TRUFFAUT (François) (suite)
C'est surtout la Peau douce (1964) qui, venant peu après les apparentes audaces de Jules et Jim (1962), se retrouve la victime de cette nouvelle voie. Film secret et d'une réelle sensibilité sous ses dehors de drame bourgeois, il offre à Françoise Dorléac l'occasion d'une création lumineuse et mélancolique. C'est là le véritable point de départ de la saga d'Antoine Doinel – Jean-Pierre Léaud –, fausse autobiographie, faux psychodrame, fausse chronique réaliste, mais, dans ses meilleurs moments, vrai portrait d'un certain malaise (Baisers volés, 1968 ; quelques instants de Domicile conjugal, 1970).
C'est là aussi la veine la plus périlleuse de Truffaut. Car, s'il est capable de bifurquer vers un pathétique cynisme à la Guitry (l'Homme qui aimait les femmes, 1977), ou vers un fantastique obsessionnel à la Hitchcock (la Femme d'à côté, 1981), il sombre parfois dans la facilité tout en conservant un certain charme, qui est son image de marque (l'Argent de poche, 1976). Sous un autre angle, Jules et Jim, film faussement émouvant, en réalité froide analyse d'un amour et d'une amitié, crée chez Truffaut une veine « littéraire » qui va s'épancher à travers des adaptations (les Deux Anglaises et le Continent, 1971) ou des films en costumes (l'Histoire d'Adèle H., 1975). Le sujet de ces films est la passion. Mais Truffaut adopte face à ce sujet une distance qui désarçonne souvent le spectateur. Là aussi, il ne sait pas toujours se maintenir en équilibre sur la corde raide. Les Deux Anglaises sont un film effectivement froid, et Adèle H., presque exsangue. Mais, à côté, Truffaut a réussi admirablement l'Enfant sauvage (1970), grâce à la finesse d'une photographie superbe. De même, la Chambre verte (1978) parle, en termes très troublants, d'un véritable processus de vampirisation où les livres ont un rôle pétrifiant, à l'opposé de ce qu'entendait Farenheit 451 (1966).
Enfin, Tirez sur le pianiste révèle chez Truffaut des tendances bouffonnes qu'il allait parfois épancher chez Doinel, puis dans l'harmonie quasi magique qui fait de la Nuit américaine (1973, Oscar du meilleur film étranger) et du Dernier Métro (1980, César du meilleur film) des œuvres fragiles, qu'un rien pourrait briser, et qui, pourtant, tiennent le parcours ; Tirez sur le pianiste accuse aussi chez Truffaut un intérêt indiscutable pour les intrigues policières, véhicule tout trouvé à l'entêtement obsessionnel de ses personnages. La mariée était en noir (1968) utilise une intrigue d'Irish comme tremplin, pour mieux apprivoiser une poésie à la Cocteau et, comme Cocteau, il apparaît protagoniste dans l'un de ses films (l'Enfant sauvage) et dans Rencontres du troisième type (S. Spielberg, 1977). L'œuvre de Truffaut (bon connaisseur, familier du cinéma hollywoodien — son dialogue avec Hitchcock reste un livre de base) a séduit la critique américaine, peut-être grâce à cette « French Touch » douce-amère, qui a marqué la Nouvelle Vague et ses épigones (Doillon, Tacchella, Téchiné) et à une psychologie sentimentale, aussi, qui doivent paraître assez exotiques outre-Atlantique pour correspondre à l'idée qu'on s'y fait de la France.
Films :
Une visite (CM, 1954) ; les Mistons (MM, 1958) ; Histoire d'eau (CM, CO J.-L. Godard, id.) ; les Quatre Cents Coups (1959) ; Tirez sur le pianiste (1960) ; Jules et Jim (1962) ; l'Amour à vingt ans (un sketch, id.) ; la Peau douce (1964) ; Farenheit 451 (1966) ; La mariée était en noir (1968) ; Baisers volés (id.) ; la Sirène du Mississippi (1969) ; l'Enfant sauvage (1970) ; Domicile conjugal (id.) ; les Deux Anglaises et le Continent (1971) ; Une belle fille comme moi (1972) ; la Nuit américaine (1973) ; l'Histoire d'Adèle H. (1975), l'Argent de poche (1976) ; l'Homme qui aimait les femmes (1977) ; la Chambre verte (1978) ; l'Amour en fuite (1979) ; le Dernier Métro (1980) ; la Femme d'à côté (1981) ; Vivement dimanche ! (1983).