Dictionnaire du Cinéma 2001Éd. 2001
E

ÉTATS-UNIS. (suite)

Ces diverses tendances se poursuivent d'abord pendant les années 50 : atmosphère de guerre froide et par conséquent propagande anticommuniste, domination du thriller, fondée sur le noir et blanc mais de plus en plus battue en brèche par la généralisation de la couleur. C'est que le cinéma est soumis à la concurrence de la télévision, mode d'expression à la fois voisin et radicalement différent qui influera sur lui de plusieurs manières. En formant des metteurs en scène dont le style concis et mesuré devra quelque chose à celui des « dramatiques » télévisées ; mais aussi en suscitant une sorte de fuite en avant du cinéma, qui, contre la télévision, voudra jouer de ces atouts que sont l'espace et la couleur. D'où la généralisation de la couleur, qui peu à peu devient la norme (le noir et blanc étant réservé aux sujets dramatiques traités de manière sobre et sérieuse), et celle du grand écran à partir du CinémaScope*, dont le premier exemple est la Tunique de Koster* (1953). D'où la prolifération des superproductions, qui demeurera jusquà nos jours une caractéristique d'Hollywood.

On voit en effet renaître l'épopée historique ou biblique qui n'était plus guère illustrée que par De Mille et qui ramène en un sens au cinéma muet : Quo Vadis ? de M. LeRoy* (1951), les Dix Commandements de De Mille lui-même (1956). La comédie musicale ne subira cette évolution que plus tardivement ; dans l'intervalle, elle redécouvre avec enthousiasme sa capacité à investir l'espace réel de la ville (Un jour à New York, Donen* et Kelly, 1949) en même temps qu'elle s'interroge sur sa propre fonction et s'élève d'avance d'opulents mausolées à une gloire qui n'est pas encore défunte (Chantons sous la pluie, id., 1952 ; Tous en scène, Minnelli, 1953). Le mélodrame renaît sous des espèces flamboyantes après sa quasi-absorption par le film noir : Ray (la Fureur de vivre, 1955), Kazan (À l'est d'Eden, id.), Minnelli (Comme un torrent, 1959), l'Allemand Douglas Sirk* (Écrit sur du vent, 1957) sont les pionniers de cette recréation, avec les moyens stylistiques nouveaux (Scope et couleur) dont dispose désormais le cinéma. Il en va de même du film d'action avec Sam Fuller*, ou du western, dont la couleur et le grand écran confirment la capacité à offrir des repérages de la géographie aussi bien que de l'histoire américaines (cf., en particulier, les films d'Anthony Mann, notamment l'Appât, 1953 ; l'Homme de la plaine, 1955 ; l'Homme de l'Ouest, 1958).

Alors que les années 40 avaient été caractérisées par le travail sur le son, les années 50, qui unissent l'investissement de l'espace et l'utilisation de la musique d'atmosphère, marquent à cet égard une sorte de retour aux valeurs du muet ; on peut encore citer la renaissance du burlesque avec Frank Tashlin* et Jerry Lewis* (Artistes et Modèles, 1955 ; Un vrai cinglé de cinéma, 1956).

Si le système des genres (quoique modifié) continue à fonctionner, celui des studios en revanche est dangereusement menacé. Naguère minoritaires (il y eut le cas de United Artists*, de quelques producteurs comme Goldwyn* ou Selznick), les « indépendants » se multiplient ; le phénomène du réalisateur-producteur, ou de l'acteur-producteur, devient de plus en plus fréquent. Le rapport de force qui s'instaurait entre le studio et la star s'inverse : Burt Lancaster*, Kirk Douglas*, Marlon Brando*, Frank Sinatra*, John Wayne*, Gregory Peck*, Gary Cooper, etc., souhaitent davantage contrôler la réalisation des films où ils jouent le rôle principal.

Les années 60

consacrent la crise d'Hollywood : les grands studios connaissent tour à tour des difficultés financières considérables ; nombre de superproductions sont tournées, pour des raisons fiscales, en Espagne ou en Italie ; un nombre croissant de réalisateurs sont désireux de s'exprimer à titre individuel, s'inspirent du cinéma d'auteur européen (Bergman*, Fellini*, Godard*...) et rejettent par conséquent les schémas stylistiques et thématiques d'Hollywood. Il s'agit en particulier d'Arthur Penn* et de Sam Peckinpah*, dont les westerns paraîtront marquer la fin du genre (le Gaucher, 1958, Little Big Man, 1970, de Penn ; Coups de feu dans la Sierra, 1962, et la Horde sauvage, 1969, de Peckinpah).

Plus que celui des genres, c'est donc le développement de certaines œuvres individuelles qui caractérise cette période : celle d'un Stanley Kubrick*, dont les ambitions philosophiques et le sens de la démesure imprègnent 2001 : l'Odyssée de l'espace (1968), ou celle d'un Blake Edwards*, attaché à renouveler le genre de la comédie et à retrouver les recettes du burlesque muet revivifié par l'emprunt aux gags du dessin animé (la Grande Course autour du monde, 1965 ; la Party, 1968).

Plusieurs metteurs en scène de la période « classique » d'Hollywood donnent alors leurs derniers films, et ce phénomène du passage d'une génération prestigieuse contribue à l'aspect crépusculaire des années 60, d'autant que ces films sont empreints d'un certain désenchantement (par exemple l'Homme qui tua Liberty Valance, 1962, et les Cheyennes, 1964, de J. Ford ; la Charge de la 8e brigade de Walsh, 1964 ; El Dorado de Hawks, 1967).

Les années 70

au contraire marquent une renaissance avec la révélation de talents nouveaux et nombreux : Altman*, depuis MASH (1970), explore les conventions des genres (John McCabe, 1971 ; le Privé, 1973) et réalise des satires truculentes (Brewster McCloud, 1970 ; Popeye, 1980), son chef-d'œuvre restant sans doute Nashville (1975), musical d'un type inédit ; les œuvres ambitieuses de Coppola* sont servies par un sens classique de la construction (le Parrain, 1972-1974 ; Apocalypse Now, 1979) ; Scorsese*, par sa sensibilité à fleur de peau et sa violence, évoque un peu Ray et Fuller, maîtres longtemps méconnus des années 50 (de Mean Streets, 1973, à Raging Bull, 1980) ; Jerry Schatzberg* s'adonne sans arrière-pensées au bonheur de filmer les milieux les plus divers (Portrait d'une enfant déchue, 1970 ; l'Épouvantail, 1973 ; Showbus, 1980) ; l'Anglais John Boorman* se montre capable de signer des œuvres à la sensibilité profondément américaine (le Point de non-retour, 1967 ; Délivrance, 1972) ; quant à Michael Cimino*, sa problématique, dans ses deux fresques, est celle-là même de l'identité nationale américaine, naguère (Voyage au bout de l'enfer, 1978) et jadis (la Porte du Paradis, 1980). D'autres réalisateurs semblent, pour reprendre un mot d'Orson Welles, voir avant tout dans le cinéma moderne un « train électrique » aux possibilités inépuisables : ce sont George Lucas*, Steven Spielberg*, William Friedkin*, Brian De Palma*, qui manipulent la science-fiction, l'aventure, l'horreur, pour faire frémir, frissonner ou sursauter un public qui se compte par millions ; les modèles du genre, champions des recettes, sont la Guerre des étoiles de Lucas (1977) et E. T. de Spielberg (1982).