Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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COMÉDIE MUSICALE. (suite)

Cette définition est formelle, car ce genre ne se caractérise ni par le choix de ses sujets, qui peuvent être très variés, ni par un répertoire iconographique, ni même par un mode particulier de narration, mais bien par le fait que la part du récit y est mesurée. De là viennent le goût du spectacle et la moralité futile qui caractérisent les comédies musicales ; de là aussi, leur vraisemblance sans rigueur et leurs personnages superficiels. La narration reste toutefois indispensable pour situer et qualifier les numéros musicaux. On exclura donc du genre les bout-à-bout de performances de music-hall ou les concerts enregistrés, qui se sont multipliés depuis 1960. Quant aux formes particulières et au développement du genre en Argentine, au Brésil, en Égypte, en Inde, c'est surtout dans les articles consacrés à ces pays qu'on les analysera.

Si formelle que soit d'ailleurs la définition de la comédie musicale, elle ne peut pourtant ignorer ni l'importance des intrigues amoureuses ni l'influence de la continuité historique dans la vie du genre. La plupart des comédies musicales content en effet la rencontre et les mésaventures d'un homme et d'une femme ; leur ingénieux amour finit par triompher des différences qui les séparent ; de leur union semblent dépendre bien des entreprises : l'art, la politique ou toute une façon de vivre. Quant à la tradition historique, elle est nécessaire pour justifier les conventions. Elle précède d'ailleurs l'existence cinématographique du genre.

La comédie musicale à travers le monde.

Sous le nom de musical comedy, les Américains désignent en effet une forme théâtrale et, par extension, ses dérivés au cinéma. Au début du siècle, la comédie musicale n'est qu'une farce entrecoupée de chansons, bien éloignée des prestiges de l'opérette. Mais cette dernière, aux États-Unis, va connaître une évolution et, pour finir, un bouleversement. Elle admet d'abord le goût américain de la magnificence et multiplie les féeries, puis elle subit, progressivement, l'influence des musiques locales et modernes. Dès 1920, la comédie musicale esquisse des valeurs qui lui sont propres : utilisant une langue plus vernaculaire et des types mélodiques plus simples, elle se distinguera encore de l'opérette par son indifférence envers la virtuosité vocale, son refus des intrigues solennelles et sa tendance à intégrer au sujet les éléments comiques, renonçant à la classique distinction du noble et du trivial. Vers 1930, au moment où elle débute au cinéma, la comédie musicale est devenue au théâtre une forme originale et autonome : Jerome Kern, George Gershwin, Cole Porter, mettant en œuvre une écriture musicale soucieuse des orchestrations et des rythmes, bien influencée par le jazz, lui ont donné une organisation spécifique. Les livrets d'un P. G. Wodehouse ou d'un Donald Ogden Stewart contribuent à l'allure gentiment fantaisiste qui continuera de caractériser le genre. Dès lors, comédie musicale désigne globalement en Amérique une tradition théâtrale où se rejoignent l'opérette et la revue, le ballet et le vaudeville, la chanson et la farce.

Au cinéma, l'existence du genre repose assurément sur l'invention du parlant, et l'on peut considérer le Chanteur de jazz (A. Crosland, 1927) comme sa première manifestation et son manifeste inaugural. Le lien historique entre le succès du cinéma sonore et du film chantant est d'ailleurs évident et universel. Le souci de justifier esthétiquement une transformation technique l'explique moins que la nécessité de compléter l'expression personnelle de ces acteurs qui prenaient enfin la parole, en les laissant manifester par le chant toute l'individualité de leur voix. La danse sera l'accomplissement corporel et visible de ce dessein.

Avec plus de finesse que La route est belle (R. Florey, 1930), Sous les toits de Paris (1930), le Million (1931) et À nous la liberté (id.) de René Clair témoignent en France de la volonté de conférer au son une légitimité artistique. En Allemagne, des techniques plus avancées permettent d'enregistrer les premières chansons de Marlene Dietrich, avant qu'un Geza von Bolvary n'entreprenne de traduire à l'écran la tradition viennoise. En Italie, le premier film parlant est La canzone dell'amore (G. Righelli, 1930). En Argentine, on filmera des tangos. Il n'est pas jusqu'à Shanghai où l'on ne retrouve l'opposition du muet et du sonore significativement traduite, dans les Anges du boulevard (Yuan Muzhi, 1937), par celle de la gaieté spectaculaire musicale, et de sombres figures symboliques et silencieuses. Jusqu'à la fin des années 50, Hong Kong multipliera les bluettes et les opéras.

Mais c'est en Égypte et en Inde que l'avènement chantant du cinéma parlant a le plus profondément marqué la production. Le médiocre intérêt des Indiens pour la dramaturgie tendue et l'absence de tradition théâtrale arabe contribuent pour une part à expliquer pourquoi danses et chansons, ces éléments de pur spectacle, ont paru indispensables à la conquête d'un vaste public. On peut à peine parler d'un genre, puisque l'ensemble des films fait une large place à ces ornements. En Inde, depuis le succès d'Alam Ara (A. M. Irani, 1931), qui ne contenait pas moins de douze chansons, et quoique l'influence américaine eût modifié la musique et le jeu narratif, les studios de Bombay ne se lassent pas de produire des œuvres volontiers dramatiques, agrémentées de nombreux numéros musicaux (Mangala, fille des Indes, K. Mehboob, 1952). L'invention gestuelle et spatiale ne fait pas toujours défaut, dans ces ouvrages auxquels on reproche souvent, ici comme dans le subcontinent, leur académisme et leur culte servile des vedettes. On mesure pourtant mal quels rapports ce cinéma entretient avec des films audacieux, qui consentent à la musique une aussi large part : Calcutta, ville cruelle (B. Roy, 1953) ou le Salon de musique (S. Ray, 1958). Grand importateur de productions indiennes, le monde arabe partage sa dévotion pour les chanteurs et les danseuses : on songe à Farid El Atrache, à Leila Murad, à Muhammad Abdel Wahad et à bʹUm Kulthum. Dès 1960, la musique occidentale joue pourtant un rôle grandissant. Là aussi, les œuvres routinières, maladroitement réalisées, sont les plus nombreuses. Yussif Chahin n'a pourtant pas dédaigné d'enrichir le genre avec son Vendeur de bagues (1965), et l'on doit à Husayn Kamal Le monde est une fête (1975).