ; Gaspard de Besse (A. Hugon, id.) ; le Roi (Colombier, 1936) ; Vous n'avez rien à déclarer ? (L. Joannon, 1937) ; la Chaste Suzanne (A. Berthomieu, id.) ; les Rois du sport (Colombier, id.) ; Gribouille (M. Allégret, id.) ; Dernière Jeunesse (Jeff Musso, 1939) ; l'Homme qui cherche la vérité (A. Esway, 1940) ; le Duel (P. Fresnay, id.) ; Parade en sept nuits (M. Allégret, 1941) ; les Petits Riens (Raymond Leboursier, 1942) ; le Colonel Chabert (René Le Hénaff, 1943) ; Untel père et fils (Duvivier, 1945 [ : 1940]) ; les Gueux au paradis (id., 1946). ▲

RAINER (Luise)

actrice autrichienne (Vienne 1910).

Formée par Max Reinhardt, elle interprète quelques films en Allemagne avant de s'exiler aux États-Unis : Sehnsucht 202 (Max Neufeld, 1932), Heut'kommt's drauf an (Kurt Gerron, 1933), etc. La MGM veut faire d'elle une star et lui confie des rôles importants dans Escapade (R. Z. Leonard, 1935), puis dans The Great Ziegfeld (id., 1936) et Visages d'Orient (S. Franklin, 1937), qui lui valent tous deux un Oscar, le Secret des chandeliers (The Emperor's Candlesticks, G. Fitzmaurice, id.), la Grande Ville (F. Borzage, id.), Frou-Frou (The Toy Wife, R. Thorpe, 1938), Toute la ville danse (J. Duvivier, id.) et Dramatic School (Robert B. Sinclair, id.). Sa chute est aussi rapide que son ascension et, ayant quitté la MGM, elle ne fera qu'un autre film américain : Hostages (F. Tuttle, 1943), avant de regagner l'Europe, où elle revient à la scène et apparaît encore dans la version finale de Tiefland (L. Riefenstahl, 1954). Elle fut l'épouse de Clifford Odets de 1937 à 1940.

RAINS (Claude)

acteur américain d'origine britannique (Londres 1889 - Laconia, N. H., 1967).

Il monte sur les scènes anglaises à onze ans et il est déjà fort d'un solide métier quand, en 1926, il s'établit aux États-Unis. Il débute au cinéma en étant la voix inquiétante (spécialement dans les colères !) de l'Homme invisible (J. Whale, 1933). Cette voix, qui sait être tantôt inflexible et tantôt suave, devient un élément important dans les rôles d'homme du monde blasé, où il excelle. Ce personnage est déjà pleinement épanoui dans Crime sans passion (B. Hecht, Ch. MacArthur, 1934) et par la suite Rains se contente de le perpétuer. Son sens de la nuance est si fin qu'il réussit à ne jamais ennuyer sans réellement se renouveler. Les cinéastes s'amusent à exacerber son dandysme vers le cynisme (sa manière hautaine de lire les bandes dessinées tandis qu'une Bette Davis furieuse tempête autour de lui dans Jalousie, I. Rapper, 1946) ou même le sadisme (ne joue-t-il pas au tennis avec des petits oiseaux en guise de balles dans l'Homme de Lisbonne, R. Milland, 1956). Il est le seul acteur qui peut être un vis-à-vis égal à Bette Davis ; il la seconde dans la compréhension discrète (le psychiatre d'Une femme cherche son destin, Rapper, 1942) ou dans la froideur sourcilleuse (le virtuose narquois de Jalousie, id., 1946). Une fois, il lui ravit presque la vedette dans sa création brillante et sensible du banquier juif de Femme aimée est toujours jolie (V. Sherman, 1944) : c'est sans doute son rôle le plus ambitieux. Par ailleurs, le père bohème de Rêves de jeunesse (M. Curtiz, 1938) ou le procureur machiavélique de La ville gronde (M. LeRoy, 1937), pourtant si réussis, ne sont que facilités. Seul l'officier vichyste désenchanté de Casablanca (Curtiz, 1943) peut légitimement prétendre concurrencer sa création dans le film de Sherman. Il reste actif jusqu'à la Plus Grande Histoire jamais contée (G. Stevens, 1965).

RAÏZMAN (Youli) [Julij Iakovlevič Rajzman]

cinéaste soviétique (Moscou 1903 - id. 1994).

Après des études de littérature et d'art à la faculté de Moscou, il entre en 1924 à la Mejrabpom-Rous, où il est conseiller artistique et secrétaire de la section littéraire. Il collabore bientôt avec les réalisateurs du studio : acteur pour Poudovkine (la Fièvre des échecs, 1925), assistant de Konstantin Eggert (la Noce de l'ours, id.) et de Yakov Protazanov (le Procès des trois millions, 1926 ; le Quarante et Unième, 1927). Il débute avec ‘ le Cercle ’ (id.), puis se fait remarquer pour l'expressionnisme du Bagne (1928). Il s'impose avec La terre a soif, fiction politique et documentaire lyrique tout ensemble, dont Vidor se souviendra pour Notre pain quotidien (1934). La suite de son œuvre affirme un style vigoureusement réaliste-psychologique à la manière de Poudovkine (« le réalisme est la seule forme digne du cinéma ») mais sans les emportements métaphoriques de ce dernier. Tournée en 1937, la Dernière Nuit est peut-être sa meilleure œuvre, intimiste, très directe et très transposée à la fois, empreinte de romantisme révolutionnaire, la rencontre heureuse de deux esthétiques : le cinéma de poésie du muet, le cinéma de prose du parlant. Cinéaste inégal, Raïzman s'attache essentiellement à la dialectique vie privée-vie publique : « effervescence des passions sociales, effervescence des passions personnelles ». Un brin austère, son style « civique » a culminé dans le Communiste (1958) et Ton contemporain (1968). À la fin des années 70 et au début des années 80, il s'est fait plutôt l'analyste des « passions personnelles » et a signé plusieurs films lucides et vigoureux sur la vie intime du couple moderne et sur les élans du cœur et de la raison (Une femme étrange, 1977 ; Vie privée, 1982 ; le Temps des désirs, 1984).