Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
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— RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLEMANDE (Deutsche Demokratische Republik). (suite)

Quelques années plus tard, alors même que prenait forme un cinéma narratif en prise avec les réalités de la société et un réalisme proche de ce qu'on pouvait observer dans certains pays amis, un diktat politique de décembre 1965 interdit une série de films qui venaient d'être tournés ou qui étaient au montage — ou même déjà dans les salles comme Traces de pierres de Frank Beyer*. C'est le blocage d'un courant cinématographique lucide et contemporain, et un coup d'arrêt, parfois momentané, à la carrière de plusieurs cinéastes : Frank Beyer, Kurt Maetzig*, Egon Günther*, Gerhard Klein, Jürgen Böttcher*, Hermann Zschoche, Frank Vogel, Günther Stahnke, tous âgés de moins de trente-cinq ans (sauf Maetzig).

La timide ouverture du cinéma est-allemand.

Il faudra attendre 1971 et le 8e congrès du SED pour voir disparaître certains interdits : « Il n'y a aucun tabou pour les artistes qui se tiennent fermement sur le terrain du socialisme », proclame Erich Honecker, secrétaire du parti. Dès lors, on voit se multiplier les films résolument neufs, par le thème et le style, comme le Troisième (E. Günther, 1971) et la Légende de Paul et Paula (Die Legende von Paul und Paula, de Heiner Carow, 1972) ; c'est à ce moment que se situe la petite révolution suscitée par la vision critique de Konrad Wolf sur les rapports entre l'art et le pouvoir dans son Homme nu sur le stade, et c'est Wolf encore (et encore d'après un scénario de Kohlhaase) qui donnera le film le plus controversé, mais le plus populaire, de ces dernières années, Solo Sunny (1979), peinture lucide et chaleureuse de la jeune génération à travers le personnage d'une chanteuse pop.

Malgré bon nombre de réussites (notamment : la Fiancée de Günter Reisch* et Gunther Rücker, 1980 ; Der Aufenthalt de Frank Beyer, 1982) et certaines œuvres de réalisateurs talentueux comme Roland Gräf, Horst Seeman, Lothar Warnecke, Joachim Kunert, Siegfried Kühn, Rolf Kirsten, Hermann Zschoche, Rainer Simon (dont le film la Femme et l'Étranger [Die Frau und der Fremde] remporte — ex æquo avec Wetherby du britannique David Hare — le Grand Prix du festival de Berlin en 1985), la production de l'Allemagne de l'Est n'est pas encore parvenue à percer de manière significative sur la scène internationale. Une certaine lourdeur bureaucratique et une indiscutable pesanteur idéologique peuvent expliquer cette trop lente maturation que ne parviennent pas à accélérer d'estimables réussites comme la Maison au bord du fleuve (Das Haus am Fluss, Roland Gräf, 1985) ou le Rendez-vous de Travers (Treffen in Travers, 1989) du débutant Michael Gwisdek.

— ALLEMAGNE UNIFIÉE.

La chute du Mur de Berlin, à la fin de l'année 1989, c'est-à-dire la fin de la RDA et la première étape de l'unification, ont eu immédiatement des effets sur le cinéma. Ces événements historiques et leurs conséquences (sociales, culturelles, psychologiques) ont donné lieu à une série de remarquables documentaires. Leurs auteurs sont d'abord des cinéastes de l'Est. Andreas Voigt, qui avait filmé auparavant les manifestations de l'automne à Leipzig, signe la Dernière Année du Titanic (Letztes Jahr Titanic), Petra Tschörner Berlin/Prenzlauer Berg, Jürgen Böttcher* le Mur (Die Mauer), sur la mort et le démontage du mur édifié en 1961. On peut citer encore Sybille Schönemann, une collaboratrice de la DEFA emprisonnée en 1984, qui réalise un film-enquête sur les lieux de son procès et de sa détention, le Temps verrouillé (Verriegelte Zeit, 1990). Des cinéastes de l'Ouest participent à ce mouvement : Peter Fleischmann*, Ulrike Ottinger*, et d'autres, tous attentifs aux ratés de l'unification allemande. La fin du régime de la RDA a permis de connaître avec plus de vingt ans de retard une série de films interdits en décembre 1965, et réalisés par Frank Beyer*, Kurt Maetzig*, Jürgen Böttcher, Egon Günther*, Gerhard Klein, Hermann Zschoche et quelques autres, qui étaient en train d'élaborer une nouvelle forme de réalisme, contemporaine et critique, comme dans certains pays voisins. Les nouvelles conditions ont permis en 1990 et 1991 à plusieurs cinéastes de mener à bien des projets irréalisables auparavant. C'est le cas, par exemple, de Herwig Kippig (né en 1948) avec le Pays derrière l'arc-en-ciel (Das Land hinter dem Regenbogen), un film baroque et métaphorique sur la RDA, de Frank Beyer, avec le Soupçon (Der Verdacht), d'Egon Günther (passé à l'Ouest en 1978), qui revient à Babelsberg tourner Stein, sur l'émigration intérieure en 1968, ou de Helmut Dziuba, qui traite dans ses films pour enfants des sujets auparavant tabous. Dans les derniers mois d'existence de la RDA, Coming out (Heiner Carow, 1989), sur l'homosexualité, et le Joueur de piano (Der Tangospieler, Roland Gräf, 1990) annonçaient peut-être cette libération.

Les difficultés du cinéma d'auteur.

Dans le régime d'économie libérale, et avec la privatisation de la DEFA, les cinéastes de l'Est qui ont obtenu leur liberté d'auteur sont logés à la même enseigne que leurs collègues de l'Ouest. La contrainte économique pèse sur les projets malgré le maintien des divers systèmes (souvent régionaux) de l'aide publique. Certains font des films (et des téléfilms) selon ces règles nouvelles pour eux (Gräf, Beyer, Helke Misselwitz, Siegfried Kuhn, par exemple, ou l'acteur Michael Gwisdek, passé à la réalisation), d'autres ne peuvent mener à bien leurs projets. Quant aux cinéastes de l'Ouest, ils tentent, depuis le relatif déclin des années 1980, de donner un second souffle au cinéma d'auteur et n'ont que peu de prise sur le marché (si l'on excepte les auteurs de comédies comme Doris Dörrie et quelques cas particuliers comme Joseph Vilsmaier*).

Une nouvelle génération de jeunes, nés aux environs de 1960, tend à s'imposer dans les années 1990 : le non-conformiste Christoph Schlingensief, le rusé et distant Detlev Buck, Dani Levy et Sönke Wortman dont les premiers films sont d'originales comédies, Christian Wagner, Niko Brücher, Jan Schütte, Mathias Allary, Nico Hoffman, Romuald Karmakar (Der Totmacher, 1995), Peter Lichtefeld (Zugvögel, 1998), Didi Danquart (Viehjud Levi, 1999), Angela Schanelec (Mein langsames Leben, 2000). Il faut ajouter à ce renouvellement constant quelques cinéastes issus de l'immigration turque, de Tewfik Baser à Thomas Arslan. Comme c'est le cas en France, les nouveaux cinéastes réalisent un ou deux films à petits budgets sans toujours avoir la possibilité de s'affirmer dans d'autres films. La situation de leurs aînés, à l'exception de réalisateurs comme Schlöndorff ou Wenders, et de ceux qui sont partis travailler aux États-Unis (Wolfgang Petersen, Roland Emmerich, Carl Schenkel, Uli Edel, voire Percy Adlon), ne présente aucun caractère d'amélioration depuis les années 1984-85. Probablement grâce aux aides régionales et à un service public de la télévision très décentralisé, la tradition du documentaire reste très vivante en Allemagne, et en constant renouvellement : Rolf Schübel*, Harun Farocki*, Hartmuth Bitomsky, Helga Reidemeister, Pepe Danquart et Didi Danquart, Andres Veiel, Harald Rumpf, Viola Stephan, et les spécialistes issus de l'ex-RDA comme Volker Koepp*, Barbara et Winfried Junge.