Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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JAPON. (suite)

Cependant, grâce à l'action des ciné-clubs et des cinémathèques, on découvrait que le cinéma japonais n'était pas composé que de films de prestige (en particulier de séduisants films à costumes), et on put voir bien des œuvres laissées en marge. Ainsi la production indépendante, généralement progressiste, put-elle accéder à nos écrans. Citons des films de Tadashi Imai (Nous sommes vivants, 1951 ; Ombres en plein jour, 1956), de Satsuo Yamamoto (Zone de vide, 1952 ; Quartier sans soleil, 1954), de l'acteur So Yamamura (Pêcheurs de crabe / les Bateaux de l'enfer, 1953) ou de Kaneto Shindo (les Enfants d'Hiroshima, 1952 ; l'Île nue, 1960, le plus grand succès international d'un film indépendant [grand prix de Moscou, 1961]).

La crise du cinéma japonais.

Dès 1953, la télévision avait été inaugurée au Japon : elle se révéla le plus grand concurrent du cinéma et, à partir des années 60, le déclin commença à se faire sentir dans une industrie pourtant prospère, où, grâce au succès commercial de séries populaires (citons le Godzilla de Inoshiro Honda et Eiji Tsubaraya, maître des effets spéciaux de la Toho, 1954), les « auteurs » pouvaient s'exprimer à peu près librement. Comme dans tous les pays, le cinéma riposta par une surenchère du spectacle, d'abord avec le CinémaScope, inauguré par la Toei en 1957 et qu'expérimentèrent rapidement les grands cinéastes (la Forteresse cachée de Kurosawa, 1958, en TohoScope), et la généralisation de la couleur, puis par le 70 mm et des productions de plus en plus monumentales (le Grand Bouddha [Shaka de Kenji Misumi, 1961, Daiei]). Ce fut ensuite l'escalade de l'érotisme et de la violence avec les films à scandale des années 60, dits « éroductions » (films indépendants de Tetsuji Takechi, Koji Wakamatsu, etc., distribués par les compagnies). Une autre manière de regagner les faveurs du public consista à produire des « films de jeunes » souvent tirés de best-sellers scandaleux ou suscités par de nouveaux mouvements littéraires comme le « Taiyozoku » lancé par Shintaro Ishihara vers 1955 : la Salle du châtiment (Shokei no heya) de Kon Ichikawa (1956) ; Passions juvéniles (Kurutta Kajitsu) de Yasushi (Ko) Nakahira (id.). C'est à cette époque que les « jeunes turcs » secouèrent le cerisier des compagnies et tournèrent des films violents et dynamiques qui rompaient avec le classicisme ambiant : Nagisa Oshima, Yoshishige (Kiju) Yoshida et Masahiro Shinoda à la Shochiku, ou Shohei Imamura et Kiriro Urayama à la Nikkatsu, qui fondèrent tous leur propre compagnie, sans compter les indépendants économiquement autonomes – Susumu Hani, Hiroshi Teshigahara – ou les écrivains originaux, acteurs ou réalisateurs occasionnels (tel l'écrivain Yukio Mishima). Tandis que les cinéastes des générations précédentes jetaient leurs derniers feux dans les années 60 (Barberousse de Kurosawa, 1965 ; Harakiri, 1963, et Kwaidan, 1964, de Masaki Kobayashi) et que les compagnies faisaient faillite (Shintoho, 1961 ; Daiei, 1971) ou s'accrochaient à des formules de plus en plus commerciales, les cinéastes de la Nouvelle Vague vivaient une gloire éphémère, avant de succomber eux aussi, au début des années 70. Malgré l'apparition de quelques nouveaux indépendants de talent, issus du théâtre (Shuji Terayama), de l'underground (Toshio Matsumoto) ou du documentaire (Shinsuke Ogawa, Noriaki Tsuchimoto), et l'œuvre de certains cinéastes intéressants demeurés dans les compagnies (Yasuzo Masumura à la Daiei, Seijun Suzuki à la Nikkatsu, Kihachi Okamoto à la Toho, Kinji Fukasaku à la Toei), la décadence était consommée. Et, bien que les compagnies eussent signé dès 1963 un accord avec la télévision pour programmer leurs films anciens, ce fut cette dernière qui l'emporta : il y avait en 1980 plus de 25 millions de récepteurs couleurs au Japon, soit un par famille en moyenne.

Au cours des dernières années 70, le cinéma japonais, dont la situation économique reste précaire ( PARAGR. CI-DESSOUS), se survit artistiquement par quelques films audacieux ou de prestige, souvent cofinancés par des producteurs étrangers : l'Empire des sens (1976) et l'Empire de la passion (1978) de Nagisa Oshima en coproduction française, ou Dersou Ouzala (film soviétique de Kurosawa, 1975), Kagemusha (Kurosawa, 1980, avec participation américaine) et Ran (id., 1985, en coproduction franco-nippone). Le tout-venant de la production est composé de films de série à petit budget, comme les « romans-pornos » de la Nikkatsu (depuis 1972, films de Tatsumi Kumashiro, Noboru Tanaka), de films de Yakua (vers 1968, films de Kinji Fukasaku à la Toei), de comédies populaires (série Tora-san de Yoji Yamada à la Shochiku depuis 1969) ou encore de best-sellers policiers assez grossiers produits par l'éditeur Haruki Kadokawa (le premier succès étant la Famille Inugami de Kon Ichikawa, 1976). La plupart des cinéastes de valeur ont cessé toute activité ou se sont reconvertis à la télévision. Seuls quelques indépendants farouches (Mitsuo Yanagimachi, Kohei Oguri, Kaizo Hayashi, Juzo Itami, Kei Kumai, Kiju Yoshida, Shohei Imamura, etc.) se battent encore pour un cinéma d'auteur de qualité. En 1983, la palme d'or obtenue par la Ballade de Narayama a enfin attiré l'attention internationale sur l'œuvre d'Imamura, qui restait confidentielle à l'étranger, tandis qu'Oshima se tournait vers les productions étrangères (Furyo, 1983 ; Max, mon amour 1986). Et les derniers films de Kurosawa sont aussi produits avec des capitaux étrangers : Ran (FR - JAP, 1985), Rêves (US, 1990).

La Nikkatsu fait faillite en 1994, ne conservant une partie de ses studios que pour les louer à la télévision ou aux publicitaires, la Shochiku connaît un brutal changement de direction en 1998 (le président Toru Okuyama, étant évincé par Nobuyoshi Ôtani, après un « coup d'État » des actionnaires) et la Daiei survit essentiellement grâce aux droits de ses films « classiques », tandis que la Toho mène une politique explicitement commerciale, et que la Toei compte toujours sur le succès de ses films d'animation.