Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
K

KOTCHEFF (William Theodore Kotcheff, dit Ted)

cinéaste canadien (Toronto, Ontario, 1931).

Après cinq années à la télévision canadienne, il travaille en Angleterre au théâtre et pour le petit écran, et y tourne ses premiers films. Deux veines se partagent son œuvre. Premiers succès, les études de mœurs, chroniques assez amères : Life at the Top (1965), Two Gentlemen Sharing (1969) sont couronnées par l'Apprentissage de Duddy Kravitz (The Apprenticeship of Duddy Kravitz, 1974), au Canada. La veine se prolonge, aux États-Unis, dans la comédie : Touche pas à mon gazon (Fun With Dick and Jane, 1977) et dans North Dallas Forty (1979). Même une plaisante œuvrette comme la Grande Cuisine (Who's Killing the Great Chefs of Europe, 1978) prouve son sens du croquis social et humain. Réveil dans la terreur (Outback, 1971) amorce la seconde veine : celle de la violence physique. Elle n'exclut pas l'intimisme dans le western : Un colt pour une corde (Billy-Two-Hats, 1973). Elle domine Rambo (First Blood, 1982), dans lequel le brio de son rendu s'allie à une réflexion sur sa nature dans la société contemporaine, et Retour en enfer (Uncommon Valor, 1984), qui décrit une opération de commando au Laos pour récupérer des soldats disparus au cours de la guerre du Viêt-nam. Il réalise ensuite Joshua, Then and Now (1985), Split Image (1986), Scoop (Switching Channels, 1988, nouvelle adaptation, après celles de Hawks et de Wilder, de la célèbre pièce de Hecht et MacArthur The Front Page), Winter People (id., 1989), Week-End chez Bernie's (Week-end at Bernie's, id.) et Folks ! (1992).

KOTULLA (Theodor)

cinéaste allemand (Königshütte [auj. Chorzow, Pologne]1928).

Critique de cinéma, notamment dans la revue Filmkritik (1957-1968), il réalise tout d'abord des documentaires, sur Camus (Camus und Algiers, 1964) et sur un cinéaste qu'il admire, Robert Bresson (Zum Beispiel Bresson, 1966). Il réalise son premier long métrage en 1968, Histoire d'un happy-end (Bis zum Happy End), film elliptique sur la mauvaise conscience bourgeoise. Il produit et tourne ensuite des courts métrages et des documentaires sur la musique, puis deux autres longs métrages (dont Sans indulgence [Ohne Nachsicht, 1971]) et une adaptation du roman de Robert Merle tiré de la vie du commandant d'Auschwitz, La mort est mon métier (Aus einem deutschen Leben, 1976-77). Ce film courageux, mêlant la leçon de Bresson et celle de Brecht, accuse les conditions sociales et culturelles qui ont permis la barbarie nazie. Dans les années 80, il travaille pour la télévision et signe notamment une série en 5 épisodes : l'Affaire Maurizius (Der Fall Maurizius, 1982). Depuis l'Agression (Der Angriff, 1986), il est sollicité essentiellement par la télévision, pour laquelle il réalise des œuvres relevant d'une réflexion approfondie sur la violence et d'autres qui évoquent l'histoire ouvrière de la Ruhr.

KOULECHOV (Lev) [Lev Vladimirovič Kulešov]

cinéaste et théoricien russe (Tambov 1899 - Moscou 1970).

L'un des pères fondateurs de la cinématographie soviétique. Il a quinze ans quand meurt son père, lequel, après avoir étudié peinture et dessin, avait dû accepter une carrière de secrétaire-dactylographe. Il s'établit alors à Moscou avec sa mère, institutrice. Il y fréquente l'École des beaux-arts. Il entre en 1916 au studio Khanjonkov comme décorateur. Il travaille à une dizaine de films et se forme auprès de l'excellent cinéaste tsariste Evguéni Bauer, le premier en Russie à tenir compte des valeurs picturales de l'image cinématographique. Pour À la recherche du bonheur (Za sčast'e) de Bauer (1917), il est assistant, décorateur et même acteur. Il réalisera ses deux premiers films (le Projet de l'ingénieur Pright et Chant d'amour inachevé) en 1918, avant donc la nationalisation du cinéma.

1919-20 : chef des actualités auprès de l'Armée rouge, il rassemble des matériaux pour les Chroniques du VFKO (Direction panrusse du cinéma). Il tourne avec Édouard Tissé, qu'il persuade de traiter le reportage dans le même esprit que la fiction — selon un plan de montage. Fin 1919 : observateur puis factotum à l'Institut technique du cinéma (le futur VGIK), il improvise une section de rattrapage pour les candidats refusés. Ses brillants résultats impressionnent si fort la direction passéiste de l'école qu'elle l'autorise à fonder son propre collectif au sein de l'Institut. De ce « laboratoire » feront partie Aleksandra Khokhlova, Leonid Obolenski, Serge Komarov, Vsevolod Poudovkine, Boris Barnet, Vladimir Foghel, A. Reikh, Mikhaïl Doller, Valeri Inkijinov. Avec ses élèves, Koulechov tourne en 1920 un « film policier révolutionnaire », Sur le front rouge, qui mêle séquences documentaires et séquences jouées. Dans son séminaire, qu'il conçoit à la façon des ateliers de la Renaissance, Koulechov révèle ses grands dons de pédagogue. Il unit théorie et pratique. Il met au point une doctrine et une méthode. En 1917 déjà, il a publié des textes de réflexions théoriques, insistant sur le rôle de la lumière dans la dramatisation du décor et la plastique de l'image. Dès 1918, il a défini le montage comme le propre du cinéma. Un film se construit à la table de montage. Le réalisateur en est l'unique auteur. Les plans doivent être simples, lisibles, expressifs afin de pouvoir être vite et correctement perçus par le spectateur. Le rythme est le véritable contenu du film ; c'est lui qui décide des réactions et des pensées du public. Bientôt Koulechov sera taxé de « formalisme techniciste », se verra injustement accusé d'indifférence au sujet et à la « commande sociale ». Son « américanisme » lui sera aussi beaucoup reproché. Or, dans le policier, le serial, le film d'action, le burlesque, Koulechov voit un antidote au divisme, à la psychologie décadente du cinéma tsariste, et la possibilité d'un art authentiquement populaire.

Par nécessité, le collectif s'adonne d'abord (jusqu'en 1923) à des « films sans pellicule » : sketches dramatiques muets, découpés en plans grâce à un jeu de rideaux, joués et enchaînés avec la rapidité d'une projection de film. Ces exercices illustrent l'importance de la stylisation du jeu comme du décor et l'utilité de répéter minutieusement un film avant son tournage. Koulechov procède de l'esprit de rationalité et d'efficacité typique du constructivisme. Pour lui aussi l'artiste est un constructeur, un ingénieur. Le jeu de l'acteur, « modèle vivant », doit être mécanisé, planifié, taylorisé. La biomécanique exige la supermarionnette plutôt que l'homme vivant. Les expériences de Koulechov sont célèbres. Elles établissent qu'avec le montage le cinéaste peut créer aussi bien l'expression de l'acteur (c'est l'« effet Koulechov », vérifié avec Mosjoukine) qu'un espace, qu'un corps, qu'une action imaginaires (un personnage réel sera impliqué dans des aventures auxquelles il n'a nullement participé). Sur l'exemple des formalistes, Koulechov fut tenté d'identifier la syntaxe du film à celle du langage, assimilant l'image au mot : « Avec des plans de fenêtres s'ouvrant largement, de gens qui s'y installent, d'un détachement de cavalerie, d'enfants qui courent, d'eaux qui brisent une digue, du pas cadencé des fantassins, on peut monter aussi bien la fête pour l'inauguration d'une centrale électrique que l'occupation par une armée ennemie d'une ville paisible. »