Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
I

ISRAËL. (suite)

L'irruption de l'Intifada (la révolte populaire des populations arabes dans les territoires occupés) et la radicalisation du conflit israélo-arabe en 1988 brouillent les positions politiques des cinéastes qui ne trouvent pas les moyens pour les maîtriser artistiquement, comme on peut l'observer dans la description de la violence exacerbée des Champs verts (Sadoth yerukim) d'Itzhak « Zeppel » Yeshurun ou dans la naïveté bien intentionnée de Cup Final (Gmar gavia, Eran Riklis, 1991). L'explosion furieuse de la Vie selon Agfa (Ha'hayim lefi Agfa, 1992) d'Assi Dayan, film dans lequel les personnages qui se rencontrent dans un bar de Tel Aviv représentent en fait la nation tout entière, vouée à l'autodestruction, reflète probablement mieux que toute autre œuvre les angoisses profondes qui perturbent les Israéliens dans cette période difficile.

C'est pourtant une exception, car le militantisme politique est remplacé au fur et à mesure par des films intimistes, voire intro-spectifs, réalisés par des cinéastes qui ont toujours douté de l'efficacité du cinéma pour trouver une solution aux problèmes politiques, comme Avraham Heffner : le Dernier Amour de Laura Adler (Ahavata ha'acharona shel Laura Adler, 1990) ou Eitan Green : Un citoyen américain (Ezrakh amerikai, 1992). Les films autobiographiques gagnent du terrain et reflètent non seulement les expériences du personnage principal, mais les difficultés pratiques et psychologiques de toute une période où les effets et les souvenirs de la Shoah pesaient encore lourdement sur un jeune pays en train de naître. C'est le cas de la réalisatrice et actrice Michal Bat Adam qui boucle les deux premiers volets de sa trilogie Sur un fil tendu (Al Khevel Dak, 1981) et Jeux d'enfants (Ben Lokeakh Bat, 1982) par un dernier épisode Aya, une autobiographie imaginée (Aya, autobiografia dimionit, 1994). C'est aussi celui de la première dame de l'écran israélien, l'actrice Gila Almagor, devenue à l'occasion productrice, qui fait réaliser par Elie Cohen l'émouvant l'Eté d'Avyia (Hakaitz shel Avyia, 1989) et sa suite : Sous l'arbre de Domin (Etz hadomim tafus, 1995). L'immigration de 500 000 Juifs venus des anciennes républiques soviétiques, l'éventualité d'une paix stable dans la région, les sentiments d'incertitude et les angoisses qui en résultent, la résurgence de l'antisémitisme en Europe qui avive le souvenir de l'Holocauste, voilà quelques-uns des sujets qui préoccupent le public israélien à la fin du XXe siècle, mais le cinéma de fiction n'a pas encore véritablement trouvé le ton juste pour évoquer tous ces problèmes. À noter, dans les années 90, l'importance croissante des courts métrages produits par l'université de Tel-Aviv et l'École de cinéma de Jérusalem, qui remportent un grand nombre de prix internationaux. Plus remarquable encore est la résurgence du documentaire, largement ignoré pendant de longues années ou classé comme « film de service », et qui assume tout à coup sa pleine responsabilité, que ce soit pour observer les plaies ouvertes de la deuxième génération des survivants des camps dans À cause de cette guerre d'Orma Ben Dor-Niv (1988), ou la difficulté d'être et de rester israélien dans 1966 était une bonne année pour le tourisme d'Amit Goren (1992). Il faut aussi mentionner l'œuvre imposante de David Perlov, Journal (Yoman, 1988), six heures de réflexions intimes commencées lors de la guerre du Kippour en 1973 et couvrant une période de dix ans, réflexions tout à fait personnelles mais représentant aussi le dépaysement d'un grand intellectuel de formation latino-américaine et européenne face à la tour de Babel d'une nouvelle culture en train de se définir. Sans doute faut-il aussi reconnaître l'importance d'Amos Gitai, célèbre pour ses essais documentaires politiques, mais ce cinéaste est néanmoins, autant par ses tendances personnelles que par sa manière de financer ses films, beaucoup plus proche du cinéma d'avant-garde européen que du cinéma israélien ; Gitai est souvent considéré comme un contestataire qui remet en question les idées acquises du sionisme dans des documentaires comme la Vallée (Hawadi, 1981-1991) et dans des films de fiction comme Berlin-Jérusalem (1989). Les changements politiques en Israël et les traités de paix ont conduit Gitai à tourner en 1985 son premier film de fiction entièrement israélien (Esther).

La fin des années 80 et le début des années 90 ont marqué un changement visible dans la structure même du cinéma israélien. D'un côté, le cinéma commercial s'affaiblit, victime de la concurrence de la télévision commerciale. Pour survivre, la production israélienne doit s'appuyer d'une part sur des subventions publiques fragilisées par l'instabilité politique relative du pays, d'autre part sur l'investissement des chaînes télévisées, qui se montrent cependant peu enthousiastes (acheter des films israéliens financés par d'autres sources est en effet beaucoup plus lucratif), ainsi que sur les ventes à l'étranger qui ne constituent encore qu'un modeste apport budgétaire, hormis pour quelques cinéastes à succès international, à l'instar d'Amos Gitai, avec Kadosh (1999) et Kippour (2000), dont le premier film interroge le fondamentalisme religieux, et le deuxième revisite l'histoire de la guerre de 1972 en en soulignant toute l'horreur et l'absurdité. La création cinématographique israélienne de la toute fin du XXe siècle connaît un léger regain, favorisé par l'apparition d'une nouvelle génération d'auteurs n'hésitant pas à mêler les travaux vidéos, audiovisuels ou cinématographiques. Leurs films traduisent de manière particulièrement aiguë les interrogations pesant sur un passé tragique et un avenir encore entièrement à construire. Alors qu'Israël commémore en 1998 les cinquante ans de sa création, les cinéastes mettent en abyme les valeurs fondatrices de leur pays, en cherchant, par une grande liberté de langage, à aller au-delà de la politique des partis et de l'histoire officielle, et s'autorisant à lancer des ponts que peu de gens lancent. Et maintenant quoi ? (What Now ?, 1998), de David Noy, raconte l'histoire d'un homme justement né le jour de la proclamation d'Israël, le 5 mai 1948, et nommé, en conséquence, Israël. Ce dernier vivra, pendant ses cinquante premières années toutes les vicissitudes de l'histoire de son pays, jusqu'à ce que, le jour de ses cinquante ans, qui est aussi celui de la commémoration nationale, il remette tout en cause. Dans la Deuxième garde (Udi Ben-Arieh, CM, 1995), le soldat Berkowitz monte la garde dans un poste isolé et désolé le long de la frontière israélo-jordanienne ; de l'autre côté, un soldat jordanien s'ennuie autant que lui ; ensemble, ils trouvent une solution originale pour passer le temps. La documentariste Senyora Bar David (née en 1963), après Wadi Salib (DOC, 1995), propose avec le Sud : Alice n'a jamais habité ici (DOC, 1998) de relier les souvenirs de trois femmes d'âges différents, dressant ainsi une géographie représentative d'Israël, allant d'un petit village grec du début du siècle aux faubourgs de Jaffa en passant par la banlieue de Tel Aviv. Autre pont, dans le documentaire Café Noah (d'Adok Dror, né en 1963, CM DOC, 1997), où l'on voit, après 1948, des musiciens juifs immigrer vers Israël en provenance d'Egypte et d'Irak, où ils étaient des virtuoses de la musique arabe ; celle-ci n'ayant pas grande valeur dans leur nouvelle patrie, le Café Noah fut l'un des rares endroits où elle eut la possibilité de survivre. Révélation de la décennie 90, Ron Havilio s'affirme, dans la droite lignée de David Perlov, l'héritier de la grande école documentaire israélienne, avec une œuvre unique mais majeure, Fragments Jérusalem, en deux cycles comprenant chacun plusieurs chapitres, pour un total de plus de six heures, le troisième cycle étant lui-même en chantier. Dans ce très long métrage documentaire, grand prix du festival international de documentaires à Yamagata en 1997, prix de la critique FIPRESCI au Festival de Berlin en 1998, Ron Havilio mêle à la fois le film de famille (la sienne) et les archives de l'histoire d'Israël, pour un travail de mémoire intime et collectif de redécouverte d'une ville saturée d'images et d'idées préconçues.