Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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WILDER (Samuel, dit Billy)

scénariste et cinéaste américain (Sucha, Autriche - Hongrie, 1906).

Il tente des études de droit avant de gagner Berlin, où il sera danseur mondain et journaliste. À partir de 1927, la UFA l'emploie à polir des scénarios. En 1929, il écrit celui des Hommes le dimanche (R. Siodmak). Puis ce sont des policiers, des comédies, parfois musicales, et d'autres textes frivoles ou l'adaptation d'un livre populaire, tel Émile et les détectives (G. Lamprecht, 1931), par exemple. Après la prise du pouvoir par les nazis, il se réfugie à Paris, où il aborde la mise en scène (Mauvaise Graine, co A. Esway, 1934). Attiré en Amérique par Joe May, exilé comme lui, il travaillera d'abord comme scénariste pour d'autres réfugiés : Dieterle, May, Thiele. Mais c'est en faisant équipe avec Charles Brackett qu'il remporte ses premiers succès de dialoguiste : la Huitième Femme de Barbe-Bleue (E. Lubitsch, 1938) ; la Baronne de minuit (M. Leisen, 1939) ; Ninotchka (Lubitsch, id.) ; Par la Porte d'or (Leisen, 1941) ; Boule de feu (H. Hawks, id.) enfin, au tournage duquel il tient à assister, désireux de diriger lui-même ses scénarios, comme il le fera jusqu'à Fedora, produit en Allemagne, faute de financement américain. Il n'en continue pas moins à les écrire : en compagnie de Brackett jusqu'en 1950 et de I. A. L. Diamond à partir de 1959.

Le trait d'esprit résume Wilder, dont les bons mots paraissent innombrables dans la vie comme dans les films ; mais ses éclats humoristiques ne connaissent pas seulement une forme verbale, et ils n'ont rien de superficiel. Ils se manifestent volontiers de manière visuelle, ils président à la construction narrative, ils traduisent un caractère et incarnent à la fois, dans leur cynique virtuosité, une vision satirique et une humeur allègre.

Les premières œuvres, dramatiques et policières notamment, ont laissé une impression de noire misanthropie : dénonçant les illusions et les tricheries de Hollywood (Boulevard du Crépuscule, 1950) ou les mensonges du journalisme (le Gouffre aux chimères, 1951), après les machinations de l'humanité moyenne (Assurance sur la mort, 1944), Wilder finira par reconnaître que si l'on ne peut jurer que tout le monde est corrompu, c'est parce qu'on « ne connaît pas tout le monde » (Un, deux, trois, 1961). Entre-temps se dessine pourtant, au-delà de la gêne (Stalag 17, 1953), voire du dégoût (la Garçonnière, 1960) que ce moraliste ne renonce pas à provoquer, une approbation de l'authenticité et de l'humanité du sentiment quand bien même les circonstances sociales (la Scandaleuse de Berlin, 1948 ; Irma la Douce , 1963) ou les travers de chacun (Embrasse-moi, idiot, 1964) lui donneraient une apparence perverse. Si l'on prend son parti que « personne n'est parfait » (Certains l'aiment chaud, 1959), on trouvera dans la Vie privée de Sherlock Holmes (1970) ou dans Avanti ! (1972) des incitations à l'abandon plutôt que des mises en garde contre la faiblesse humaine. C'est que Wilder, en fait, dénonce toujours l'impératif abstrait de la Loi et le système froid de la société, mais accorde une complicité active, par le rire même, aux passions et à la sociabilité. Les dernières œuvres montrent davantage de sympathie pour leurs personnages, mais la perspective morale reste la même.

Des dispositifs narratifs complexes, comme celui de Boulevard du Crépuscule, où un mort tient l'emploi de narrateur, ou celui de Fedora (1978), étroitement soumis à l'usage du point de vue, doivent donc passer moins pour des jeux désinvoltes que pour une marque de fidélité à une vision critique, capable d'organiser sa propre cohérence formelle tout en restant ouverte aux réalités. Observateur attentif et amusé, apte à dévoiler les appétits les plus simples malgré l'hypocrisie des civilisés, Wilder n'usurpe pas l'autorité d'un juge : ou bien il attribue à chaque personnage ses mérites et ses ridicules (la Scandaleuse de Berlin, Certains l'aiment chaud), ou bien il dégage et souligne la force de la mentalité individuelle ou des mentalités successives à travers lesquelles le récit se donne. Il suppose en tout cas de la part des spectateurs la capacité de jouer à cache-cache avec des éthiques diverses. Il a parfois surestimé son public : l'échec d'Embrasse-moi, idiot suffit à le montrer. Politiquement, ce désengagement actif lui permet de répartir équitablement les coups (Un, deux, trois) ; moralement, cela lui laisse le loisir de peindre des désillusions rêveuses (Sabrina, Ariane), tout en saluant l'énergie d'un caractère et en ménageant à ses héros les plus volontaires un bonheur sans absolu.

Au demeurant, ce prétendu misanthrope est de bonne compagnie, et la jubilation qu'il éprouve à nous faire partager ses déceptions est de nature à adoucir l'amertume qu'on lui prête. Le plaisir cinématographique de Wilder — que la parodie déclare parfois (Sept Ans de réflexion, 1955), que les allusions romanesques (la Vie privée de Sherlock Holmes, Fedora, mais déjà Boulevard du Crépuscule en 1950) traduisent sans ostentation ni retenue — repose d'abord sur la réalisation parfaite d'un monde imaginaire : l'ère du jazz (Certains l'aiment chaud) ou le Paris pittoresque d'Irma la Douce ont été reconstitués avec une minutie convaincante, pour le plaisir. Depuis 1957, le décorateur Alexandre Trauner a une part considérable dans ce travail d'illusion. D'autre part, Wilder se plaît à inventer des gestes, des allures : les étonnants travestis de Certains l'aiment chaud, mais aussi les airs empruntés de Holmes, les postures de Sabrina ou d'Ariane, délicates guetteuses, et la volupté de Marilyn Monroe, la jupe soulevée par le métro qui passe. Les personnages féminins sont assez pleinement réalisés pour que les habitués des femmes idéalisées aient cru à la misogynie.

Ses traits manquent parfois de légèreté, mais il est bien rare qu'ils ne touchent pas leur but. La vulgarité de Wilder consiste simplement à réduire à l'argent et à la sexualité presque tous les mobiles humains. Cela donne plus de force à ses ressorts comiques, sans l'obliger le moins du monde à ignorer des conduites complexes, nobles, décentes, et la métamorphose d'une personne qui accomplit enfin sa vérité intime (Avanti !, mais Sabrina, déjà) est le contrepoids des dénonciations globales (Un, deux, trois en donne l'exemple le plus brillant). En tout cas, la simplicité des principes permet de mettre en valeur les aspects retors des machinations, dont la mise en scène est volontiers la complice, mais aussi d'entraîner le spectateur dans d'étonnantes parades, d'une gloire purement cinématographique : la danse maniaque où sa jalousie entraîne le protagoniste d'Embrasse-moi, idiot, la frivolité héroïque de Marlene Dietrich dans la Scandaleuse de Berlin, ou la fête foraine qui entoure le drame dans le Gouffre aux chimères. En même temps que le sarcasme, ces moments contiennent une plénitude visuelle, témoignent d'une activité intense et ingénieuse et réalisent, avec une grâce perverse, le portrait d'une humanité coupable, mais vivante.