Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
E

ÉROTIQUE. (suite)

1956-1968 :

en 1956, deux films créent une situation irréversible, en Europe aussi bien qu'aux États-Unis, Et Dieu créa la femme , de Roger Vadim, qui révèle complètement Brigitte Bardot, faisant de son personnage bien plus qu'un sex-symbol, et Baby Doll, d'Elia Kazan, qui constitue pour le cardinal Spellmann « une occasion de péché ». En 1952, la Cour suprême des États-Unis était revenue sur sa décision de 1915 : le cinéma devait aussi profiter de la liberté d'expression garantie par les 1er et 14e amendements de la Constitution. En outre, la publication, en 1948 et 1953, du fameux rapport Kinsey débloque les consciences. Le contenu thématique des films aussi bien que ce qui est montré deviennent de plus en plus audacieux et appellent un choc en retour. 1958 voit le renforcement, en France, de la Commission de contrôle, tandis que le Hays Office refuse son visa à Autopsie d'un meurtre de Preminger. Plusieurs titres américains et européens marquent néanmoins le caractère irréversible de l'évolution des mœurs : les Amants (L. Malle, 1958), « première nuit d'amour du cinéma » ; la Morte-Saison des amours (P. Kast, 1961), ou comment dépasser le couple ; Viridiana (L. Buñuel, 1961), Palme d'or à Cannes, interdit en Espagne et provisoirement en France ; Lolita (S. Kubrick, 1962) ; le Silence (I. Bergman, 1963), montrant pour la première fois un accouplement ; la Femme mariée (J.-L. Godard, 1965), interdit, puis autorisé après que l'article « la » eut été remplacé par « une » ; le Bonheur (A. Varda, 1965) ; Galia (G. Lautner, 1966). L'année 1966 voit encore en France la bataille contre la censure gouvernementale, à propos de la Religieuse de J. Rivette, et, aux États-Unis, la disparition du Code Hays, remplacé par un simple code d'autorégulation. Des seins nus apparaissent, pour la première fois, dans une production d'une Major company (le Prêteur sur gages, S. Lumet, 1965) et les amours interraciales ne sont plus censurées (les Cent Fusils, T. Gries, 1969). Mais, en 1967, le Congrès américain vote la création d'une commission sur la pornographie et l'obscénité, car on entre dans la troisième période de l'histoire de la « libération sexuelle » au cinéma. Les films du Suédois Vilgot Sjöman exhibent la nudité et les comportements sexuels les plus libres sans aucun des prétextes utilisés auparavant dans les films de nudistes ou les mélodrames moralisateurs (Elle n'a dansé qu'un seul été, Demain, il sera trop tard). Antonioni, dans Blow-Up, montre le premier pubis féminin et Russ Meyer produit un nudie avec un accouplement (Vixen, 1968).

Depuis 1969 :

l'année 1969 sera marquée par deux phénomènes : Woodstock, film de toutes les libérations et notamment sexuelle, colporte de par le monde une nouvelle image de la jeune société occidentale ; en Amérique encore, et plus particulièrement à San Francisco, apparaissent dans les circuits commerciaux les premiers films hardcore (par opposition au softcore), c'est-à-dire où l'acte sexuel, dans toutes ses variantes possibles, est effectivement montré. Ces films vont constituer un véritable genre, avec des stars (Marylin Chambers, Georgina Spelvin, Linda Lovelace) et un metteur en scène fondateur, Gérard Damiano : Gorge profonde (Deep Throat, 1972), l'Enfer pour Miss Jones (Devil in Miss Jones, 1973), Derrière la porte verte (Behind the Green Door, 1975). Buckley, Germontes et les frères Mitchell sont les autres metteurs en scène seuls dignes d'être cités dans un genre qui, très vite, ne se souciera plus que de rentabilité commerciale, loin de l'onirisme et de l'humour de ces productions rares. Si l'exploitation de la pornographie proprement dite aboutit en France à la loi du 31 octobre 1975, classant X les films à caractère pornographique et frappant de lourdes taxes à l'importation les produits étrangers, il n'empêche qu'une libéralisation générale des thèmes abordés s'affirme comme irréversible. History of the Blue Movie, première anthologie du film pornographique, est projeté avec succès à Paris en 1975. Myra Breckinridge (Michael Sarne, 1970) traite de la transsexualité et de la nymphomanie. Louis Malle aborde le tabou de l'inceste dans le Souffle au cœur (1971), tandis que la sodomisation ultrachic du Dernier Tango à Paris (B. Bertolucci) déplace les foules en 1972 et fait couler plus d'encre que le superbe et libertaire W. R. ou les Mystères de l'organisme de Dušan Makavejev. Just Jaeckin hausse le softcore à la référence culturelle, en adaptant pour un large public déculpabilisé deux best-sellers de la littérature érotique : Emmanuelle, péan de la polysexualité, et Histoire d'O, qui traite de l'amour dans l'esclavage, mais dont les résultats laissent regretter qu'un Kenneth Anger n'ait pu mener à terme sa propre adaptation. L'intérêt de ces productions inégales est d'avoir libéré la thématique des cinéastes-auteurs, qui pourront désormais réaliser des films abordant à peu près librement, tant en ce qui concerne le contenu que l'expression, tous les aspects de la sexualité. Maîtresse (B. Schroeder, 1976), la Dernière Femme (M. Ferreri, 1976), l'Empire des sens (N. Oshima, 1976) ont connu le succès dans les circuits grand public. Les toutes dernières années relèguent le cinéma pornographique dans l'indigence et le ghetto des circuits spécialisés, effet direct de la loi 1975 ; relégation qui marquera un retour en force du softcore de luxe, avec les suites d'Emmanuelle, ou le Caligula de Tinto Brass. La croissance rapide du parc de magnétoscopes au cours des années 80 favorisant la diffusion privée de vidéo-cassettes hard, et la programmation sur certaines chaînes de télévision de films de plus en plus explicites ont signé l'arrêt de mort de la diffusion du hardcore (X) sur grand écran — du moins en France et dans la plupart des pays occidentaux. Le cinéma de grande consommation, parallèlement, s'est montré de plus en plus souvent tenté par l'insertion de scènes de genre dans des intrigues de consistance très variable. Mais l'essentiel, encore une fois, reste la libération (définitive ?) de la thématique, même quand l'expression recourt encore à la litote. Du reste de nombreux indices – repérables dans une vague de films chastes qui reflètent le retour des valeurs morales dans l'Amérique reaganienne – ont suggéré à quelques observateurs l'émergence d'une volonté de régulation du sexe à l'écran, voire son exclusion des films destinés au plus grand nombre.